Analyse
28 décembre 2021

La Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption phase 4

Le 9 décembre 2021, l’OCDE a adopté son rapport de Phase 4 sur la mise en œuvre par la France de la Convention et de la Recommandation de 2009 du Conseil sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales.

 

Adopté le 9 décembre 2021 par le groupe de travail de l’OCDE sur la corruption dans le cadre de la quatrième phase de suivi, le rapport de Phase 4[1] procède à une évaluation sur la mise en œuvre par la France de la Convention de l’OCDE sur la lutte anticorruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales[2] et de la Recommandation de 2009 du Conseil relatif au renforcement de cette lutte.[3] Il émet également des recommandations afin d’améliorer l’action de la France en la matière.[4]

Le Rapport fait ainsi état des résultats de la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers menée par la France et des difficultés rencontrées par celle-ci dans la détection et la répression des faits de corruption transnationale, avant de proposer des axes d’amélioration. Il aborde également la responsabilité des personnes morales, la coopération internationale ainsi que certaines interrogations émises à l’occasion des évaluations précédentes, laissées sans réponses.[5]

 

I.  Des progrès remarquables constatés dans la répression mais un taux de condamnation et de poursuite encore insuffisant en comparaison avec la forte exposition des entreprises françaises aux faits de corruption d’agents publics étrangers

Le Groupe de travail salue les progrès de la France dans la répression de la corruption d’agents publics étrangers depuis la Phase 3 (octobre 2012).[6] En effet, seules trois affaires simples avaient donné lieu à une condamnation définitive de quatre personnes physiques en 2012[7] contre neuf affaires additionnelles « plus complexes»[8] répertoriées entre octobre 2012 et mars 2021 à l’occasion desquelles dix-neuf personnes physiques et dix-huit personnes morales ont été condamnées pour corruption d’agents publics étrangers ou complicité de cette infraction[9]. Ces statistiques n’incluent pas les cinq affaires dans le cadre desquelles des Conventions Judiciaire d’Intérêt Public (“CJIP”) pour des faits de corruption d’agents publics étrangers ont été conclues avec cinq personnes morales[10], sur la même période.

Plus généralement, le Rapport fait état d’une augmentation fulgurante du nombre d’enquêtes ayant été diligentées depuis la Phase 3, un total de 108 affaires de corruption d’agents publics étrangers ayant fait l’objet d’une enquête, cinquante-deux d’entre elles étant toujours en cours, dont trente-cinq menées par le Parquet National Financier (“PNF”).[11]

Le Groupe de travail constate néanmoins que la proportion d’affaires résolues ainsi que le nombre de personnes morales condamnées ou faisant l’objet d’enquête demeurent faibles puisque sur les cent-huit affaires susmentionnées ayant fait l’objet d’une enquête, seulement 13% d’entre elles ont abouti à une condamnation définitive ou une CJIP.[12] Le Groupe note pourtant que les entreprises françaises sont très exposées aux risques de corruption. Il est ainsi mis en lumière que certains faits concernant des grandes entreprises n’ont jamais fait l’objet d’investigations,[13] et ce alors même qu’ils étaient répertoriés par le Groupe de travail.[14]

 

II.  L’arsenal juridique moderne de la France dans la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers bien accueilli malgré des problèmes structurels de ressources et des réformes à venir jugées inquiétantes

Le Rapport salue les efforts de la France dans la création de nouveaux acteurs dédiés à la lutte contre la corruption internationale par une succession de réformes législatives depuis 2012. En effet, la détection, la prévention ainsi que la répression de faits de corruption ont été favorisées, d’une part, par la création du PNF et de l’Office Central de Lutte contre la Corruption et les Infractions Financières et Fiscales (“OCLCIFF”) en 2013[15], et d’autre part, par la création de l’Agence Française Anti-corruption (“AFA”) introduite par la loi Sapin 2 de 2016[16].

Le Groupe de travail constate également une inflation législative venant renforcer la répression en matière de corruption internationale. En effet, les réformes législatives se sont traduites notamment par la levée de freins importants à la répression de l’infraction de corruption d’agents publics étrangers et en particulier celui lié à l’exigence de réciprocité d’incrimination[17], par l’augmentation significative du montant des sanctions encourues par les personnes physiques[18] et morales[19], par une simplification des règles de procédure relatives au déclenchement des poursuites[20], par une extension de la compétence territoriale des juridictions françaises en matière de corruption internationale[21], par un renforcement des moyens et des techniques d’enquêtes disponibles[22] ou encore par la possibilité pour les associations de lutte contre la corruption agréées de se constituer partie civile.[23]

Toutefois, le Groupe de travail souligne les problèmes de ressources qui affectent la majorité des institutions susmentionnées ainsi que les réformes en cours et à venir qui pourraient freiner les avancés constatées.[24] En effet, la limitation à deux ans de la durée des enquêtes préliminaires prévue par la loi du 18 novembre 2021 pourrait entrainer une transmission de dossiers massive à destination des juges d’instruction et donc difficile à absorber[25]. De plus, la refonte de l’AFA telle que soumise par la proposition de loi du 21 octobre 2021 envisageant une fusion de celle-ci avec la HATVP[26] pourrait, selon certains observateurs, fragiliser les deux institutions.[27] L’OCDE recommande en ce sens la préservation de l’indépendance de l’AFA.[28]

 

III.  Un nécessaire amélioration de la justice négociée pour les personnes physiques afin de renforcer l’attractivité des CJIP pour les personnes morales

L’OCDE salue la France pour avoir développé une politique pénale en matière de justice négociée, plus précisément sur le cadre juridique de la Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité (“CRPC“), ainsi que pour sa volonté de recourir à cet instrument au-delà des cas les plus simples, qui s’est traduite par un changement d’approche du PNF qui envisage désormais la CRPC dans certains dossiers complexes.[29]

Néanmoins, le Rapport fait état d’un recours limité à la CRPC, surtout lorsqu’elle est proposée avec une CJIP. En effet, depuis 2012, la CRPC n’a été utilisée qu’une fois, en 2016, pour condamner une personne physique pour corruption d’agents publics étrangers. La CRPC a également été utilisée une fois, en 2019, pour condamner trois personnes morales des chefs de blanchiment en bande organisée de corruption d’agents publics étrangers.[30] En effet, le Groupe de travail constate la faible attractivité de la CRPC proposée à une personne physique conjointement avec la CJIP pour la personne morale en raison de la reconnaissance de culpabilité de la personne physique couplée avec la reconnaissance des faits de la personne morale, qui place la personne physique dans une situation de vulnérabilité en cas de reprise de la procédure menant à un procès.[31]

L’Organisation recommande donc à la France de renforcer la publicité et la transparence des procédures de CRPC[32] et de rendre plus efficace la justice négociée en incluant les personnes physiques dans la procédure de CJIP ou en créant un mécanisme nouveau qui permettrait d’assurer une meilleure harmonie entre les alternatives aux poursuites proposées aux personnes physiques et morales s’agissant des faits de corruption internationale.[33]

 

IV.  Une coopération internationale assurée par des outils d’entraide dédiés mais limités en nombre, et freinée par certains textes législatifs

Le Groupe de travail note l’existence d’acteurs dédiés à l’entraide judiciaire (le Bureau d’Entraide Pénale Internationale et les magistrats de liaison)[34] ainsi que le soutien dynamique et croissant du PNF dans ces procédures d’entraide.[35] L’OCDE regrette toutefois la lenteur de traitement des demandes d’entraide adressées à l’étranger et recommande à la France de prendre des mesures pour assurer un suivi systématique des demandes d’entraide émises lorsque leur exécution reste sans réponse de la part des autorités étrangères.[36]

Le Rapport relève également que la loi de blocage de 1968 et d’autres motifs d’inexécution des demandes étrangères tels que l’atteinte à l’ordre public ou aux « intérêts essentiels de la Nation» ou encore les secrets opposables aux services d’enquêtes génèrent des lenteurs dans le traitement de ces demandes[37] et représentent un frein à l’entraide judiciaire en matière de corruption. Dès lors, les recommandations portent sur une clarification des conditions de mise en œuvre de la loi de blocage et de l’article 694-4 du Code de procédure pénale dans les affaires de corruption.[38]

 

V.  De nombreuses recommandations formulées par l’OCDE afin d’améliorer rapidement la lutte contre la corruption en France

Parmi les séries de recommandations de l’OCDE[39] on peut tout particulièrement noter celles portant (i) sur l’augmentation des moyens et ressources dont sont dotés les enquêteurs et les magistrats du parquet, de l’instruction et du siège[40], (ii) sur la préservation du rôle du PNF dans la résolution des affaires de corruption[41], ainsi que sur (iii) la préservation du rôle de l’AFA en matière de développement et de contrôle des mesures de conformité prises par les entreprises.[42]

Le Groupe de travail invite la France à soumettre un rapport oral sur les mesures prises en application de ces trois recommandations dans un délai d’un an.[43]

Le Groupe de travail invite également la France à soumettre, en décembre 2023, un rapport écrit sur la prise de mesures en application de toutes les autres recommandations et sur ses efforts dans la mise en œuvre de la Convention.[44]

De nouvelles mesures en matière de lutte anti-corruption devraient ainsi être prises sous peu en France venant renforcer et compléter les dernières mesures phares édictées par la loi Sapin 2 de 2016.

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