Le 9 mai dernier, le Ministre délégué aux comptes publics a présenté un plan de lutte contre la fraude fiscale, en insistant sur la nécessité de se concentrer sur les fraudes commises par les “ultrariches” et les “multinationales”[1]. le Ministre a annoncé une augmentation de 25% des contrôles fiscaux sur les patrimoines les plus importants d’ici à 2027, ainsi que la mise en place de contrôles automatiques tous les deux ans pour les 100 plus grandes entreprises[2].
Il a également mis en avant la volonté du gouvernement de renforcer les sanctions, notamment par la peine de travaux d’intérêt général et l’instauration d’une indignité fiscale et civile[3]. La création d’un service de renseignement fiscal est également envisagée, par le biais duquel des membres d’institutions financières pourraient être rémunérés en échange d’informations sur les fraudeurs[4].
Lors d’une intervention en janvier 2023, Gabriel Attal avait annoncé ce plan de lutte contre les fraudes fiscales, sociales ou encore douanières et avait notamment défendu devant les sénateurs l’intérêt du dispositif de la Convention Judiciaire d’Intérêt Public (“CJIP”), rappelant que l’Etat pourrait recouvrer une partie importante des montants liés à la fraude par ce biais. Il avait également mis en avant le fait que ce mécanisme permettait d’éviter des procédures longues et coûteuses contre des grandes entreprises, en plus d’éviter le risque de diminution de l’amende en cas d’appel[5].
Il s’était également félicité de la réforme du verrou de Bercy, et avait mis en avant les défis à venir, liés à l’augmentation des affaires traitées par les juridictions pénales[6].
Les interventions du ministre et ce plan de lutte contre les fraudes font suite à la publication par la Commission des finances du Sénat d’un rapport de la “Mission d’information relative à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales”[7].
Dans ce rapport, la Commission des finances insiste sur la difficulté d’apprécier l’efficacité de la lutte contre la fraude fiscale[8], et formule 20 recommandations pour la renforcer, réparties sur 4 axes[9] :
- Le renforcement de l’efficacité de la réponse judiciaire à la fraude fiscale,
- L’amélioration de la lutte contre la fraude à la TVA,
- La sécurisation des dispositifs d’accès aux données,
- Le déploiement de nouveaux outils pour lutter contre les montages abusifs au niveau international.
Le Sénat salue l’efficacité de la réponse judiciaire à la fraude fiscale renforcée par les procédures dites de “justice négociée”
Le rapport dresse un bilan positif du déploiement des CJIP et de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (“CRPC”) en matière de fraude fiscale, qui permettent de traiter efficacement des dossiers d’une grande complexité.
Le rapport relève ainsi que l’intérêt de la CJIP ne réside pas, pour l’État, dans le raccourcissement des délais de traitement mais dans la réponse apportée aux dossiers de fraude très complexe, sans certitude pour l’État de recouvrer les sommes en jeu et d’obtenir le versement de pénalités[10].
S’agissant de la CRPC, le rapport note que cette procédure permet de traiter plus rapidement les dossiers les plus simples de fraude fiscale et qu’elle est, selon les magistrats spécialisés du Tribunal de Paris, très adaptée au contentieux de la fraude fiscale et au profil des personnes poursuivies dans le cadre de celui-ci[11].
Le rapport relève ainsi qu’en 2021, 120 prévenus ont été condamnés dans le cadre d’une CRPC, pour des faits de fraude fiscale, soit 16 % des condamnations, alors que seulement 26 prévenus, soit 4 %, étaient concernés en 2019. Il note également que le nombre de CRPC a été multiplié par près de quatre en trois ans, passant de 23 en 2019 à 60 en 2020 puis 111 en 2021. L’évolution des montants médian et moyen des amendes prononcées confirme également, selon la commission des finances, le choix de recourir plus largement à cette procédure, étant respectivement passé de 8000 euros à 10 000 euros et de 34 167 euros à 68 354 euros entre 2019 et 2021[12].
Le rapport recommande ainsi de soutenir la pleine appropriation et le déploiement des CJIP et des CRPC dans le traitement des dossiers de fraude fiscale[13].
Le Sénat préconise des mesures complémentaires afin de renforcer l’efficacité de la réponse judiciaire à la fraude fiscale
Quant au renforcement de la réponse judiciaire à la fraude fiscale, le rapport revient sur l’efficacité de la réforme du “verrou de Bercy”. Depuis l’entrée en vigueur de cette réforme le 1er janvier 2019, une augmentation de 75% du nombre de dossiers de fraude fiscale transmis au parquet a été enregistrée[14]. Ainsi, la procédure de transmission automatique des dossiers a elle-même connu une forte progression puisque le nombre de dénonciations obligatoires est passé de 965 en 2019 à 1217 en 2021, correspondant à une hausse de plus de 25 %[15].
Le rapport revient par ailleurs sur la répartition de compétences entre les différents parquets quant au traitement des dossiers de fraude fiscale, prévue par la circulaire du 4 octobre 2021 de lutte contre la fraude fiscale[16]:
- La saisine des juridictions interrégionales spécialisées (“JIRS”) doit être envisagée dans chaque dossier transmis par l’administration fiscale et présentant des critères de grande complexité : montage complexe, nécessité de recourir à l’entraide pénale internationale, schémas de fraude relevant de l’escroquerie fiscale, liens avec des réseaux de criminalité organisée ou des infractions connexes relevant de la criminalité organisée ;
- La saisine de la Juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (“Junalco”) doit quant à elle être envisagée pour les dossiers de très grande complexité ayant par exemple trait aux agissements résultant de l’action planifiée et concertée d’une organisation ou d’un groupe criminel structuré (de type mafieux) ;
- Les axes prioritaires de l’action du PNF sont davantage le traitement de la fraude fiscale sophistiquée des personnes physiques (comme la dissimulation d’actifs ou de patrimoine à l’étranger), la poursuite des fraudes de haute technicité et de grande ampleur commises par les personnes morales (problématiques de prix de transfert, d’abus de droit ou d’établissement stable par exemple) et la mise en cause de la responsabilité pénale des facilitateurs de la fraude fiscale complexe et de son blanchiment (intermédiaires institutionnels bancaires et financiers, conseils juridiques notamment). Il connait dès lors des dossiers dits de “leaks” ou de “Papers” et intervient également sur les dossiers de présomptions caractérisées de fraude fiscale.
Enfin, le rapport recommande d’apporter certains ajustements pour donner suite à la réforme du “verrou de Bercy” et ainsi soutenir le service d’enquête judiciaire des finances par différentes mesures :
- Clarifier les modalités de levée du secret professionnel entre les agents des finances publiques et le procureur de la République prévues à l’article L. 142 A du Livre des procédures fiscales en prévoyant, sur autorisation du procureur de la République, que le secret puisse également être levé à l’encontre des assistants spécialisés[17] ;
- Réduire le nombre de membres de la commission des infractions fiscales de 28 à 16 afin de tenir compte de la baisse de son activité[18] ;
- Augmenter le nombre d’officiers fiscaux judiciaires, d’une quarantaine actuellement jusqu’à les doubler à horizon de cinq ans[19] ; et
- Étendre le champ de compétence des officiers fiscaux judiciaires aux escroqueries à la TVA[20].
Certaines des préconisations du rapport émises par le Sénat avaient été intégrées dans le projet de loi de finances pour 2023, mais plusieurs ont été censurées par le Conseil constitutionnel le 29 décembre 2022 car elles sortaient du périmètre de ce type de loi. Tel était notamment le cas d’un article qui devait améliorer les échanges d’informations entre la Douane et l’autorité judiciaire. Il n’est ainsi pas exclu qu’une nouvelle initiative législative ait lieu en matière de lutte contre la fraude fiscale dans le courant de l’année 2023[21].