Analyse
30 janvier 2024

Le Parquet européen et TRACFIN ont signé un accord de travail en vue d’une coopération plus étroite

Conformément au principe de coopération loyale entre États membres et avec les institutions de l’Union européenne, prévu par l’article 4 du TUE, le Parquet européen et TRACFIN ont conclu un accord de travail le 26 octobre 2023 dans le but de faciliter leur coopération ainsi que l’échange d’informations mutuel afin de lutter plus efficacement contre le blanchiment d’argent et les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne.

 

Le 26 octobre 2023, TRACFIN, cellule de renseignement financier français en charge de la lutte contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme[1], et le Parquet européen (European Public Prosecutor’s OfficeEPPO), parquet indépendant de l’Union européenne chargé d’enquêter, de poursuivre et de juger les délits portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne[2], ont conclu un accord de travail (ci-après “l’accord de travail”).

Celui-ci, entré en vigueur le jour même de sa signature[3], a pour objet de fournir un cadre structuré et opérationnel facilitant la coopération entre le Parquet européen et TRACFIN (I) et vise à faciliter l’échange d’informations entre eux ainsi que rationaliser le soutien analytique que TRACFIN peut apporter au Parquet européen[4] (II).

 

I. L’accord de travail s’insère dans une démarche de coopération, clé du bon fonctionnement de TRACFIN et du Parquet européen

 

Le Règlement (UE) 2017 /1939 du Conseil du 12 octobre 2017 (ci-après “le Règlement”), venu créer le Parquet européen, a fait de la coopération un des principes cardinaux de son fonctionnement et de ses opérations. Ce principe est d’ailleurs à l’origine même de sa création en ce qu’il est le résultat de la mise en œuvre de la procédure législative de coopération renforcée par plusieurs États membres[5].

Sur le fondement du principe de coopération loyale, prévue à l’article 4 du Traité sur l’Union européenne (TUE)[6], le Règlement prévoit dans ses considérants que le Parquet européen d’une part et les autorités nationales compétentes[7] ainsi que les institutions, organes et organismes compétents de l’Union tels qu’Eurojust, Europol ou l’OLAF[8] d’autre part doivent s’entraider dans le cadre de leurs enquêtes et poursuites et s’informer mutuellement.

En application de cet objectif, le Règlement prévoit, par exemple, que les autorités nationales compétentes prêtent au Parquet européen une assistance et un soutien actifs dans ses enquêtes et poursuites[9] et l’informent notamment des enquêtes ouvertes portant sur des faits pour lesquels le Parquet pourrait exercer sa compétence, ainsi que, à l’instar des institutions, organes et organismes de l’Union, des comportements délictueux pour lesquels le Parquet pourrait également exercer sa compétence[10]. Il ajoute que, réciproquement, le Parquet doit informer les autorités nationales compétentes des infractions potentielles qui ne relèvent pas de sa compétence[11].

Le Règlement indique, en outre, que le Parquet européen peut nouer et entretenir des relations de coopération avec des institutions, organes et organismes de l’Union, des autorités nationales d’États membres ne participant pas à la coopération renforcée ou de pays tiers et des organisations internationales ainsi qu’échanger avec eux directement des informations. Pour cela, le Règlement prévoit qu’il est possible pour le Parquet de conclure des arrangements de travail[12].

En vertu de cette prérogative, le Parquet européen a conclu de nombreux arrangements de travail, tant avec Europol, Eurojust ou l’OLAF qu’avec des autorités nationales comme le Procureur général de Hongrie et d’Albanie ou la Direction nationale de lutte contre la mafia et le terrorisme en Italie, auxquels vient s’ajouter l’accord récent conclu avec TRACFIN.

 

II. L’accord de travail instaure un cadre de communication privilégié entre TRACFIN et le Parquet européen

 

L’arrangement de travail a principalement pour but de formaliser plusieurs canaux d’échanges d’informations entre TRACFIN et le Parquet européen, venant s’ajouter à ceux déjà prévus par le Règlement et le code monétaire et financier, cela afin de rendre plus sûre, efficiente et simple la communication entre eux et ainsi rendre plus efficace la lutte contre les infractions portant atteinte aux intérêts économiques de l’Union européenne[13].

Il instaure tout de même des garde-fous en précisant que les informations et documents communiqués seront confidentiels et couverts par le secret professionnel et qu’ils ne pourront pas être transférer à un tiers, dans un contexte autre que celui pour lequel ils ont été fournis, sans le consentement de la partie qui les divulgue[14].

 

A. TRACFIN peut apporter un soutien analytique au Parquet européen

L’accord de travail prévoit que le Parquet européen peut demander, par un acte motivé et contextualisé[15], des informations et des documents à TRACFIN concernant des transactions ou activités suspectes ainsi que le résultat d’une analyse spécifique pertinente pour son activité[16].

TRACFIN peut refuser de répondre à une telle demande, en motivant dûment sa décision, s’il existe des raisons objectives de croire qu’une réponse aurait un impact négatif sur les enquêtes ou analyses en cours ou, en cas de circonstances exceptionnelles, si elle était disproportionnée par rapport aux intérêts légitimes d’une personne physique ou morale ou ne serait pas pertinente au regard des finalités escomptées[17].

En revanche, si TRACFIN accepte de répondre à une telle demande, elle devra le faire en temps utile et fournir l’ensemble des éléments pertinents dont elle dispose, y compris des informations provenant de cellules de renseignements financiers d’autres États membres à condition d’avoir obtenu préalablement leur accord[18]. Si les informations demandées sont liées à une enquête menée par une autorité judiciaire ou un service d’enquête national, TRACFIN devra informer cette autorité si la demande provient du Parquet européen et inversement, à moins que ladite autorité ou le Parquet européen le lui interdise[19].

Le Parquet européen devra faire preuve de vigilance à l’égard de la confidentialité des informations reçues et devra se garder de les divulguer ou de les transmettre à d’autres autorités sans l’autorisation de TRACFIN et ne les utiliser qu’aux fins pour lesquelles elles ont été demandées, sous réserve de la possibilité de dénoncer des faits potentiellement délictueux aux autorités judiciaires[20].

 

B. TRACFIN et le Parquet européen peuvent se transmettre mutuellement des informations sur les enquêtes qu’ils mènent

L’accord de travail prévoit que les procureurs européens délégués en France peuvent transmettre directement à TRACFIN toute information recueillie lors d’une enquête menée par le Parquet européen et nécessaire à l’accomplissement de ses missions, en application de l’article 561-27 du code monétaire et financier qui autorise déjà TRACFIN à recevoir de telles informations de certaines autorités publiques et à accéder à certains fichiers publics[21].

De même, il est prévu que TRACFIN puisse transmettre directement aux procureurs européens délégués en France toute information recueillie au cours d’une enquête menée par ses soins et nécessaire à l’accomplissement de leurs missions, en application des articles 561-30-1 et 561-31 du code monétaire et financier qui autorisent déjà TRACFIN à informer le procureur de la République de faits potentiellement délictueux et à transmettre des informations à certaines autorités publiques et de l’article 24(1) du Règlement qui impose à TRACFIN de signaler sans retard indu au Parquet européen tout comportement délictueux à l’égard duquel il pourrait exercer sa compétence[22].

Par ailleurs, l’accord de travail permet à TRACFIN et au Parquet européen d’échanger des informations stratégiques et non opérationnelles telles que des typologies et des enjeux, dans les domaines relevant de leur compétence[23].

 

C. Le Parquet européen peut informer TRACFIN des transactions suspectes qu’il considère comme devant être suspendues

Parmi les pouvoirs accordés à TRACFIN figure celui de s’opposer à l’exécution d’une opération non encore exécutée ou à toute autre opération liée à la première, ce qui entraîne alors un report de l’exécution de ces opérations et un possible séquestre provisoire des fonds, comptes ou titres concernés[24].

A cet égard, l’accord de travail prévoit que le procureur européen ou tout procureur européen délégué agissant en France peut informer TRACFIN de transactions suspectes ou de toutes autres opérations liées à ces transactions pour lesquelles le Parquet européen considère, au vu de ses enquêtes, qu’elles devraient être suspendues[25].

TRACFIN doit alors informer le Parquet européen (i) s’il s’oppose à la suspension d’une transaction suspecte, (ii) s’il sait que le transaction suspecte désignée par le Parquet est liée à une enquête menée par une autorité judiciaire nationale, sauf dans le cas où cette dernière le lui interdit et (iii) s’il a l’intention de suspendre une transaction suspecte sur demande d’une autorité nationale et que cette transaction est liée à une enquête menée par le Parquet[26].

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