Depuis 1920, l’Administration fiscale disposait du monopole s’agissant de la poursuite pénale pour fraude fiscale, constituant ainsi une exception majeure au principe de l’opportunité des poursuites normalement réservé au Ministère public. Ce mécanisme constituait l’expression du pouvoir de décision et de transaction de l’Administration fiscale, qui par ce monopole, incitait les fraudeurs fiscaux à transiger avec elle.
La loi du 23 octobre 2018 est toutefois venue mettre un terme à ce monopole en créant l’obligation pour l’administration fiscale de dénoncer au Procureur les faits de fraude fiscale ayant conduit à un redressement de plus de 100 000€ accompagné des majorations les plus graves, soit 100% et 80%, ou 40% en cas de situation de récidive sur les 6 dernières années[1].
Par arrêt du 23 mai 2024, la Cour de cassation se prononce sur l’articulation entre le pouvoir de transaction de l’administration fiscale avec cette obligation de dénonciation obligatoire des faits de fraude fiscale au Ministère public en cas de déclaration rectificative faite par le contribuable (I) en retenant une interprétation stricte des textes (II).
I. L’articulation entre l’obligation de dénonciation obligatoire et le pouvoir de transaction de l’administration fiscale en cas de déclaration rectificative du contribuable
L’obligation prévue à l’article L 228 du Livre des procédures fiscales (“LPF”) et mettant un terme partiel au verrou de Bercy en obligeant l’administration fiscale à dénoncer les fraudes fiscales les plus importantes au Procureur, connait une exception en cas de rectification spontanée réalisée par le contribuable.
Cette exception permet de combiner l’objectif de lutte contre la fraude fiscale illustrée par la nouvelle obligation de dénonciation imposée à l’administration fiscale avec son pouvoir de transiger avec le contribuable, qu’elle retrouve donc lorsque le contribuable fait une démarche de régularisation spontanée.
En effet, les textes fiscaux prévoient la possibilité pour un contribuable de régulariser spontanément sa situation, soit avant tout acte de l’administration tel qu’(i) un contrôle fiscal, (ii) un avis de vérification ou encore (iii) une procédure d’enquête administrative ou judiciaire[2].
Cette possibilité de régularisation spontanée a notamment été mise en place dans le cadre de la régularisation des avoirs détenus à l’étranger en 2013. Dans un objectif de lutte contre la détention d’avoir à l’étranger, l’administration fiscale avait mis en place un régime favorable lorsque l’existence de ces comptes était révélée de manière spontanée par le contribuable.
Dans son arrêt rendu le 23 mai 2024, la chambre criminelle de la Cour de cassation a d’abord rappelé que dans cette hypothèse de déclaration rectificative spontanée du contribuable, l’exercice de l’action publique devait être précédé d’une plainte de l’administration fiscale déposée sur avis conforme de la commission des infractions fiscales[3], avant de préciser toutefois que le rejet de cette déclaration spontanée par l’administration fiscale a pour conséquence le retour au principe et à la mise en œuvre de la dénonciation obligatoire des faits de fraude fiscale au Ministère public.
II. Appréciation stricte de l’exception prévue au mécanisme de dénonciation obligatoire en cas de déclaration rectificative du contribuable
Les faits de l’espèce concernaient un couple de contribuables français, qui avait eu recours au service de traitement des déclarations rectificatives pour déclarer l’existence de leurs avoirs détenus en Suisse. Les époux avaient à ce titre déposé une déclaration rectificative au cours de l’année 2017. En janvier 2018, ils étaient informés qu’il faisait l’objet d’un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle au titre des années 2015 et 2016. Fin 2018, les deux époux étaient destinataires de deux propositions de rectifications. En 2020, l’administration fiscale, sur le fondement de l’article L 228 du LPF, dénonçait les faits de fraude fiscale au Procureur de la République.
À la suite de leur renvoi devant le Tribunal correctionnel pour des faits de fraude fiscale, les contribuables faisaient valoir l’exception prévue au dernier aliéna du I de l’article L 228 du LPF[4] au titre duquel la régularisation spontanée réalisée par un contribuable empêchait la dénonciation des faits par l’administration du Procureur de la République.
Le Tribunal correctionnel ainsi que la Cour d’appel de Versailles suivaient cette argumentation et annulaient la convocation en justice du couple et la procédure afférente, considérant qu’en raison de la régularisation spontanée, les contribuables qui entraient dans les conditions du dernier alinéa du I de l’article L 288 du LPF ne pouvaient faire l’objet d’une dénonciation obligatoire au Ministère public.
La Cour de cassation a alors fait une interprétation stricte de l’alinéa 8 de l’article L 228 du LPF prévoyant l’exception en retenant que cet alinéa n’excluait le principe de la dénonciation obligatoire au Ministère public que lorsque la déclaration rectificative spontanée n’avait pas été rejetée par l’administration fiscale. Relevant que l’appréciation de la validité du rejet n’appartenait pas au juge pénal mais au juge de l’impôt, la Cour de cassation a affirmé que malgré la rectification spontanée relative à l’existence de comptes bancaires à l’étranger, le rejet par l’administration fiscale de cette dernière permettait une dénonciation au Procureur de la République au titre de l’article L 228 du LPF.