Que ce soit l’Autorité des marchés financiers (AMF), l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), l’Autorité de la concurrence ou la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), l’activité répressive et contentieuse des régulateurs a été, cette année encore, très soutenue.
La lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme au cœur des préoccupations des régulateurs
De façon générale, et transversale, les régulateurs des secteurs bancaires et financiers ont placé la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT) au cœur de leurs préoccupations.
A cet égard, la Commission des sanctions de l’ACPR, qui a rendu six décisions en 2023, a majoritairement statué sur des manquements en matière de LCB-FT et gel des avoirs. La Commission des sanctions a notamment clarifié les obligations en matière d’examen renforcé et de déclaration de soupçon à Tracfin pour éviter des interprétations erronées fréquentes.
Cette même Commission a rendu plusieurs décisions remarquables, à l’encontre d’institutions bancaires ou de compagnies d’assurances, qui se sont vues sanctionnées pour des manquements significatifs à leurs obligations de LCB-FT. Ces sanctions comprenaient des amendes élevées et des blâmes, soulignant les carences dans les dispositifs de suivi et d’analyse des opérations, ainsi que la mise à jour des connaissances clients et la détection des personnes politiquement exposées (PPE). Il est également intéressant de noter que, pour chaque décision, la Commission a pris en compte les actions de remédiation déjà engagées par les entités concernées.
“La LCB-FT constitue un axe de supervision récurrent et important pour l’AMF »
En 2023, l’AMF a également poursuivi ses actions en matière de LCB-FT, afin notamment d’harmoniser les pratiques de supervision à l’échelle européenne, sous l’impulsion de l’Autorité bancaire européenne (EBA). Par ailleurs, l’AMF, l’ACPR, Tracfin et la Direction générale des finances publiques (DGFIP) ont renforcé leurs efforts contre le blanchiment, le financement du terrorisme, l’évasion et la fraude fiscales en mettant en œuvre les accords de 2022. L’AMF s’est également engagée dans l’évaluation de l’OCDE sur la mise en œuvre de la norme commune de déclaration pour l’échange automatique d’informations fiscales, visant à lutter contre la dissimulation fiscale, avec des rapports attendus d’ici 2025.
Au cours de l’année 2023, l’AMF a également conduit de nombreux contrôles portants sur le dispositif de LCB-FT des sociétés de gestion. Ces contrôles ont relevé des lacunes dans les procédures en place concernant notamment la classification des clients, les diligences à réaliser, l’intervention d’intermédiaires ou encore la recherche de PPE ou de mesure de gel des avoirs. L’AMF a également constaté au prisme de ces contrôles que le contrôle interne des sociétés de gestion méritait, de façon générale, d’être renforcé en matière de LCB-FT et a rappelé que “la LCB-FT constitue un axe de supervision récurrent et important pour l’AMF, qui continuera à mobiliser, sur cette thématique, ses équipes de contrôle et sa filière répressive”.
Par ailleurs, TRACFIN, cellule de renseignement financier français chargée de la lutte contre les circuits financiers clandestins et de la LCB-FT, a publié son “Bilan 2023 – LCB-FT : activité des professions déclarantes” le 11 avril 2024, dans lequel elle relève une hausse des transmissions de déclaration de soupçons, le secteur financier demeurant la source la plus abondante de déclarations.
Pour aller plus loin : Activités de l’Autorité des Marchés Financiers
Création de l’Anti-Money Laundering Agency ou AMLA
En outre, la principale nouveauté au sein de l’Union européenne est la création d’une nouvelle autorité de LCB-FT, l’Anti-Money Laundering Agency ou AMLA, qui sera basée à Francfort, en Allemagne, et qui débutera ses activités dans le courant de l’année 2025.
Cette autorité a été conçue comme un organe de l’Union doté de la personnalité juridique et jouissant de la capacité juridique. Elle a pour mission d’assurer la LCB-FT au sein de l’Union par la mise en œuvre de ses pouvoirs de surveillance et en contribuant à la convergence d’une surveillance dans l’ensemble du marché intérieur ainsi qu’ à l’amélioration de la coopération entre les cellules de renseignement financier nationales (CRF) et les autorités de surveillance.
Pour aller plus loin : Contours de la future autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux
L’utilisation et la protection des données au centre de l’attention de ces autorités
Le Conseil de l’Europe a récemment publié des lignes directrices visant à harmoniser la protection des données personnelles avec les exigences de LCB-FT. Ces directives soulignent l’importance de respecter les principes fondamentaux de la protection des données, et notamment du RGPD, dans la mise en œuvre des obligations en matière de LCB-FT, qui prévoient plusieurs contextes de traitement des données à caractère personnel, essentiellement fondés sur l’intérêt public, définissant des obligations détaillées pour les responsables du traitement. Cela s’étend au traitement des données à caractère personnel par les autorités gouvernementales qui sont juridiquement chargées de la LCB-FR et dotées de pouvoirs spécifiques en la matière, mais aussi par des entités privées aux mêmes fins d’intérêt public et pour leurs propres intérêts commerciaux.
Par ailleurs, le 10 mai 2023, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu cinq arrêts concernant la conformité avec le droit de l’Union européenne des dispositions françaises relatives au recueil et à la conservation des données de connexion par les enquêteurs de l’AMF. Ces arrêts font suite aux décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 20 septembre 2022, qui ont statué sur la légalité de ces pratiques en France. La Cour de cassation a jugé que le droit de l’UE permet la conservation généralisée et indifférenciée des données en raison de menaces graves et actuelles à la sécurité nationale et l’accès à ces données pour résoudre des infractions pénales graves. La Cour de cassation a également établi que l’AMF peut, dès le début d’une enquête administrative sur un abus de marché, demander la conservation rapide des données de connexion, sous réserve de deux critères : la gravité et la nécessité, qui sont appréciées au cas par cas.
Coopération entre la CNIL et l’Autorité de la concurrence
En outre, le 12 décembre 2023, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et l’Autorité de la concurrence ont réaffirmé leur volonté commune de parvenir à un équilibre entre protection des données personnelles des consommateurs et libre jeu de la concurrence après avoir constaté une “intersection” entre l’analyse concurrentielle d’une part, et la protection des données personnelles des consommateurs d’autre part. Ces deux autorités ont affirmé leur engagement à poursuivre leur coopération et leurs réflexions conjointes afin de garantir aussi bien les intérêts des consommateurs que ceux des acteurs économiques concernés, en offrant notamment à ces derniers une plus grande sécurité juridique s’agissant de leurs obligations. En pratique, leur coopération se matérialise aussi bien dans un cadre formel (i.e., grâce aux saisines pour avis), que dans un cadre consultatif ou contentieux. De manière informelle, elles peuvent également se consulter mutuellement dans le cadre d’échanges de point de vue exploratoires sur une thématique donnée ou aux fins d’engager des études communes sur des sujets d’intérêts mutuels.
Pour aller plus loin :