Depuis la loi du 23 octobre 2018, et en application de l’article L228 I du Livre des procédures fiscales, lorsque dans le cadre d’un contrôle, l’administration fiscale prononce un redressement dont le montant des droits éludés est supérieur à 100 000€ et est assorti des pénalités les plus graves (i.e 100%, 80% ou 40% en récidive), elle est dans l’obligation de transmettre le dossier au Procureur de la République[1] qui dispose de l’opportunité des poursuites.
Par suite d’un contrôle fiscal ayant conduit à une telle dénonciation automatique de la part de l’administration fiscale au Procureur de la République, le gérant de la société contribuable comparaissait devant le Tribunal correctionnel pour fraude fiscale. Le prévenu avait à cette occasion soulevé une exception de nullité visant à faire annuler les actes d’enquête, au motif que dans le cadre de sa dénonciation faite au Procureur, l’administration fiscale n’avait pas transmis l’avis de mise en recouvrement permettant d’apprécier le respect des conditions de l’article L228 I du Livre des procédures fiscales. Le Tribunal correctionnel avait alors fait droit à la demande du prévenu.
Saisi d’un appel du Procureur de la République et de l’administration fiscale, la Cour d’Appel de Versailles dans son arrêt du 10 mars 2022, avait également fait droit à la demande de nullité du prévenu.
Le Procureur général et l’administration fiscale avaient formé un pourvoi en cassation.
Le Procureur général soulevait le moyen selon lequel, seule la méconnaissance des dispositions de l’article L.47 du livre des procédures fiscales[2], en ce qu’elles visent à garantir les droits de la défense du contribuable, était susceptible d’entrainer le prononcé par le juge pénal, de la nullité des opérations administratives préalables à l’engagement des poursuites pénales pour fraude fiscale.
Il soulevait également que l’article L.228 du livre des procédures fiscales qui prévoit la dénonciation des faits de fraude fiscale, n’exigeait pas de l’administration fiscale qu’elle annexe à sa dénonciation l’avis de mise en recouvrement. L’administration fiscale soulevait également ce moyen.
Par ailleurs, le Procureur général s’appuyait sur l’articulation de la procédure administrative avec le procès pénal et la compétence de l’autorité répressive. En effet, il précisait que l’avis de mise en recouvrement ne constituait pas un acte administratif individuel susceptible d’être contesté par voie d’exception devant le juge répressif, de sorte que la solution pénale ne dépendait ni de la légalité dudit avis, ni de la dénonciation par l’administration. Qu’enfin, il ne revenait pas au juge pénal d’apprécier les conditions de la dénonciation des faits prévues à l’article L.228 du livre des procédures fiscales.
L’administration fiscale faisait valoir que l’article L.228 du Livre des procédures fiscales faisait référence aux majorations retenues “au stade de la mise en recouvrement” de sorte que l’administration fiscale, pouvait fonder son appréciation des majorations fixées sur tous documents se rapportant à la procédure de mise en recouvrement. Que la production de l’avis de mise en recouvrement au stade de la contestation de la régularité de la procédure par le prévenu était suffisante.
Enfin, l’administration fiscale soulevait que les juges de la Cour d’Appel de Versailles avaient dénaturé les écrits de la procédure en considérant que l’avis de mise en recouvrement du 15 mars 2019 ne faisait pas référence aux majorations, nécessaires au déclenchement de la procédure de dénonciation, alors même que ledit avis mentionnait les sommes dues au titre des majorations et renvoyait au courrier de motivation.
Le 13 septembre 2023, la chambre criminelle de la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 10 mars 2022 qui, avait retenu que l’absence d’annexion de l’avis de mise en recouvrement à la dénonciation des faits de fraude fiscale, au Procureur de la République, constituait une cause de nullité de la procédure.
Les juges de la chambre criminelle confirmaient que l’article L.228 du livre des procédures fiscales ne prévoyait “pas que la dénonciation obligatoire doive être accompagnée de l’avis de mise en recouvrement des droits, pénalités et intérêts de retard”.
Ils retenaient également que l’absence d’annexion de l’avis de mise en recouvrement ne constituait pas une cause de nullité de la procédure dès lors que les juges étaient en mesure de s’assurer par le biais d’autres pièces, que les critères légaux permettant de déclencher la procédure de dénonciation étaient réunis. En effet, la Chambre criminelle considérait que la Cour d’Appel aurait dû rechercher, notamment sur la proposition de rectification définitive ainsi que sur la réponse de l’administration aux observations du contribuable, que les droits éludés étaient supérieurs à 100 000€ et assortis d’une majoration de 100%, 80% ou 40%.