Actualité
3 décembre 2021

Qu’est-ce que le Paris Legal Makers ?

Interview de Stéphane de Navacelle par Aude Dorange pour le journal Village de la Justice.

 

Le Paris Legal Makers est un nouvel évènement annuel, dédié au développement économique par le droit. Organisé par le barreau de Paris le 6 décembre 2021 (Palais Brongniart), il ambitionne d’« offrir au droit la place qu’il mérite ». Un tel objectif a forcément piqué la curiosité de la Rédaction du Village de la Justice. Pour en savoir plus, nous nous sommes entretenus avec Me Stéphane de Navacelle, avocat à Paris et délégué du Bâtonnier à l’influence par le droit.

 

Village de la Justice : Le Paris Legal Makers est une nouvelle circonstance de rencontre entre le monde des affaires et le monde du droit, qui ne sont quand même pas complètement étrangers ?

Stéphane de Navacelle : « Oui. Plus précisément, l’ambition du Paris Legal Makers est la suivante : provoquer le dialogue, créer un espace où l’innovation juridique, le génie des juristes au sens large peuvent s’exprimer. Il se veut un lieu d’échanges, de foisonnement d’idées, de défis aussi, en espérant que chacun puisse apporter une ou deux idées et repartir avec dix ! Nous espérons ainsi amorcer un dialogue qui ne se limitera pas à la journée ! »

 

VJ : Comprendre le futur pour s’y préparer, partager ses idées pour agir, se mobiliser pour innover sont les objectifs de cette nouvelle place de débat à Paris. N’est-ce pas un peu redondant avec d’autres initiatives qui existent déjà pour faire rayonner le droit français ?

SN : « Paris Place de droit, la Fondation pour le droit continental, etc. Toutes ces initiatives sont pleinement associées à l’événement. Nous voulons œuvrer avec ces parties prenantes, qui contribuent et agissent dans le même sens que le projet du Paris Legal Makers.

Simplement, l’approche de cette nouvelle initiative est légèrement différente ou parallèle. Il ne s’agit pas de reproduire ce qui existe déjà, qui marche très bien et qui a mené à des innovations exceptionnelles : les chambres de commerce internationales pour ne parler que d’elles.

Nous regardons autre chose. Il s’agit notamment d’identifier les raisons pour lesquelles des acteurs privés et publics font le choix d’implanter leurs activités en France. Pourquoi – par exemple – est-ce que Microsoft a historiquement son siège européen en Île-de-France ? Pourquoi est-ce que JP Morgan a choisi Paris pour son siège européen ?

Nous sommes donc là sans voile, sans faux semblants, sans cocorico, avec la commune volonté des décideurs publics et privés, d’agir ensemble. Nous, avocats, sommes au mieux primus inter pares parce que l’on accueille, mais c’est tout. »

 

Nous, avocats, sommes au mieux « primus inter pares » parce que l’on accueille, mais c’est tout.

 

VJ : L’idée est de proposer à tous les professionnels du droit de se fédérer pour porter un projet commun (permettre à nos entreprises françaises d’être plus compétitives et à des entreprises internationales de venir s’implanter en France). En quoi la mobilisation de la communauté des juristes est-elle importante, stratégique, pour un État ?

SN : :  Cette mobilisation est stratégique pour l’indépendance, pour les investissements économiques, pour les valeurs et la façon dont on peut imposer les règles, l’art de vivre ensemble. Ça, c’est pour les aspects positif, l’attrait.

Sur ce qui peut être plus conflictuel, les outils de souveraineté et d’extraterritorialité sont évidemment nécessaires dans un contexte géopolitique extrêmement tendu. Prenez l’exemple d’un côté d’une ressortissante chinoise assignée à résidence au Canada sur une demande d’extradition étasunienne, et de l’autre un gouvernement chinois qui trouve que c’est un peu trop long et qui se met à incarcérer les ressortissants canadiens. Ces derniers sont immédiatement libérés dès que notre première protagoniste a pu rentrer en Chine. La temporalité des évènements laisse à penser que nous sommes dans des processus interdépendants.

Une concurrence s’installe aussi pour ce qui est des règles de conformité, qui touchaient avant-hier la lutte contre le blanchiment, hier la lutte contre la corruption, aujourd’hui, la lutte contre la pollution et pour la défense de l’environnement, et demain – déjà aujourd’hui en fait – la lutte pour les droits humains. Or, toutes ces notions, que vous soyez à Dubaï, à Vienne, à Rabat, à Moscou, à Delhi, à Hong Kong, à Washington, ne sont pas les mêmes.

Le droit devient alors à la fois un glaive et un bouclier. Il n’est pas un outil de guerre, c’est un outil pour éviter la guerre et pour faire venir les gens autour de la table. Dans le processus de construction européen nous devons prendre pleinement conscience de la force tirée du dialogue, de la co-construction autour de valeurs communes entrainant un attrait commun. Pour être « lumière du monde » – si je puis me permettre de nous renvoyer un peu plus de deux siècles en arrière – il faut que nous construisions cette normalisation ensemble.

 

Le droit n’est pas un outil de guerre, c’est un outil pour l’éviter.

 

VJ : Il sera donc aussi probablement question de régulation ?

SN :  Oui, absolument. J’affirmais récemment dans une conférence sur la conformité : « le droit est mort« . Aujourd’hui, une entreprise a beaucoup plus peur de Twitter que d’un procureur. C’est le retour de la potence, des tribunaux populaires, le délit d’opinion qui forme la norme. Bref, le mimétisme de la nature humaine prend le dessus sur la rationalité et le droit ne trouve plus nécessairement sa place. Régulation ou dérégulation : c’est un débat et qui varie d’un continent à l’autre. Les autorités « normatrices », internationales et nationales, ainsi que les directions juridiques des grands groupes français, seront là pour en discuter.

 

VJ : Il s’agit, en somme, de la manifestation d’une intelligence collective pour une utilisation stratégique de la norme juridique… Votre événement est porté par les avocats de Paris, mais il est, en réalité, tout sauf corporatiste ?

SN :  J’irais même plus loin en disant qu’à mon sens, il n’existe qu’un métier du droit. Il n’y a pas de magistrat, il n’y a pas d’avocat, il n’y a pas de juges du siège ou de procureur, il n’y a pas de juristes ou de directeurs juridiques. Il y a un rôle de conseil et d’accompagnement que toutes ces professions recoupent et, pour ma part, je ne vois aucune différence entre elles.

Il s’agit à chaque fois de comprendre la situation de son interlocuteur – que ce soit le justiciable, le client interne de l’entreprise ou le client d’un cabinet d’avocat – et lui apporter le conseil ou imposer la sanction la plus adaptée. Il faut que nous, juristes, nous nous défaisions des carcans dans lesquels nous avons été élevés et dont on ne pourra pas, paradoxalement, se débarrasser individuellement.

 

À mon sens, il n’existe qu’un métier du droit.

 

VJ : Le Paris Legal Makers tenderait-il aussi à redorer le blason des juristes, de tenter de changer leur positionnement ou en tout cas le regard qui peut être porté sur les professionnels du droit ?

SN : Oui, parce que nous sommes conscients du besoin de faire changer les mentalités dès à présent. En réalité, si les avocats se mobilisent pour un événement comme celui-ci, c’est parce qu’ils ont pleinement conscience du besoin de faire changer les mentalités pour que les juristes (toujours au sens large), soient appelés, consultés en amont et non pas après le problème. Et nous devons aussi apprendre à bien nous « vendre » pour dépasser les préjugés.

 

VJ : Pourquoi selon vous ?

SN : Grande question ! Nous avons des cabinets à Paris, grands ou petits, qui sont, selon l’expression de Nathalie Roret, « des fusées ». Comme le dit Olivier Cousi, nous avons un ministère de la Justice, mais pas de ministère du Droit ? Le droit est trop souvent abordé par le contentieux. Le droit est considéré comme un problème, pas un allié avec qui travailler le plus tôt possible.

Les ressources disponibles en France sont infinies. Elles permettent d’aborder à peu près tous les domaines de compétences dans toutes les langues. Paris est une ville « guichet unique du droit« . C’est aussi à la mise en lumière de tout cela que nous voulons contribuer.

 

Le droit est trop souvent abordé par le contentieux.

 

VJ : C’est un vaste programme qui est prévu pour cette 1re édition. Peut-être deux mots sur l’organisation pratique de l’évènement pour terminer si vous le voulez bien ? Quelques temps forts à souligner pour les visiteurs ?

SN : Avec plaisir ! Il y a une partie de conférence et un espace exposants, avec un programme très riche, qui a changé jusqu’à la dernière minute ! Nous avons prévu un événement en présentiel, ainsi qu’une diffusion en direct et en replay, avec une webapp qui permettra une interaction texte et vidéo entre tous les inscrits. La webapp permettra, grâce à un algorithme (nous avons déterminé des centres d’intérêts) de provoquer des rencontres, soit totalement virtuelles, soit par exemple au stand du Village de la Justice !

Interviendront des ministres français et étrangers, des directeurs juridiques de grandes organisations internationales, des avocats qui, tous, par leur parcours, ont montré un chemin d’excellence. Le Président de la République a accordé son haut patronage à l’évènement. S’il faut citer certains moments, je pense à cette réunion des grands témoins.

 

VJ : Un dernier mot pour nos lecteurs ?

SN : Cet événement est l’affaire de tous. Et son succès ne sera pas quantifiable, parce qu’il sera ce que chacun emportera de la journée. J’encourage tous les juristes dans le sens large, les magistrats, avocats, notaires, huissiers, mandataires, spécialistes des brevets, etc. à participer, à provoquer, à être en désaccord. Et utilisons cette excuse pour avancer ensemble !

 

VJ : Le mot de la fin ?

SN : Pacificateur.

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