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8 novembre 2021

Paris Legal Makers : le droit, levier de développement économique, de transition écologique, de révolution numérique et d’accompagnement de transformation de nos sociétés

Interview de Stéphane de Navacelle par Boris Stoykov pour le journal Affiches parisiennes.

Affiches Parisiennes : Le bâtonnier vous a confié la mission de piloter le Paris Legal Makers. Est-ce que vous pouvez nous expliquer en quoi il consiste ?

 

Stéphane de Navacelle : La genèse de Paris Legal Makers, c’est le constat qu’il n’existait pas d’événement international pour le droit, à l’image du Davos pour l’économie. Or, la France est, par tradition et par son innovation, une place d’excellence du Droit pour le développement économique, national et international. La Cour d’arbitrage international, qui a choisi Paris comme lieu d’action, en est un exemple concret.

Nous pensons le droit beaucoup trop comme le conflit et, comme le bâtonnier le dit souvent, nous avons un ministère de la Justice, mais pas de ministère du Droit.

C’est un vrai événement international et nous souhaitons que ce soit l’occasion de se retrouver et de parler, d’accueillir nos invités français et étrangers. Je tiens d’ailleurs à préciser que cet événement ne s’adresse pas uniquement à la communauté juridique. Nous voulons réunir toutes celles et ceux qui font le droit aujourd’hui et le feront demain : entrepreneurs, chefs d’entreprises académiques, représentants de la société civile. Les Legal Makers, comme le nom de l’événement le souligne.

AP : N’est-ce pas une démarche un peu audacieuse suite à la crise sanitaire, qui n’est d’ailleurs pas terminée ?

SN : En réalité, nous ne savions pas que c’était impossible, alors nous l’avons fait. C’est la dynamique que nous avons posée. Nous n’avions pas de projet abouti en tête, nous avions beaucoup d’idées au printemps et comme vous le suggérez, c’était une mission quasiment impossible. Ce que je souhaite, c’est que chacun puisse voir dans cet événement une impulsion pour l’avenir.

Et nous sommes persuadés que le droit est essentiel dans la reprise économique. C’est donc sans doute le bon moment pour lancer cet événement !

AP : Vous parlez de “Davos du droit”, ce qui fait davantage penser au monde économique plus que juridique. Souhaitez-vous rencontrer les décideurs du monde des affaires et du droit ?

SN : En réalité, même au-delà de cela. Nous cherchons à utiliser le levier du droit au service de tendances mondiales de fond et voir comment le droit peut s’inscrire là-dedans. C’est le droit comme levier de développement économique, de transition écologique, de révolution numérique, d’accompagnement des transformations de nos sociétés. C’est une rencontre par l’économie ET autour du droit. C’est cela qui rend cette démarche pertinente.

Donc, il y aura les représentants des organisations internationales, des institutions politiques et les décideurs. Je pense évidemment au garde des Sceaux et, à l’échelon européen, au Procureur européen. D’un point de vue des affaires, seront invités des grands groupes internationaux, des grandes institutions financières qui vont nous envoyer certains de leurs décideurs. Je pense aux magistrats, ce sera le cas d’un magistrat de premier plan sud-coréen, mais aussi d’un procureur du nouveau Parquet européen. Et évidemment, toutes les parties prenantes des professions juridiques, qui sont les bienvenues.

AP : S’agissant des organisations internationales, avez-vous par exemple proposé à l’OCDE de participer à l’événement, ou à d’autres institutions similaires ?

SN : Absolument. Nous aurons l’honneur d’avoir l’intervention de la directrice juridique de l’OCDE sur l’initiative d’impôt mondial sur les sociétés qui a fait l’objet d’un accord il y a plus de dix jours et a été confirmé la semaine dernière lors de la réunion du G20 à Rome. Nous aurons le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’Homme et l’environnement, le secrétaire permanent de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) ou encore la présidente la Cour d’arbitrage internationale.

Pour ce qui est des organisations internationales, nous sommes allés chercher celles qui sont les plus impliquées dans le côté normateur, les organisateurs du droit de demain.

AP : Vous avez également prévu des sessions sur le sujet de l’environnement. Aujourd’hui, le droit est-il pleinement impliqué dans la préservation de la planète ?

SN : Evidemment. Il y a à la fois une prise de conscience citoyenne, un souci de réalité des entreprises et une réaction de création de normes de la part des États. Nous nous intéressons à tous ces différents aspects, par un atelier intitulé « Profitable et durable : droit et actionnaires main dans la main ? », une approche par la poursuite pénale sur les problématiques de droit de l’environnement, et la justice et le contentieux environnemental pour les entreprises.

Donc, on voit bien à la fois l’activisme des actionnaires, le besoin de régulation et de poursuite et les bonnes pratiques en matière de respect de l’environnement, qui sont devenues un argument à la fois de recrutement et de communication et qui entrent dans le champ des entreprises.

AP : On voit qu’au niveau mondial, le droit est un véritable levier économique. La France est-elle un peu en retard par rapport à d’autres puissances mondiales ?

SN : On peut certainement mettre en œuvre des initiatives pour reprendre une dynamique plus forte que celle qui existe aujourd’hui parce qu’il faut être présent dans les organisations normatrices, s’appuyer sur nos partenaires européens pour éviter le dumping social, pour valoriser notre contrat social. Tout cela passe évidemment par un travail, notamment pour définir une fiscalité plus équitable, valoriser et protéger ce qu’on peut avoir créé de valeur en France, y compris, par exemple les actifs immatériel des entreprises.

AP : Le développement économique passe aussi par les nouvelles technologies. C’est le cas des legaltechs dans le droit. Les professionnels du droit ont-ils pris cet axeselon vous ?

SN : Nous avons en France un très grand nombre de legaltechs, une vraie dynamique et une vraie rencontre entre l’ingénieur et le juriste pour proposer les meilleurs services possibles et être compétitifs au niveau mondial. Nous avons, sur ce sujet-là, mis en place plusieurs ateliers dédiés à la technologie. On voit bien que cette dernière prend le dessus sur un grand nombre de pans de notre vie quotidienne, se pose alors la question du rôle du droit pour arbitrer ce qui relève de la vie privée, à qui appartient les données et leur monétisation. Donc, comment poser les grands équilibres, notamment au niveau européen ?  Nous aurons également un atelier sur le sujet de la blockchain et la sécurité juridique qu’elle peut apporter.

AP : Lors de cet événement, vous allez également aborder l’hybridation du droit. Qu’est-ce que cette notion ?

SN : C’est exactement le dilemme qui s’impose aux entreprises. Et le plus grand risque pour elles, c’est l’incertitude. Avec l’intégration des systèmes juridiques, voire même le dépassement des systèmes juridiques, les entreprises ne savent plus où donner de la tête. Cet atelier aura vocation à essayer de poser le sujet de l’hybridation comme une matière en soi et de permettre à chacun de réfléchir et de travailler à une méthode qui permet de s’adapter à cette évolution constante qui fait que l’on va vers des normes de plus en plus universelles.

AP : Vous avez également prévu une conférence sur le directeur juridique. Vous êtes-vous rapproché d’associations de directeurs juridiques comme l’AFJE ou le Cercle Montesquieu pour l’organiser ?

SN : Il y a en France un débat sur ce qu’est le directeur juridique, alors que dans d’autres pays, y compris dans certaines grandes entreprises françaises, il est parfaitement intégré au processus de décision stratégique des entreprises, il n’est plus l’exécutant d’une décision de la direction générale. Avoir une direction juridique stratège, c’est une façon de prévenir le risque et donc de protéger l’entreprise. Et pour ça, il faut que le directeur juridique ne fasse plus de droit, mais qu’il fasse de la stratégie juridique. Et nous espérons, notamment avec le soutien du Cercle Montesquieu et de l’AFJE, que nous aurons un débat dépassionné des intérêts corporatistes sur la valeur du directeur juridique stratège.

AP : Il serait finalement à l’image du general counsel, un avocat inscrit au barreau qui n’exerce que pour son entreprise. En somme, un avocat salarié en entreprise ?

SN : Disons que nous allons dans cette direction. Il est clair qu’en ayant cette ségrégation entre le barreau, la direction juridique et même la magistrature, nous créons des distorsions qui n’ont pas lieu d’être. L’objectif est de montrer qu’on peut aller vers une économie avec moins de barrières entre le droit, les entreprises et les professions du droit. Nous aurions absolument tous à gagner à ce que ces barrières sautent, à ce que les potentielles incompréhensions se dissipent et qu’on avance sur des projets communs.

AP : Le poids du droit dans l’économie française, par rapport à d’autres pays, est-il nettement inférieur ?

SN : De l’autre côté de la Manche, la place juridique de Londres accompagne la place commerciale et financière de la ville, parce que c’est là où peuvent se décider les grands investissements, des montages financiers et des transactions sur des volumes très importants. Donc, charge à nous maintenant de travailler de concert pour rattraper notre retard. Nous avons tous les atouts qu’il faut dans un monde post-Brexit, dans un monde qui se remet en question, où les équilibres d’hier seront remplacés par des déséquilibres très fragiles et changeants. La place de Paris a toutes les compétences requises : des cabinet experts de niche, des cabinet nationaux d’envergure internationale pilotes de réseaux et des grands cabinets étrangers. Donc, on a finalement à Paris le melting-pot mondial du droit, une place politique, économique, financière. A nous de trouver la bonne alchimie pour accueillir nos invités et qu’ils repartent plein d’idées et de reconnaissance pour prolonger leur aventure parisienne d’une façon ou d’une autre.

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