Dans cette saga judiciaire ayant débutée par un signalement de l’Autorité de contrôle prudentiel en 2010 suivi d’une enquête préliminaire et de l’ouverture d’une information judiciaire en 2012, la banque helvétique a usé de son dernier recours pour tenter d’échapper à une condamnation pénale pour démarchage bancaire ou financier illicite et blanchiment aggravé. En effet, elle avait formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 13 décembre 2021[1], laquelle l’avait condamnée notamment au paiement d’une amende de 3 750 000 euros, à une confiscation s’élevant à 1 million d’euros et au paiement de la somme de 800 millions d’euros au titre des dommages et intérêts pour le préjudice subi par l’Etat français.
Dans cette décision très attendue, la Cour de cassation confirme la culpabilité de la banque suisse UBS mais casse et annule les dispositions relatives aux peines et aux dommages intérêts prononcés par la Cour d’appel.
En effet, elle reconnait de nouveau par confirmation des dispositions de l’arrêt de la Cour d’appel de 2021, que la société UBS a de 2004 à 2012 via ses commerciaux appelés “chasseurs” fait placer les fonds de contribuables français fortunés en Suisse, selon un mode opératoire occulte, constituant ainsi un démarchage bancaire illicite et le blanchiment aggravé des fraudes fiscales commis par ces contribuables français.
Toutefois, sans remettre en cause la caractérisation des infractions, la Cour de cassation ordonne un nouveau procès afin de redéfinir les modalités de calcul de la sanction financière infligée à la banque suisse. Elle rappelle en effet dans un premier temps que “nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi” applicable au moment des faits sanctionnés (I) puis dans un second temps, tout en confirmant l’existence d’un préjudice indemnisable subi par l’Etat français, la Cour revient sur l’absence de caractérisation d’une perte de chance et son évaluation (II).
I. Nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi applicable au moment des faits sanctionnés par ladite peine
Dans son arrêt de 2021, la Cour d’appel de Paris avait condamné la société UBS pour des faits de blanchiment commis entre 2004 et 2012 à une peine de confiscation s’élevant à 1 million d’euros, cette somme s’inscrivant dans le cautionnement versé à la régie du Tribunal judiciaire en juillet 2014, dans le cadre de l’information judiciaire.
Toutefois, la confiscation comme peine complémentaire du délit de blanchiment prononcée à l’encontre des personnes morales n’est prévue par les textes que depuis une loi du 6 décembre 2013[2]. En l’espèce, les faits de blanchiment reprochés à UBS avaient donc été commis antérieurement à la date d’entrée en vigueur de la loi offrant la possibilité de prononcer la sanction de confiscation à l’encontre d’une personne morale.
Partant et sur le fondement de l’article 111-3 du code pénal[3] au titre duquel “nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi, si l’infraction est un crime ou un délit”, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel.
Toujours sur la peine de confiscation, la Cour de cassation casse également l’arrêt de la Cour d’appel qui avait considéré que le cautionnement versé au titre du contrôle judiciaire de la société UBS constituait un bien appartenant à cette dernière, de sorte que la somme de 1 million d’euros, prononcée dans le cadre de la peine complémentaire de confiscation pouvait être prélevée, sur ledit cautionnement.
La Cour de cassation rappelle ainsi que le cautionnement a pour objectif de garantir le paiement des dommages et intérêts, des restitutions, de la dette alimentaire et des amendes, et non la peine de confiscation.
Il résulte donc de cette cassation que lors du prochain procès devant la Cour d’appel de renvoi, la banque suisse ne pourra pas faire l’objet d’une peine de confiscation et que les sommes versées au titre du cautionnement ne pourront être utilisés que pour le paiement de l’amende ou des dommages et intérêts accordés à l’Etat français dont le montant n’est toujours pas définitivement fixé.
II. La nécessaire caractérisation et estimation du préjudice résultant de la perte de chance
Dans son pourvoi, la banque UBS reprochait à la Cour d’appel de l’avoir condamné au paiement de la somme de 800 millions d’euros au titre des dommages et intérêts pour le préjudice subi par l’Etat français du fait des pratiques de blanchiment.
Le moyen critiquait principalement une appréciation abstraite du préjudice. En effet, la Cour d’appel s’était abstenue de toute évaluation ou estimation du préjudice et n’avait retenu que le fait qu’un nombre conséquent d’actes d’investigations et de recherches avait été assumé par les agents des services de l’Etat entrainant un “ coût financier”.
Le moyen critiquait également l’argumentaire selon lequel, la perte de chance subi par l’Etat relevait de l’acquisition de la prescription fiscale. La Cour d’appel condamnait en effet la banque UBS a l’indemnisation d’un préjudice ne relevant pas de l’infraction de blanchiment de fraude fiscale.
La Cour de cassation relève que cette perte de chance, et les chances de succès de l’Etat n’avaient, ni été établies par la Cour d’appel, ni estimées. En effet, elle considère que la Cour d’appel, pour établir l’existence d’une perte de chance actuelle et certaine, aurait dû caractériser la possibilité pour l’administration fiscale de détecter la fraude et de recouvrer l’impôt dû avant l’acquisition de la prescription.
Elle expose également que l’absence d’estimation du succès de cette éventualité au regard des actions menées pour recouvrer l’impôt ne lui permet pas de vérifier si la réparation de cette perte de chance, soit 800 millions d’euros, était proportionnelle à la chance effectivement perdue.
Sur cette base, la Cour de cassation qui confirme bien l’existence d’un préjudice subi par l’Etat français au titre du blanchiment de fraude fiscale aggravé, casse toutefois les dispositions de la Cour d’appel.
Enfin, la Cour de cassation déclare la demande liée au préjudice moral relevant du “discrédit jeté sur les dispositifs de lutte anti-blanchiment” comme irrecevable au regard de son caractère nouveau puisque formée uniquement en cause d’appel.