Suite à la création du Parquet européen (EPPO), un bilan de ses enquêtes et de ses premiers succès, notamment sa première condamnation obtenue en novembre 2021 pour des faits de détournement de fonds européens en Slovaquie.
Le Parquet européen a été créé par le Règlement 2017/1939 du 12 octobre 2017 et introduit en France par la loi n°2020-1672 du 24 décembre 2020. Basé à Luxembourg, le Parquet européen qui n’a commencé ses activités que le 1er juin 2021 apparaît d’ores et déjà comme un acteur majeur dans la lutte contre les activités criminelles menaçant ou compromettant les intérêts financiers de l’Union européenne (ci-après “l’Union”). En effet, en six mois seulement, cette première autorité de poursuites indépendante[1] supranationale européenne a ouvert des centaines d’enquêtes et obtenu, le 22 novembre 2021, sa première condamnation dans une affaire de détournement de fonds européens[2].
Ce succès est l’occasion de rappeler les principales caractéristiques du Parquet européen et de revenir sur les actions entreprises par ce dernier jusqu’à ce jour, notamment en matière de lutte contre la fraude.
I. Le Parquet européen a pour objectif de lutter contre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne
Sur le fondement de l’article 86 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne[3], le Règlement 2017/1939 du 12 octobre 2017, mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen, et auquel l’ensemble des Etats membres ont adhéré à l’exception de la Hongrie, du Danemark, de la Pologne et de la Suède, a concrétisé la volonté de l’Union européenne de combattre les atteintes à ses intérêts financiers[4].
Ce Parquet européen, structuré en deux niveaux : (i) le niveau central, composé du chef du Parquet européen, des procureurs européens (vingt-deux procureurs représentant chacun des Etats membres) et d’un directeur administratif, (ii) et le niveau décentralisé, regroupant les procureurs agissant au nom du Parquet européen dans leurs états respectifs comme procureurs nationaux, dénommés les procureurs européens délégués[5], a pour mission de “rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices des infractions pénales aux intérêts financiers” et à ce titre de “diligente[r] des enquêtes, effectue[r] des actes de poursuite et exerce[r] l’action publique devant les juridictions compétentes des Etats membres jusqu’à ce que l’affaire soit définitivement jugée”[6].
Les procureurs européens délégués sont ainsi chargés de conduire les enquêtes, d’engager les poursuites et de préparer la mise en état des affaires dont ils se sont saisis dans leur Etat[7], sous la surveillance des procureurs européens et des chambres permanentes lesquelles, composées de procureurs européens et présidées par le chef du Parquet, un de ses adjoints ou un procureur européen nommé président, supervisent et dirigent les enquêtes et poursuites (jugement par les autorités nationales, classement sans suite, renvoi aux autorités nationales, réouverture d’une enquête) et assurent leur coordination dans les dossiers transfrontaliers[8].
Ils sont compétents en matière de fraudes portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union commis dans le cadre d’une organisation criminelle ou non, et à toutes autres infractions pénales indissociablement liées[9], en matière de blanchiment des biens issus de ces fraudes, de corruption passive et active et de détournement[10]. La notion d’“intérêts financiers de l’Union” a été définie par le Règlement comme “l’ensemble des recettes perçues et des dépenses exposées, ainsi que des avoirs, qui relèvent du budget de l’Union et des budgets des institutions, organes et organismes institués en vertu des traités ou des budgets gérés et contrôlés par eux”[11].
Les fraudes portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union peuvent être, par exemple, la présentation de faux documents ayant pour effet le détournement ou la rétention indue de fonds ou avoirs du budget de l’Union ou gérés par elle, ou le détournement de fonds ou avoirs à des fins autres que celles pour lesquelles ils ont été initialement accordés, et ce que ce soit en matière de dépenses liées à la passation de marchés publics ou de recettes issues des ressources provenant de la TVA[12], étant précisé qu’en cas de fraude à la TVA transfrontalière, il n’est compétent que lorsqu’elle entraîne un préjudice d’un montant supérieur à 10 millions d’euros[13].
L’ensemble de ces infractions doivent avoir été commises après le 20 novembre 2017, sur le territoire des Etats membres ou par un ressortissant d’un Etat membre ou un agent de l’Union si un Etat membre est compétent pour ces infractions lorsqu’elles ont été commises en dehors de son territoire[14].
II. En six mois d’activités, le Parquet européen a ouvert des centaines d’enquêtes et obtenu une condamnation concernant des faits de détournement de fonds européens
Un mois et demi après ses débuts, le Parquet européen affirmait avoir déjà traité plus de 1.000 rapports de fraudes et saisi 7 millions d’euros de biens[15] et, deux mois plus tard, avoir enregistré plus de 1.700 signalements et ouvert 300 enquêtes pour un préjudice causé au budget de l’Union européenne estimé à plus de 4.5 milliards d’euros[16].
Au terme de quasiment six mois d’activités, Laura Codruta Kövesi, procureure générale européenne, mentionnait l’examen de 2.500 rapports et l’ouverture de 500 enquêtes pour un préjudice causé au budget de l’Unions européenne estimé à 5 milliards d’euros[17].
Les communiqués relatifs aux opérations du Parquet européen sur son site internet fournissent des informations sur certaines des enquêtes ouvertes mais n’apportent pas de détails sur la façon dont il se saisit des affaires qui entrent dans son champ de compétence (signalement via un formulaire sur son site internet[18] ou communications d’autres autorités de l’Union ou des Etats membres[19]) et le cadre dans lequel une enquête est ouverte (ouverture spontanée ou droit d’évocation[20]). Néanmoins, après étude de ces communiqués[21], représentant qu’une infime partie des enquêtes en cours, il apparait qu’à ce jour :
Les actes d’enquête réalisés ont principalement consisté en des perquisitions, arrestations et saisies. Aucune des affaires ayant fait l’objet d’un communiqué ne semblerait avoir impliqué des moyens d’enquête techniques complexes tels que l’interception de communications électroniques ou le repérage et le traçage d’objets, pourtant prévus expressément par le Règlement[22].
La plupart des enquêtes en cours sont relatives à des faits de fraudes, notamment des détournements de fonds européens et des fraudes “carrousels” à la TVA. Certaines sont aussi relatives à des faits d’abus de fonction, de corruption, de trafic d’influence et de contrebande de tabac. Les domaines de ces infractions sont variés et concernent tant des projets immobiliers ou de développement d’infrastructures grâce à des fonds européens, que du matériel de protection médical, des bateaux et voitures de luxes ou du biodiesel.
Au moins deux affaires impliquent des agents publics (maire et membres d’un ministère).
Le préjudice pour les Etats membres et/ou l’Union européenne varie pour chaque affaire de quelques dizaines de milliers d’euros à plusieurs millions. Il est en effet question de préjudices allant de 57.000 euros à 23 millions d’euros.
Les opérations du Parquet européen ont principalement été menées en Italie, dans des pays d’Europe de l’Est tels que la Croatie, la Slovaquie, la Bulgarie, la Hongrie et la République Tchèque, mais également en Autriche et Allemagne ou encore aux Pays-Bas.
L’intervention du Parquet européen a facilité la coopération entre Etats membres. En effet, plusieurs enquêtes transfrontalières ont été menées, impliquant parfois quatre à cinq Etats-membres différents. Par exemple, des perquisitions ont été menées simultanément en Allemagne, Pays-Bas, Slovaquie, Bulgarie et Hongrie dans une affaire de fraude à la TVA et l’un des procureurs européens délégués en Allemagne a souligné que “[s]ans le Parquet européen, la mise en place de cette opération aurait pris des mois. Maintenant c’est une question de semaines”[23]. Aussi, à propos d’une affaire de fraude “carrousel” à la TVA en Allemagne, Italie et Bulgarie, la chef du Parquet européen a affirmé que “[c]ette opération illustre le changement de paradigme que la création du Parquet européen a entraîné en matière d’enquêtes transfrontalières. C’est la nouvelle réalité de la zone du Parquet européen : plus de lourdes formalités d’assistance judiciaire, une action rapide et décisive et une concentration sur la récupération effective des préjudices”[24].
Le Parquet européen a agi en coopération avec l’Office européen de lutte antifraude (“OLAF”), comme prévu par le Règlement[25], à l’occasion d’une affaire de fraude au sein du Ministère croate du développement régional et des fonds européens. En revanche, aucune des autres enquêtes ayant fait l’objet d’un communiqué ne semblerait avoir été menée en relation avec d’autres institutions, organes et organismes de l’Union ou encore avec Eurojust et Europol, situations également spécifiquement prévues par le Règlement[26].
Par ailleurs, au-delà des enquêtes en cours, le Parquet européen a également communiqué sur sa première condamnation obtenue le 22 novembre 2021 lors d’une audience devant une juridiction pénale slovaque[27], qui a prononcé à l’encontre d’un ancien maire d’une commune de l’est du pays une peine de trois ans d’emprisonnement avec sursis et une interdiction d’exercer une fonction publique pendant cinq ans[28]. Dans cette affaire, l’ancien maire a reconnu avoir tenté de détourner des fonds européens en falsifiant divers documents afin d’obtenir indûment une aide financière provenant du Fonds social européen dans le cadre du co-financement de services locaux. Le préjudice dont aurait souffert l’Union européenne sans l’intervention du Parquet européen a été estimé à plus de 93.000 euros[29].
Au vu des centaines de dossiers ouverts par le Parquet européen depuis son entrée en fonction, d’autres décisions devraient être prononcées durant les mois ou années à venir par différentes juridictions européennes. C’est ce qu’a d’ailleurs confirmé le procureur européen slovaque, Juraj Novocký, en énonçant qu’outre cette première condamnation dans une affaire très simple, des affaires plus complexes devraient être jugées durant l’année 2022[30].
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