En droit pénal des affaires, les douze derniers mois ont été marqués par une volonté affichée dans les bilans réalisés par les autorités, d’une plus forte répression des infractions au travers notamment d’un renforcement des investigations et d’un plus grand nombre de sanctions. Certains arrêts marquants sont également venus ponctuer cette année écoulée.
Parmi ces arrêts rendus, il convient de revenir sur la généralisation, à toutes les formes sociales, du transfert de responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante ; la fin des deux sagas judiciaires que sont les affaires dites Fillon et Pétrole contre nourriture ; les précisions sur le préjudice moral de l’État en cas de blanchiment de fraude fiscale et sur la dénonciation obligatoire prévue depuis la fin partielle du verrou de Bercy par l’article L.228 du Livre des procédures fiscales.
Lutte contre les fraudes fiscales, sociales et douanières
En mars 2024, dans un premier bilan sur la lutte contre les fraudes fiscales, sociales et douanières, le ministère de l’Économie annonçait un record historique s’agissant du volume de mises en recouvrement. Ainsi, 15,2 milliards d’euros avaient été recouvrés par le Trésor Public, grâce notamment à une augmentation de 25% des contrôles fiscaux sur les patrimoines des particuliers aux plus hauts revenus. Le ministère se félicitait également d’une nouvelle mesure permettant au juge de l’impôt de priver le fraudeur de crédit d’impôts.
Pour aller plus loin : Bilan du plan de lutte contre les fraudes sociales, fiscales et douanières
Le Parquet national financier : 10 ans de lutte contre la grande délinquance économique et financière
Dans la synthèse de ses activités pour l’année 2023, laquelle marquait par ailleurs ses 10 ans de lutte contre la grande délinquance économique et financière, le Parquet national financier (“PNF”) et le procureur Jean-François Bohnert ont souligné, au-delà du nombre de procédures dont le PNF a eu à connaître (781 procédures dont 234 clôturées), l’emploi de stratégies d’enquête innovantes incluant le recours à l’intelligence médiatique, au déplacement de magistrats et d’enquêteurs en Outre-mer pour assurer une meilleure réponse pénale dans ces régions, et à la prise en charge interne de certaines enquêtes à forte dimension juridique. Y ont été rappelées à ce titre les multiples perquisitions menées sous la direction du PNF dans des établissements bancaires dans les dossiers de blanchiment aggravé de fraude fiscale, dits “Cum-Cum”. Cette synthèse a rappelé également que les conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP), créées en 2016, constituent un des moyens privilégiés pour prévenir et réprimer la délinquance financière au sein d’une entreprise. Enfin, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) y est apparue comme étant un autre outil favorisé, en ce qu’il permet aujourd’hui le prononcé de peines supérieures à un an, et qu’il est également applicable en matière fiscale.
Pour aller plus loin :
Le transfert de responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante
En matière judiciaire, par un arrêt du 22 mai 2024 la chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence nouvelle du 25 novembre 2020 en matière de transfert de responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante, et l’a généralisée à toutes les formes sociales et non plus seulement aux sociétés anonymes, initialement seules concernées. Dès lors, pour toute opération de fusion-absorption postérieure au 25 novembre 2020, la responsabilité pénale de la société absorbée est transmise à la société absorbante, peu importe la forme de la société, et permet de prononcer à l’encontre de la société absorbante des peines d’amende et de confiscation — à l’exclusion, cependant, des peines d’interdiction de passation des marchés publics ou d’interdiction d’exercice d’une activité professionnelle. En cas de fraude, la cour a précisé que la responsabilité pénale de la société absorbée serait transmise à la société absorbante, peu importe la date de fusion-acquisition et sans limitation de sanctions.
Deux affaires judiciaires fortement médiatisées à l’approche de leur dénouement
* La saga Fillon *
Tout d’abord, la fin imminente de la saga Fillon sur les emplois fictifs a été retentissante. Si la cour d’appel doit encore se prononcer sur la peine retenue à l’encontre de François Fillon, l’arrêt de la Cour de cassation rendu le 24 avril 2024 par suite d’une décision du Conseil Constitutionnel sonne le glas de cette saga procédurale. En effet, en septembre 2023, le Conseil constitutionnel avait déclaré inconstitutionnel l’article 385 du code de procédure pénale en ce qu’il interdisait à une personne mise en examen de soulever un moyen de nullité après la clôture de l’instruction. Saisie à nouveau de cette affaire, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que la Cour d’appel avait bien examiné et écarté les nullités soulevées par l’ancien Premier ministre après la clôture de l’instruction. Le justiciable n’ayant pas soumis au contrôle de la Cour de cassation la motivation de la Cour d’appel sur ce point, la décision de la Cour de cassation a finalement mis un terme au développement de cet argument d’inconstitutionnalité.
Pour aller plus loin : Saga Fillon : Victoire procédurale devant le Conseil constitutionnel pour l’ex-premier ministre dans l’affaire des emplois fictifs
* Pétrole contre nourriture *
Dans son arrêt du 12 octobre 2023, rendu à l’unanimité, la Cour européenne des droits de l’Homme a décidé que les condamnations prononcées à l’encontre des sociétés Total et Vitol n’étaient pas contraires à l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Il s’agissait de condamnations du chef de corruption d’agents publics étrangers du fait de l’acceptation et l’organisation de paiements de commissions occultes au profit de dirigeants iraquiens, en violation du programme “pétrole contre nourriture” mis en place par l’ONU dans les années 90. Les deux sociétés avaient invoqué ce texte, lequel prohibe la condamnation pour un fait qui ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international au moment de sa commission, arguant de l’impossibilité, au moment des faits, d’anticiper l’engagement de leur responsabilité pénale pour corruption. La Cour, en rejetant cette imprévisibilité, a mis un terme à ce dossier judiciaire.
La dénonciation obligatoire prévue par l’article L.228 du Livre des procédures fiscales
Enfin, par plusieurs arrêts, la Cour de cassation s’est prononcée sur le cadre de la dénonciation obligatoire prévue par l’article L.228 du Livre des procédures fiscales. La cour a ainsi pu trancher que l’absence d’annexion de l’avis de mise en recouvrement établi par l’administration fiscale à cette dénonciation ne constituait pas une cause de nullité de la procédure, dès lors que d’autres pièces procédurales permettaient de vérifier le respect des conditions de la dénonciation obligatoire. La chambre criminelle a également apporté de nombreuses précisions à ce sujet dans son arrêt du 13 décembre 2023, notamment en rappelant que les conditions posées par la jurisprudence européenne relatives au cumul des sanctions pénales et fiscales s’appliquaient uniquement aux impôts entrant dans le champ de compétence de l’Union européenne. Elle a également rappelé que le préjudice moral subi par l’État, découlant des faits de blanchiment de fraude fiscale, ne se distinguait pas de l’atteinte portée à l’intérêt général réparée par l’action publique. Enfin, elle a, le 23 mai 2024, affirmé que, malgré la rectification spontanée relative à l’existence de comptes bancaires à l’étranger, le rejet par l’administration fiscale de cette dernière permettait une dénonciation au Procureur de la République au titre de l’article L 228 du Livre des procédures fiscales.
Pour aller plus loin :
- Précisions sur le cadre procédural des dénonciations automatiques réalisées par l’administration fiscale
- Nouvelles précisions sur la répression des infractions de fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale par la chambre criminelle de la Cour de Cassation
- Articulation des procédures fiscales et pénales : conséquences de la déclaration rectificative sur l’obligation de dénonciation au Procureur
D’autres arrêts devraient être rendus en droit pénal fiscal, la suppression partielle du verrou de Bercy ayant pour corollaire l’augmentation de ce contentieux. De même, l’augmentation des sanctions annoncées par les autorités devraient, d’une part, se traduire par une jurisprudence plus nombreuse sur des points techniques non encore tranchés, et d’autre part, permettre à la France de répondre aux critiques qui lui sont faites s’agissant de l’efficacité de sa législation en droit pénal des affaires, notamment en matière de lutte anti-corruption.