Dans cette affaire, il était reproché à un contribuable français la dissimulation de sommes sujettes à l’impôt sur le revenu et l’impôt de solidarité sur la fortune pour les années fiscales de 2009 à 2012. Ces faits relevant de la qualification pénale de fraude fiscale ont également conduit à l’application d’un redressement fiscal.
Il lui était également reproché d’avoir placé des avoirs sur des comptes détenus à l’étranger non déclarés à l’administration, la constitution d’un trust au Bahamas, et un montage immobilier en Colombie, faits constitutifs de blanchiment de fraude fiscale.
Le 22 février 2022 la Cour d’appel de Paris a condamné ce contribuable à 18 mois d’emprisonnement, 300 000 euros d’amende, et à 150 000 euros au titre de la réparation du préjudice subi par l’État, pour fraude fiscale et blanchiment aggravé.
Sur pourvoi du prévenu, la Cour de cassation dans son arrêt du 13 décembre 2023 est venue de nouveau encadrer et préciser le principe de non bis in idem dans le cadre du cumul des sanctions pénales et fiscales (I). Elle a également apporté des précisions sur le régime de la prescription des infractions occultes ou dissimulées (II). Enfin, la Cour a rappelé les règles relatives à l’indemnisation du préjudice de l’État en matière de blanchiment de fraude fiscale (III).
I. Encadrement et précisions du principe de cumul des sanctions pénales et fiscales
Dans son pourvoi, le prévenu reprochait l’absence d’application par la Cour d’appel des exigences posées par la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après “CJUE”) dans son arrêt du 5 mai 2022 en matière de cumul des sanctions pénales et fiscales[1].
Pour rappel, le 5 mai 2022, la CJUE indiquait que, dans le cadre d’une fraude à la TVA et par application de l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, le cumul des sanctions pénales et fiscales devait être prévu par des règles claires et précises et que la proportionnalité de la sanction au regard des faits devait être appréciée en prenant en compte la sanction dans son intégralité.
La Cour de cassation, tout en rappelant l’intégration des conditions posées par la jurisprudence européenne dans les décisions françaises[2], précisait qu’elles étaient limitées aux impôts entrant dans le champ de la compétence de l’Union européenne. Or, en l’espèce, le prévenu était poursuivi pour des fraudes fiscales à l’impôt sur le revenu et à l’impôt sur la fortune, impôts n’entrant précisément pas dans le champ de compétence de l’Union européenne, de sorte que les exigences posées par la CJUE n’avaient pas à être respectées dans le cas d’espèce.
Le prévenu invoquait également la violation du principe de non bis in idem au motif que les faits de fraude fiscale et de blanchiment constituaient une action unique ne pouvant donner lieu à deux déclarations de culpabilité.
Sur ce point, la Cour retenait que les faits de fraude fiscale caractérisés par l’omission dans les déclarations des avoirs détenus à l’étranger et des revenus tirés se distinguaient des faits de blanchiment caractérisés par des “opérations successives de dissimulation du produit de cette fraude, notamment réalisées au travers de l’ouverture et du fonctionnement de comptes bancaires à l’étranger”.
II. Précisions en matière de prescription de l’action publique des infractions occultes ou dissimulées
Depuis une loi du 27 février 2017[3], le délai de prescription des infractions occultes ou dissimulées commence à courir au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée, dans la limite d’un délai butoir de 12 ans. Cette loi d’application immédiate aux enquêtes en cours au moment de son entrée en vigueur connait deux exceptions : (i) la loi n’est pas applicable lorsque la prescription a déjà été acquise et, (ii) lorsque l’action publique a déjà été mise en mouvement.
Dans cet arrêt, le prévenu reprochait à la Cour d’appel d’avoir écarté le moyen tiré de la prescription des faits au motif que l’action publique avait été mise en mouvement. En effet cette dernière considérait qu’au 1er mars 2017, date d’entrée en vigueur de la loi, la prescription n’avait pas été acquise et que l’action publique avait été mise en mouvement au moyen d’actes d’instructions ou d’investigations dans le cadre de l’enquête préliminaire.
La Cour de cassation, dans une motivation pédagogique relevait dans un premier temps que la notion de mise en mouvement de l’action publique était caractérisée par la saisine d’une juridiction d’instruction ou de jugement et non pas des actes d’enquêtes.
Pour autant, les juges de la Chambre criminelle indiquaient que l’absence de mise en mouvement de l’action publique avant la loi de 2017 pour des infractions constatées plus de 12 ans après leur commission, n’entrainait pas nécessairement leur prescription. Qu’en l’espèce l’existence des infractions avait été constatée par le dépôt de la plainte de l’administration fiscale, soit le 19 décembre 2012, jour du point de départ du délai de prescription. Ils ajoutaient toutefois, que ce délai avait été interrompu à de nombreuses reprises, antérieurement à la loi de 2017, par des actes d’enquête, tel que le soit-transmis du parquet de Nanterre à la suite de la plainte de l’administration fiscale, ou encore les procès-verbaux de perquisition du 13 novembre 2014.
III. L’indemnisation du préjudice moral de l’État en matière de blanchiment de fraude fiscale
Après avoir précisé la distinction entre le préjudice découlant de la fraude fiscale, de celui subi du fait du blanchiment de cette fraude dans deux décisions rendues le 15 novembre 2023[4], la Cour de cassation est, dans sa décision du 13 décembre 2023, venue préciser les contours du préjudice moral subi par l’État français pour des faits de blanchiment de fraude fiscale, en opérant la distinction entre le dommage porté directement à l’État, de celui porté à l’intérêt général.
Le prévenu, condamné à une indemnisation de l’État à hauteur de 150 000 euros, reprochait à la Cour d’appel d’avoir affirmé que le préjudice moral de l’État était caractérisé par le discrédit porté sur le “dispositif national préventif de lutte contre le blanchiment, en encourageant le non-respect de la transparence fiscale attendue de chaque contribuable dans le cadre du système fiscal déclaratif”. Il soulevait que ce préjudice moral de discrédit ne découlait pas des faits de blanchiment pour lesquels il était condamné.
En l’espèce, la Cour de cassation rappelait d’abord que “l’action civile n’appartient qu’à ceux qui ont personnellement souffert d’un dommage directement causé par l’infraction”. Elle précisait que le préjudice découlant des faits de blanchiment de fraude fiscale, caractérisé par le discrédit jeté sur les politiques de lutte contre le blanchiment ne se distinguait pas de l’atteinte portée à l’intérêt général, réparé par l’action publique exercée. La cassation était donc encourue sur ce dernier point.