Analyse
12 octobre 2022

Discussions autour des secrets dans les procédures répressives et de la régulation en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme

Le 5 octobre 2022 s’est tenu le colloque annuel de la Commission des sanctions de l’AMF. A cette occasion, des membres des autorités de régulation, magistrats, professeurs et avocats ont pu débattre de la problématique des secrets dans le cadre des procédures répressives ainsi que des évolutions de la régulation en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

 

Après un discours d’ouverture prononcé par le président de la Commission des sanctions, revenant sur l’actualité jurisprudentielle de l’année écoulée, le procureur général près la Cour de cassation a souligné l’importance, ainsi que la difficulté, de l’articulation des impératifs liés à la recherche des preuves avec le nécessaire respect de la vie privée et la protection des secrets opposables aux autorités judiciaires ou administratives. Ce dernier a ensuite rappelé que les mécanismes probatoires tendant à obtenir la levée du secret, ou à en favoriser la révélation, se sont multipliés ces dernières années[1], en faisant notamment référence aux récentes décisions limitant la protection du secret bancaire[2], tout en soulignant que le contrôle du droit de la preuve s’était également renforcé, en s’appuyant notamment sur le principe de proportionnalité.

S’agissant de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (“LCB-FT”), cet intervenant a exposé que, en tant qu’acteur judiciaire de terrain, la lutte contre le terrorisme devait nécessairement s’appuyer sur le recueil de renseignements financiers. Il a illustré son propos par une présentation de l’affaire dite “Syrian Wallet”, qui a impliqué plusieurs pays européens dont la France, avec l’assistance d’Europol, et qui a permis de révéler des services organisés par l’Etat islamique pour soutenir financièrement les combattants étrangers en Syrie, en Irak et en Libye[3].

 

I. Les secrets dans le contexte des procédures répressives

Au cours de la première table ronde, un membre de la Commission des sanctions de l’AMF, la directrice du service des enquêtes de cette autorité, le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence (“AdC”) et un avocat ont débattu du traitement des secrets dans les procédures répressives, administratives ou judiciaires, au regard notamment de l’objectif d’efficacité opérationnelle dans la recherche de preuves.

Parmi les différents secrets évoqués, les débats les plus fournis ont porté sur le secret couvrant les correspondances entre un avocat et son client ainsi que sur l’accès aux données de connexion, aussi appelées fadets. Il a par ailleurs été rappelé que les autres secrets, tels que le secret bancaire ou le secret des affaires, ne sont pas opposables aux autorités.

Sur le premier thème, si les représentants de l’AMF et de l’AdC ont confirmé que le respect du secret des correspondances entre un avocat et son client était garanti par leurs procédures respectives dans le cadre des saisies documentaires, et notamment des saisies de messageries électroniques, le périmètre de ce secret n’est toutefois pas apparu uniforme. En effet, si les enquêteurs de l’AMF excluent de leurs saisies toutes les correspondances échangées entre un avocat et son client, quel qu’en soit l’objet, la pratique de l’AdC est différente. Comme l’a exposé son rapporteur général, dans le cadre des enquêtes de concurrence seules sont protégées les correspondances portant sur une stratégie de défense, à l’exclusion de celles relatives à des conseils prodigués. Si cette pratique n’a pour l’instant pas été censurée par la Cour de cassation[4], elle apparaît contraire à la loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire qui garantit, en son article 3, “le respect du secret professionnel de la défense et du conseil”, ainsi qu’à la jurisprudence européenne récente, aux termes de laquelle le privilège dont sont revêtus les échanges entre un avocat et son client ne sont pas limités aux contentieux en cours, mais s’étend également à la fonction de conseil de l’avocat[5].

Les représentants de l’AMF et de l’AdC ont également rappelé que le tri opéré dans les messageries électroniques, nécessaire pour éliminer les correspondances couvertes par le secret professionnel de la procédure, était réalisé sous l’autorité des enquêteurs qui s’assurent que les messages éliminés l’ont été légitimement, ce qui implique qu’ils en prennent connaissance, ne serait-ce que brièvement. Cette pratique, qu’elle résulte d’une procédure ad hoc en matière d’enquêtes AMF ou de la mise en place d’un scellé fermé provisoire dans le cadre d’enquêtes de concurrence[6], a suscité de vives critiques, dès lors qu’elle présente le risque d’introduire un biais chez les personnes en charge de l’enquête qui ont eu accès aux documents couverts par le secret.

Sur le second thème, relatifs aux fadets, il a été rappelé que l’accès aux données de connexion a été encadré par plusieurs arrêts et décisions récents[7]. Ont notamment été évoqués les arrêts rendus par la Cour de justice de l’Union européenne (“CJUE”) le 20 septembre dernier[8], aux termes desquels la conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion n’est pas autorisée, notamment dans le cadre d’enquêtes portant sur des abus de marché, à l’exception de menaces graves pour la sécurité nationale. Bien que les demandes d’accès aux données de connexion soient aujourd’hui encadrées par un contrôleur des données de connexion[9], il reste que, de l’aveu du secrétaire général de l’AMF, la censure de la CJUE constitue un facteur d’insécurité juridique des procédures AMF.

 

II. Régulation et LCB-FT

La seconde table ronde, qui a réuni le directeur adjoint de TRACFIN, le président de la Commission des sanctions de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (“ACPR”), un maître de conférences, le secrétaire général adjoint de l’AMF en charge de la Direction de la gestion d’actifs ainsi qu’un avocat spécialisé dans ce domaine, sous la modération du président de la 2ème section de la Commission des sanctions de l’AMF, a porté sur la régulation de la LCB-FT.

Les intervenants ont notamment rappelé l’historique de cette réglementation, que ce soit au niveau européen ou national, et ont présenté les dernières conclusions[10], très positives concernant la France, du Groupe d’action financière, un organisme intergouvernemental ayant pour mission l’élaboration des normes et la promotion de l’efficace application de mesures législatives, réglementaires et opérationnelles en matière de LCB-FT notamment.

A cet égard, il a été indiqué que les services bancaires et financiers sont au cœur de la LCB-FT, qui concernent près de 80% des déclarations de soupçon reçues par TRACFIN.

Mais si l’ACPR et l’AMF disposent d’une compétence partagée en matière de LCB-FT, c’est l’ACPR, superviseur des activités bancaires notamment, qui concentre le plus d’activités directement exposées aux risques de blanchiment, tandis que l’AMF, qui encadre les prestataires de services d’investissement, sociétés de gestion et conseillers en investissements financiers, se positionne en second rang. Cependant, les décisions de la Commission des sanctions de l’AMF sont de plus en plus nombreuses à constater la violation de manquements à la réglementation en matière de LCB-FT, matérialisés par des défaillances dans la gouvernance, les procédures, la preuve des diligences réalisées ou leurs mises à jour.

Enfin, ce colloque a été clôturé par un discours du secrétaire général de l’AMF qui a notamment souligné la détermination de l’AMF “à mener à bien des enquêtes complexes et à faire sanctionner des manquements qui portent gravement atteinte à l’intégrité des marchés et à la protection des investisseurs”.

 

Contenu similaire

Revue de presse
23 février 2024
Revue de presse – Semaine du 19 février 2024
Cette semaine, la revue de presse revient sur la condamnation pour fraude de Donald Trump et deux de ses fils...
Analyse
UBS
17 novembre 2023
Saga UBS : 2e réévaluation de la sanction financière historique infligée à la banque suisse...
Le 15 novembre 2023, dans le cadre de la saga UBS ayant débutée le 20 février 2019, les juges du...
Publication
Bastille day newsletter 2023
14 juillet 2023
Bastille Day Newsletter 2023
En ce 14 juillet, l’équipe Navacelle vous propose, comme chaque année, une sélection d'événements marquants survenus en France au cours...
Événement
11 mai 2023
La pratique des enquêtes internes
Julie Zorrilla et Roxane Castro sont intervenus hier auprès des étudiants du Master Droit pénal financier de CY Université, pour...
Revue de presse
Revue de Presse Navacelle
14 avril 2023
Revue de presse – Semaine du 10 avril 2023
Cette semaine dans la revue de presse, Anticor accuse l’ancien président d’EDF de prise illégale d’intérêts, un banquier suisse plaide...
Revue de presse
7 avril 2023
Revue de presse – Semaine du 3 avril 2023
Cette semaine, la revue de presse revient sur la publication par la CNIL de l'édition 2023 de son guide sur...
Revue de presse
Revue de presse - Semaine du 24 octobre 2022
28 octobre 2022
Revue de presse – Semaine du 24 octobre 2022
Cette semaine vous découvrirez plusieurs évènements importants sur le plan judiciaire. En effet, une convention judiciaire d’intérêt public ("CJIP") entre...
Revue de presse
Revue de presse - Semaine du 10 octobre 2022
14 octobre 2022
Revue de presse – Semaine du 10 octobre 2022
Cette semaine vous trouverez deux évènements marquants sur le plan judiciaire : Une CJIP environnementale a été conclue entre Nestlé...
Revue de presse
Revue de presse - Semaine du 29 août 2022
2 septembre 2022
Revue de presse – Semaine du 29 août 2022
Dans cette revue de presse vous retrouverez les enjeux pour la France à la suite du retard de transposition de...
Analyse
Le transfert de la responsabilité pénale en cas de fusion-absorption
14 juillet 2022
Le transfert de la responsabilité pénale en cas de fusion-absorption
Par un arrêt de cassation du 13 avril 2022, la Cour a précisé la nature du contrôle opéré par le...
Événement
25 avril 2022
Point sur la justice négociée et la Convention judiciaire d’intérêt public à travers le monde...
Stéphane de Navacelle est intervenu lors de la conférence annuelle de l'International Law Section organisée par l'American Bar Association....
Revue de presse
Revue de presse - semaine du 4 avril 2022 (vignette)
8 avril 2022
Revue de presse – Semaine du 4 avril 2022
Dans cette revue de presse, vous retrouverez notamment des articles sur les enseignements des lois du 21 mars 2022 relatives...