L’Union européenne fait actuellement face à une augmentation croissante de la criminalité transfrontalière. La Commission européenne estime à ce titre que la justice pénale de l’Union européenne est “de plus en plus souvent confrontée à des situations dans lesquelles plusieurs États membres sont compétents pour exercer des poursuites dans une même affaire”[1]. Elle vise notamment les infractions commises en bandes organisées telles que trafic de stupéfiants, la criminalité environnementale ou encore le blanchiment de capitaux[2].
En matière de criminalité transfrontalière, la problématique repose essentiellement sur le fait que plusieurs États membres peuvent être compétents pour enquêter et poursuivre les mêmes faits et les mêmes auteurs. Or, l’existence de procédures parallèles identiques entre plusieurs États membres empêche une bonne coordination et l’efficacité des poursuites pénales à l’échelle européenne. De plus, ces procédures parallèles sont susceptibles d’entraîner une “multiplication des restrictions apportées aux droits et aux intérêts” des personnes mises en causes, victimes ou encore témoins. Dès lors, il apparaît nécessaire, lorsque cela est possible, que les procédures pénales soient traitées par l’État membre le mieux placé, et notamment par celui dans lequel la majeure partie de l’infraction a été commise[3].
Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (“TFUE”) consacre la compétence de l’Union européenne en matière de mise en œuvre de mesures visant à faciliter la coopération entre les autorités judiciaires ou équivalentes des États membres, notamment en matière de poursuites pénales et ce afin de prévenir et de résoudre les conflits de compétence entre les États membres[4].
Dès lors, et face à ce constat relatif à l’augmentation des infractions transfrontalières, la Commission a proposé l’adoption d’un nouveau règlement relatif à la transmission des procédures pénales entre les États membres de l’Union européenne. Ce règlement a pour objectif de créer un ensemble de règles communes afin de faciliter la transmission des procédures pénales entre États membres ainsi que la poursuite de l’enquête et des poursuites éventuelles. Selon le texte, ces règles contribueraient à la bonne administration de la justice et à l’efficience de la justice pénale dans les États membres.
S’il venait à être adopté par le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne[5], le règlement serait juridiquement contraignant et directement applicable par l’ensemble des États membres de l’Union européenne[6]. Près d’un an après sa publication, les négociateurs de la présidence belge du Conseil et du Parlement européen ont annoncé être parvenus à un accord provisoire sur la proposition de règlement[7].
Jusqu’alors, les mesures existantes au sein de l’Union européenne ne réglementaient pas une telle forme de coopération, bien qu’un accord relatif à la transmission des procédures répressives ait été signé en 1990. Ce dernier n’est en effet jamais entré en vigueur en raison du nombre insuffisant de ratifications[8].
La proposition du règlement rappelle qu’il ne pourra être applicable qu’à partir du moment où une personne a été identifiée comme suspect[9].
Le règlement expose les différents critères que doivent remplir l’État requérant et l’État requis lorsqu’une demande de transmission d’une procédure pénale est envisagée et examinée (I). Il prévoit également un certain nombre de droits s’agissant de la personne suspectée (II). Enfin, il régit les effets de la transmission d’une procédure pénale entre l’État requérant et l’État requis (III).
I. Certains critères doivent être remplis aussi bien par l’État requérant que par l’État requis lors d’une demande de transmission de procédures pénales au sein de l’Union européenne
A titre liminaire, le règlement définit l’État requérant comme l’État membre dans lequel une demande de transmission d’une procédure pénale est émise, alors que l’État requis est l’État membre auquel une demande de transmission d’une procédure pénale est transmise aux fins de la reprise de ladite procédure pénale[10].
Les demandes de transmission de procédures pénales ne peuvent être émises que lorsque l’autorité requérante (i.e., un juge, une juridiction ou un procureur compétent dans l’affaire concernée ou encore toute autorité compétente désignée comme telle par l’État requérant[11]) estime que l’objectif d’une administration efficiente et correcte de la justice serait mieux accompli si la procédure pénale était menée dans un autre État membre[12].
Afin de déterminer la pertinence de la transmission d’une procédure pénale, la proposition de règlement a établi une liste de critères. Ces critères comprennent notamment le fait que l’infraction ait été commise, intégralement ou non, sur le territoire de l’État requis, ou que la majorité de ses effets ou préjudices ont eu lieu sur le sol de cet État[13].
De la même façon, si le suspect ou la personne poursuivie est un ressortissant ou un résident de l’État requis, ou bien qu’il se trouve dans cet État et que ce dernier refuse de le remettre à l’État requérant, le règlement autorise l’État requérant à formuler une demande de transmission de la procédure pénale[14].
Il est également possible de mentionner que, le fait que la plupart des éléments de preuve nécessaires à la conduite de l’enquête se trouve dans l’État requis permet à l’État requérant de formuler une demande de transmission de la procédure pénale[15].
Le règlement ouvre également la possibilité pour la personne suspectée ou poursuivie, aux victimes mais également aux avocats agissant en leur nom, de formuler une demande aux autorités compétentes de l’État requérant ou de l’État requis d’engager une procédure de transmission d’une procédure pénale. Cependant, le règlement ne créé pas d’obligation pour l’État requérant de transmettre une procédure pénale à l’État requis ni de formuler une demande en ce sens[16].
L’autorité requérante souhaitant procéder à une demande de transmission d’une procédure pénale doit remplir un certificat annexé au règlement. Cette demande doit être motivée et contenir diverses informations telles que (i) une description de l’infraction pénale faisant l’objet de la procédure pénale et les dispositions applicables du droit pénal de l’État requérant, (ii) les raisons pour lesquelles la transmission est nécessaire et appropriée, (iii) les informations nécessaires disponibles sur le suspect ou la personne poursuivie ainsi que sur la victime[17].
Le certificat ainsi que les autres informations écrites accompagnant la demande de transmission de la procédure pénale doivent être traduits dans l’une des langues officielles de l’État requis ou dans toute autre langue que l’État requis accepte[18].
L’autorité requise, à la réception du certificat, doit rendre une décision motivée sur l’acception ou non de la transmission de la procédure pénale et ce dans un délai de soixante jours au maximum. Elle est en droit de demander des informations complémentaires à l’autorité requérante dès lors qu’elle estime que celles préalablement communiquées sont insuffisantes pour lui permettre d’accepter ou non la transmission[19].
Le règlement prévoit les situations dans lesquelles l’autorité requise peut refuser la transmission d’une procédure pénale. Il s’agit notamment de l’hypothèse dans laquelle, en vertu du droit national de l’État requis, une procédure pénale ne peut pas être engagée contre le suspect ou la personne poursuivie pour les faits à l’origine de la demande de transmission de la procédure pénale car (i) le comportement faisant l’objet de la demande ne constitue pas une infraction pénale au regard du droit de l’État requis, (ii) la reprise de la procédure pénale est susceptible d’être contraire au principe non bis in idem, (iii) le suspect ou la personne poursuivie ne peut pas être tenu pénalement responsable de l’infraction pénale en raison de son âge[20].
L’autorité requise est également autorisée à refuser la transmission d’une procédure pénale, en tout ou partie dès lors que (i) le droit de l’État requis prévoit une immunité ou un privilège rendant impossible toute action, (ii) qu’elle estime que la transmission de la procédure n’est pas dans l’intérêt d’une administration efficiente ou correcte de la justice, (iii) ou encore lorsque l’infraction pénale n’a pas été commise en tout ou partie sur le territoire de l’État requis, ou lorsque ses effets ou une part importante du préjudice en découlant n’ont pas eu lieu sur son territoire, et que le suspect ou la personne poursuivie n’est pas un ressortissant ou un résident de cet État[21].
En cas de refus, l’autorité requise doit informer l’autorité requérante des motifs de ce refus. Le suspect ou la personne poursuivie ainsi que la victime seront également informés de ce refus[22].
En cas d’acceptation par l’autorité requise de la transmission de la procédure pénale, l’autorité requérante doit lui fournir sans délai l’original ou une copie certifiée conforme du dossier de l’affaire, accompagnés de leur traduction dans une langue officielle de l’État requis ou toute autre langue que l’État accepte[23].
II. Le suspect ou la personne poursuivie ont le droit d’être informés lorsqu’une demande de transmission de la procédure pénale les concernant est émise et de formuler des observations à ce sujet
Le règlement prévoit par ailleurs que le suspect ou la personne poursuivie soient informés, conformément au droit national applicable, de la volonté de transmettre la procédure. Cette information doit être faite dans une langue qu’il comprend. Il lui également laissé la possibilité de formuler des observations orales ou écrites à ce sujet. Cet avis est pris en compte par l’autorité requérante lorsque celle-ci décide ou non de transmettre la procédure. Ce droit n’est effectif que si le suspect ou la personne poursuivie est localisée[24]. Cet avis sera également transmis à l’autorité requise en même temps que la demande de transmission de la procédure pénale[25].
Le suspect ou la personne poursuivie est également informé immédiatement, dès lors qu’il est localisable, de “l’émission de la demande de transmission de la procédure pénale et de l’acceptation ou du refus ultérieurs de la transmission par l’autorité requise[26]”. Dans l’hypothèse où l’autorité requise accepte la demande de transmission de la procédure pénale, le suspect ou la personne poursuivie doit être informé de son droit à un recours juridictionnel dans l’État requis, ainsi que des délais dans lesquels ce recours doit être formé[27].
III. Sauf exceptions, la transmission de la procédure pénale à l’État requis suspend ou clos la procédure au sein de l’État requérant
Le règlement impose que la procédure pénale soit suspendue au sein de l’État requérant au plus tard à la réception de la notification de l’acceptation par l’autorité requise de la transmission de ladite procédure. Une exception est prévue concernant la formation d’un recours juridictionnel avec effet suspensif. Dans telle hypothèse, la procédure pénale est suspendue ou close dans l’État requérant lorsqu’une décision définitive sur le recours a été prise[28].
L’acceptation par l’autorité requérante de la transmission de la procédure pénale l’autorise alors à entreprendre ou maintenir les mesures d’enquêtes et procédurales visant à (i) empêcher la fuite du suspect ou de la personne poursuivie, (ii) faire exécuter une décision fondée sur la décision-cadre 2002/584/JAI ou un autre instrument de reconnaissance mutuelle ou une demande d’entraide judiciaire[29].
Une fois transmise, la procédure pénale est régie par le droit national de l’État requis. Cependant, tous les actes qui auront été accomplis pour les besoins de la procédure pénale ou de l’instruction et menés par les services et autorités compétents de l’État requérant disposeront de la même validité dans l’État requis que s’ils avaient été valablement accomplis par ses propres autorités[30]. Il en va de même pour les éléments de preuve transmis par l’autorité requérante. En effet, ceux-ci ne doivent pas être déclarés inadmissibles du seul fait d’avoir été recueillis dans un autre État membre. Le règlement dispose que ces éléments de preuve recueillis par l’État requérant peuvent valablement être utilisés dans le cadre de la procédure pénale menée dans l’État requis, à la condition que leur admissibilité ne soit pas contraire aux principes fondamentaux du droit de l’État requis[31].
Enfin, la Commission européenne veillera à la bonne application du nouveau règlement, notamment en assurant la mise en œuvre d’un système informatique décentralisé afin de guider, de faciliter et d’assurer un échange électronique de communications rapide, sûr et fiable[32].
Malgré l’efficacité indéniable attendue de ce nouveau règlement, celui-ci n’est toujours pas entré en vigueur. En effet, si le Conseil de l’Europe a, le 4 décembre dernier, arrêté sa position (orientation générale) sur cette proposition, ni sa publication ni la finalisation des négociations le concernant n’ont été annoncés[33].
Dans cette position, le Conseil exprime que la question la plus délicate à traiter était relative aux recours juridictionnels, contre la décision de l’autorité requise d’accepter une demande de transmission de la procédure pénale[34]. Le recours juridictionnel effectif a finalement été confirmé.
Enfin, le texte sur lequel le Conseil et le Parlement européen se sont accordés n’a pas encore été publié, mais confirme les droits de la victime et de la personne suspectée, ainsi que le droit à un recours juridictionnel effectif dans un délai réduit[35].
L’accord provisoire doit à présent être soumis, pour approbation, aux représentants des États membres au sein du Conseil (Coreper) et à la commission de la justice du Parlement. S’il est approuvé, et après sa mise au point par les juristes-linguistes, le texte devra ensuite être formellement adopté par les deux institutions, avant de pouvoir être publié au Journal officiel de l’UE et entrer en vigueur. Le règlement entrera en application deux ans après son entrée en vigueur.