Analyse
14 juillet 2022

Le cumul de sanctions pénales et administratives en matière de fraude fiscale

Les juges du quai de l'Horloge ont rendu une décision récente relative au cumul des sanctions pénales et fiscales en matière de fraude fiscale. Cette dernière confirme ainsi un courant jurisprudentiel évolutif qui tend à admettre le cumul pour les fraudes les plus graves

 

Dans cette affaire le prévenu avait réalisé, au titre de l’année fiscale 2015, une déclaration de revenus minorée pour un montant total de près de 70 000 euros. Celui-ci avait comptabilisé des sommes perçues comme des avances, alors qu’elles étaient en réalité dûment encaissées le mois de leur facturation, en l’absence de tout produit correspondant dans les déclarations comptables.

Le 21 novembre 2017, l’administration fiscale déposa une plainte pour fraude fiscale sur avis conforme de la commission des infractions fiscales[1]. Le tribunal correctionnel jugea que les faits étaient caractérisés et le prévenu fut condamné en première instance des chefs de fraude fiscale par dissimulation à une amende d’un montant de 5 000 euros. Le prévenu et le Ministère public interjetèrent appel de cette décision.

En cause d’appel, le prévenu fut condamné à une peine d’amende s’élevant à 15 000 euros alors même qu’il avait fait l’objet de pénalités fiscales à hauteur de 40% sur les rappels de TVA et d’impôts sur le revenu par les juridictions administratives[2]. Pour ce faire, les juges de la Cour d’appel ont rappelé que les deux amendes cumulées n’excédaient pas le plafond de 500 000 euros prévu par le code général des impôts[3]. Un pourvoi fut finalement formé par le prévenu arguant d’une violation du principe de nécessité des délits et des peines, au motif que les juges d’appel n’avaient pas vérifié, au regard des critères tenant au montant des droits éludés et à la nature des agissements ou aux circonstances de l’infraction, si les faits retenus à l’encontre du prévenu revêtaient un degré de gravité suffisant pour justifier un cumul de sanctions pénale et fiscale.

Cet arrêt est donc l’occasion de rappeler comment s’articule la répression de la fraude fiscale sous l’angle du potentiel cumul des sanctions pénales et administratives pouvant s’appliquer. Il faut donc s’intéresser au contexte qui entoure cette décision (I) ainsi qu’à sa portée (II).

 

I. Une décision s’inscrivant dans un courant jurisprudentiel permettant le cumul des sanctions pénales et administratives en matière de fraude fiscale sous certaines conditions

La question du possible cumul de sanctions pénales et administratives en matière de fraude fiscale se pose depuis de nombreuses années. En effet, ce cumul de procédures à visée répressive est naturellement susceptible de se heurter à la règle du ne bis in idem qui interdit le cumul de sanctions à raison des mêmes faits[4].

En droit interne, la Cour de cassation a jugé que les contentieux pénaux et fiscaux étaient par la nature et leur objet, différents et indépendants[5]. L’autorité judiciaire a par ailleurs jugé qu’en matière de fraude, celle-ci n’a pas à surseoir à statuer en cas de procédure administrative relative à l’impôt[6], et ce même si la procédure administrative a conduit à une absence de sanction[7].

La Cour Européenne des Droits de l’Homme a longtemps hésité à l’idée d’appliquer le principe ne bis in idem, avant de formellement le consacrer en matière de manquements et infractions financières[8]. En revanche, la Cour Européenne des Droits de l’Homme a par la suite précisé qu’un cumul de sanctions est possible, notamment en matière fiscale, au nom de la complémentarité des poursuites[9].

Afin de clarifier les conditions d’un tel cumul en droit français, le Conseil constitutionnel a validé la possibilité de l’existence de celui-ci en estimant que le recouvrement de la contribution publique et la nécessité de lutte contre la fraude fiscale justifient dans certains cas l’engagement de procédures complémentaires[10]. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a précisé que le principe du cumul ne s’applique qu’aux cas les plus graves de dissimulation ou d’omission déclarative frauduleuse, la gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention[11]. Le principe de proportionnalité impose alors que le montant global des sanctions ne puisse pas excéder le montant le plus élevé de l’une des sanctions encourues[12].

La Cour de cassation a par la suite adopté le raisonnement du Conseil constitutionnel en la matière, jugeant que lorsqu’une personne poursuivie pour fraude fiscale justifie avoir fait l’objet d’une sanction fiscale pour les mêmes faits, il appartient au juge pénal, après avoir caractérisé les éléments constitutifs de cette infraction, et préalablement au prononcé de sanctions pénales, de vérifier que les faits retenus présentent un degré de gravité de nature à justifier la répression pénale complémentaire. La Cour rappelle que le juge est tenu de motiver sa décision, la gravité pouvant résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention dont celles notamment constitutives de circonstances aggravantes. À défaut d’une telle gravité, le juge ne peut entrer en voie de condamnation[13].

 

II. La Cour de cassation insiste sur l’obligation des juges du fond de vérifier l’existence d’un degré de gravité suffisant des faits pour justifier un cumul de sanctions pénale et fiscale

Dans la lignée de ce courant jurisprudentiel, la Cour de cassation a dans cette affaire été amenée à décider d’un possible cumul de sanctions pénales et fiscales sur le fondement des articles 1729 et 1741 du Code général des impôts. Le second prévoyant une sanction pénale, tandis que le premier permet une sanction administrative pécuniaire[14].

Dans cette affaire, l’essentiel du débat portait sur la motivation du cumul imposé par les juges d’appel puisque le prévenu estimait que la Cour d’appel n’avait pas suffisamment motivé sa décision sur ce point[15].

Par cet arrêt, la Cour de cassation rappelle que le juge pénal doit procéder à une double caractérisation pour permettre un cumul des sanctions en matière fiscale. Dans un premier temps, il doit caractériser le délit de fraude fiscale. Il doit ensuite motiver sa décision en raison de la gravité des faits pour infliger une sanction pénale complémentaire[16].

La Cour relève que l’absence de caractérisation d’un tel caractère de gravité doit mener au prononcé d’une relaxe au bénéfice du prévenu[17]. Les juges du quai de l’horloge rappellent que cette gravité repose sur le montant des droits fraudés, la nature des agissements de la personne poursuivie et les circonstances de la commission du délit, particulièrement celles constitutives d’une circonstance aggravante[18].

Or, en l’espèce, la Cour de cassation juge que la Cour d’appel n’a pas suffisamment motivé sa décision sur ce point, en ne recherchant pas préalablement au prononcé de toute peine de nature à réprimer les faits commis, si la répression pénale était justifiée au regard de la gravité des faits retenus, méconnaissant ainsi la règle posée par le Conseil constitutionnel[19].

 

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