Le 15 septembre 2022, Lisa Monaco, Procureur Général adjoint du Département de la Justice américain (“DoJ”), a annoncé plusieurs changements concernant sa politique en matière de poursuite pénale des entreprises. Elle a ainsi présenté le contenu d’un nouveau mémorandum complétant les dispositions déjà prises en la matière en octobre 2021. L’objectif de ce texte est de fournir des orientations sur la façon dont les procureurs américains doivent s’assurer que les individus et les entreprises rendent compte de leurs actes dans le cadre de la lutte contre la criminalité économique.
Les éléments clés de ce mémorandum peuvent être regroupés en 6 points essentiels.
I. La responsabilité des personnes physiques et la coopération des entreprises
L’engagement de responsabilité des personnes physiques impliquées dans la commission de faits répréhensibles est annoncé comme une priorité dans la politique du DoJ[1]. La volonté de poursuites effectives à leur encontre est réaffirmée.
Ainsi et dans le cas où un individu est visé par une enquête ouverte par une juridiction étrangère pour les mêmes faits que ceux sur lesquels les autorités américaines enquêtent, les procureurs américains doivent déterminer s’il existe une probabilité significative que l’individu fasse l’objet de poursuites efficaces dans l’autre juridiction avant de renoncer à le poursuivre[2].
Face au constat que nombre d’entreprises retardent la production d’informations ou de documents lorsqu’ils mettent en cause un individu, les entreprises devront pour pouvoir bénéficier d’un crédit de coopération, révéler en temps utile au DoJ tous les éléments non-confidentiels pertinents sur les faits reprochés aux individus, c’est à dire peu de temps après la découverte des faits par l’entreprise concernée. A contrario, les entreprises qui retarderaient volontairement la divulgation des faits pourraient se voir refuser ces crédits[3].
II. La prise en compte des antécédents des entreprises
Dans le cadre de leurs enquêtes, les procureurs américains doivent prendre en compte tous les comportements répréhensibles antérieurs imputables à l’entreprise, y compris les décisions[4] pénales, civiles et règlementaires passées, tant au niveau interne qu’international[5].
Le mémorandum précise que seront en priorité pris en compte les résolutions pénales américaines récentes et les comportements antérieurs impliquant le même personnel ou la même direction que ceux visés par les poursuites en cours. A l’inverse, il conviendra d’accorder moins d’importance aux résolutions pénales antérieures, conclues plus de dix ans avant le comportement faisant l’objet de l’enquête, et aux résolutions civiles et réglementaires, conclues plus de cinq ans auparavant, sans pour autant que celles-ci soient complètement exclues de l’analyse des procureurs[6].
En outre, les procureurs devront prendre en compte les circonstances dans lesquelles les faits ayant donné lieu à une précédente sanction ont été commis, ceux-ci pouvant constituer un indice du manque d’engagement de l’entreprise en matière de conformité, ainsi que les éventuelles mesures de remédiation prises par la suite. Les accords de non-poursuite ou de poursuite différée devront généralement être évités pour les faits impliquants le même type de mauvaise conduite, le même personnel ou les mêmes entités que ceux concernés par une précédente sanction[7].
III. La divulgation volontaire et la coopération de l’entreprise
Les politiques et les procédures du DoJ doivent permettre de s’assurer qu’une entreprise tire profit de sa décision de révéler volontairement des faits répréhensibles aux autorités. A cet égard, le mémorandum invite tous les services du DoJ à adopter des politiques claires et publiques énonçant leurs attentes en matière de divulgation volontaire, et à exposer les avantages que les entreprises peuvent s’attendre à recevoir si elles coopèrent[8].
Par ailleurs, en l’absence de facteur aggravant, le DoJ ne doit pas chercher à obtenir un plaider-coupable avec une entreprise ayant volontairement porté des faits répréhensibles à sa connaissance, si celle-ci y a remédié en temps voulu et de manière appropriée[9]. De même, le DoJ ne doit pas exiger la mise en place d’un moniteur de conformité indépendant si l’entreprise a volontairement révélé les faits en question et a mis en œuvre un programme de conformité efficace[10].
IV. La force du programme de conformité en place dans l’entreprise
Bien que l’existence d’un programme de conformité et d’une culture d’entreprise éthique ne constituent pas une barrière à l’exercice de poursuites pénales, ces éléments peuvent avoir un impact significatif sur les termes de l’éventuel accord obtenus avec le DoJ[11].
Les procureurs doivent ainsi évaluer l’adéquation et l’effectivité de programme de conformité de l’entreprise au regard, notamment, des critères suivants : la structure du programme de conformité, l’adéquation des ressources allouées à celui-ci, sa capacité à fonctionner efficacement, et son fonctionnement en pratique[12].
En plus de ces critères, deux nouveaux facteurs doivent être pris en considération :
- Le premier concerne l’existence d’un système de promotion d’une culture d’entreprise éthique, visant à récompenser les salariés en cas de bonne conduite, et à les pénaliser en cas de mauvaise conduite. Ce système doit être évalué relativement à sa mise en œuvre et non pas au regard de ce qu’il prévoit en théorie[13];
- Le second concerne la mise en place par l’entreprise, de politiques et procédures régissant l’utilisation d’appareils de communication électronique personnels et de plateformes de messagerie tierces. L’entreprise doit s’assurer de la préservation des communications électroniques liées à son activité, et qu’elle sera en mesure de les recueillir et de les fournir au gouvernement dans le cadre d’une enquête[14].
V. Le recours à un moniteur de conformité indépendant
Dans la continuité de ce qui avait été énoncé dans le mémorandum d’octobre 2021, le recours à un moniteur indépendant perdurera autant que nécessaire, en fonction des faits et des circonstances particulières de l’affaire[15].
Le mémorandum du 15 septembre 2022 établit une liste non-exhaustive de facteurs à prendre en considération dans l’évaluation de la nécessité d’un recours à un moniteur, tels que la révélation volontaire des faits répréhensibles par l’entreprise, l’existence au moment de la révélation volontaire des faits d’un programme de compliance approprié ou encore la participation de personnes membres de la fonction conformité aux faits répréhensibles[16].
Par ailleurs, la sélection d’un moniteur doit se faire de manière transparente et suivant une procédure établie et rendue publique[17].
Dans l’hypothèse où un moniteur est imposé dans le cadre d’une résolution avec le DoJ, les procureurs doivent s’assurer que les responsabilités du moniteur et la portée de son autorité sont définies et prévues par écrit. L’objectif de ces nouvelles orientations est de permettre le contrôle du DoJ sur le moniteur, ce dernier devant par ailleurs rendre compte régulièrement de sa mission[18].
VI. La transparence dans l’application de la loi
Dans l’objectif d’encourager les entreprises à adopter les comportements adéquats, le mémorandum impose des obligations de transparence s’agissant des accords conclus par le DoJ à la suite d’une enquête. Dès lors, chaque accord doit énoncer les faits reprochés ainsi que les raisons ayant mené le DoJ à choisir la voie d’un accord, et portant notamment sur la coopération de l’entreprise, les antécédents judiciaires de celle-ci ou encore l’état de son programme de conformité à l’époque des faits reprochés[19].
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Le texte intégral du mémorandum du Procureur Général Adjoint Lisa Monaco est à retrouver ici.