Analyse
16 avril 2024

Rappel du “dispositif anti-cadeaux” applicable aux acteurs opérant dans le milieu de la santé dans le cadre de l’affaire Urgo

Le “dispositif anti-cadeaux” prévu par le code de la santé publique interdit aux acteurs opérant dans le milieu de la santé, sauf en cas de dérogations, de recevoir, d’offrir ou de promettre des avantages en espèces ou en nature et les oblige à publier les conventions qu’ils concluent ainsi que les rémunérations et les avantages en nature ou en espèces qu’ils accordent.

 

Le 27 janvier 2023, deux sociétés du groupe Urgo, SAS Laboratoires Urgo Healthcare et Laboratoires Urgo, ont été condamnées par le tribunal judiciaire de Dijon dans le cadre d’une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) à un total de 1,125 millions d’euros d’amende ainsi qu’à la confiscation des biens saisis ayant servis à commettre l’infraction, pour avoir proposé ou procuré à des pharmaciens des avantages en nature en contrepartie de l’achat de produits Urgo non remisés[1].

Le même jour, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a publié un communiqué de presse indiquant que ces pratiques avaient été découvertes dans le cadre d’une enquête nationale sur le respect du dispositif “anti-cadeaux” prévu par le code de la santé publique applicable aux professionnels de santé[2], et qu’elles représentaient une fraude massive de plus de 55 millions d’euros commise entre 2015 et 2021[3].

La DGCCRF a précisé, dans ce même communiqué de presse, que le dispositif “anti-cadeaux” ne s’appliquait pas seulement aux personnes qui octroyaient un avantage, telles que les sociétés susmentionnées du groupe Urgo, mais s’appliquait également aux personnes qui les acceptaient et, dès lors, a annoncé qu’elle poursuivait son investigation auprès des pharmaciens qui auraient reçu des avantages en nature de la part de ces sociétés[4].

C’est dans ce contexte que, à la fin de l’année 2023, plusieurs médias ont révélé qu’une enquête était en cours à l’encontre de l’ancienne ministre de la Santé et ancienne pharmacienne, Agnès Firmin Le Bodo, pour avoir reçu, sans les déclarer, des cadeaux d’une valeur d’environ 20.000 euros de la part des laboratoires Urgo[5].

Cette mise en cause est l’occasion de revenir sur le dispositif “anti-cadeaux” créé par la loi n°93-121 du 27 janvier 1993, régulièrement mise à jour et précisée depuis, tel que récemment par plusieurs arrêtés publiés les 7 août et 24 septembre 2020, qui vient interdire l’offre, la promesse et la réception d’avantages par des acteurs opérant dans le milieu de la santé (I) ainsi qu’obliger certaines entreprises du secteur de la santé à rendre publiques un certain nombre d’informations (II).

 

I. Les acteurs opérant dans le milieu de la santé ont interdiction, sauf en cas de dérogation, de recevoir, d’offrir ou de promettre des avantages en espèces ou en nature

 

Le code de la santé publique (CSP) interdit aux acteurs opérant dans le milieu de la santé de recevoir des avantages en espèces ou en nature (A) mais également d’offrir ou de promettre de tels avantages (B), sauf en cas de dérogations (C).

 

A. L’interdiction de recevoir des avantages en espèces ou en nature

Le CSP prévoit que les personnes exerçant une profession de santé réglementée, ostéopathes, chiropracteurs, psychothérapeutes, étudiants en formation initiale ou continue, associations regroupant ces personnes et certains agents publics qui élaborent une politique publique en matière de santé, en matière de sécurité sociale ou qui sont titulaires de pouvoirs de police administrative à caractère sanitaire (ci-après les “professionnels de santé”), ont interdiction de recevoir des avantages en espèces ou en nature, sous quelque forme que ce soit, proposés ou procurés directement ou indirectement par des personnes assurant des prestations de santé (telles que définies à l’article R1453-13 du CSP[6]) ou produisant ou commercialisant des produits de santé[7].

Aussi, il prévoit que les professionnels de santé qui y contreviendraient soient punis d’une peine principale, pour les personnes physiques, d’un an d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende[8] et, pour les personnes morales, d’une amende de 375.000 euros[9], ainsi que d’éventuelles peines complémentaires, telle que l’interdiction temporaire ou définitive d’exercer une profession règlementée dans le domaine de la santé pour les personnes physiques[10] ou l’exclusion des marchés publics pour les personnes morales[11].

 

B. L’interdiction d’offrir ou de promettre des avantages en espèces ou en nature

Parallèlement, le CSP prévoit que les personnes assurant des prestations de santé ou produisant ou commercialisant des produits de santé, ont interdiction d’offrir ou de promettre des avantages en espèces ou en nature, sous quelque forme que ce soit, directement ou indirectement à des professionnels de santé[12].

Alors que les peines complémentaires prévues pour toute personne soumise à cette interdiction et qui y contreviendrait sont identiques à celle susmentionnées, les peines principales, quant à elles, sont deux fois plus importantes que celles prévues par le CSP pour les professionnels de santé qui ont reçu des avantages en espèces ou en nature, c’est-à-dire de 2 ans d’emprisonnement et 150.000 euros d’amende[13] pour les personnes physiques et de 750.000 euros d’amende pour les personnes morales.

En outre, les personnes produisant, exploitant ou commercialisant un produit ou une prestation prise en charge par les régimes obligatoires de base de sécurité sociale, qui auraient offert ou promis un avantage en espèces ou en nature dans les conditions évoquées ci-dessus, encourent une peine supplémentaire qui est la communication de la sanction au comité économique des produits de santé[14].

 

C. Les dérogations aux interdictions de recevoir, d’offrir ou de promettre des avantages en espèces ou en nature

Tout d’abord, le CSP prévoit plusieurs exceptions à la possibilité de recevoir, offrir ou promettre des avantages en espèces ou en nature tenant à la nature de l’avantage concerné. Par exemple, ne sont pas considérés comme des avantages les produits de l’exploitation ou de la cession des droits de propriété intellectuelle relatifs à un produit de santé, ou encore les avantages en espèces ou en nature qui ont trait à l’exercice de la profession du bénéficiaire et d’une valeur négligeable[15] telle que définie par décret (par exemple, 30 euros pour un repas dans la limite de deux par an, 20 euros par an pour des fournitures de bureaux ou 30 euros pour un livre, un ouvrage ou une revue[16]).

Ensuite, le CSP prévoit également des exceptions à la possibilité d’offrir des avantages en espèces ou en nature concernant certaines activités, notamment celles qui ont trait à la recherche et à la formation. Par exemple, sont possibles les avantages consistant en des frais engagés pour des activités de recherche, de valorisation de la recherche ou d’évaluation scientifique ainsi que ceux engagés pour des manifestations professionnelles ou des actions de formation professionnelle[17].

Il convient de noter toutefois que certaines de ces dérogations sont soumises à des limites particulières, puisque les avantages qui sont offerts dans ce cadre et qui sont conditionnés à la conclusion d’une convention entre le bénéficiaire et la personne assurant des prestations de santé ou produisant ou commercialisant des produits de santé, doivent faire l’objet de déclaration et d’autorisation particulières par l’autorité administrative compétente ou l’ordre professionnel concerné[18].

 

II. Les acteurs opérant dans le milieu de la santé ont l’obligation de publier les conventions qu’ils concluent, ainsi que les rémunérations versées dans le cadre de ces conventions et les avantages en nature ou en espèces accordés

 

Enfin, le CSP prévoit, sous certaines exceptions particulières, que les entreprises produisant ou commercialisant des produits de santé (énumérés à l’article L5311-1 du CSP) ou assurant des prestations associées à ces produits, soient tenues de rendre publics :

  • D’une part, l’objet précis, le bénéficiaire direct, le bénéficiaire final ainsi que les montants des conventions qu’elles concluent avec certains acteurs divers opérant dans le milieu de la santé, tels que les associations professionnelles de santé, les associations d’usagers du système de santé, les établissements de santé ou encore les éditeurs de logiciels d’aide à la prescription et à la délivrance[19];
  • D’autre part, les rémunérations versées dans le cadre de ces conventions ainsi que les avantages en nature ou en espèces octroyés directement ou indirectement à ces acteurs lorsque ces rémunérations ou avantages sont supérieurs ou égaux à 10 euros (toutes taxes comprises en ce qui concerne les avantages)[20].

Ces informations doivent être publiées sur un site internet public unique[21]. Le détail des informations à rendre publiques ainsi que les délais de publication et de conservation sont définis dans la partie règlementaire du CSP, qui précise en outre que les informations sont publiées en langue française et transmises à l’autorité responsable dudit site[22].

Le fait, pour une entreprise produisant ou commercialisant des produits de santé ou assurant des prestations associées à ces produits, de contrevenir à ces obligations de déclaration en omettant sciemment de déclarer certaines informations, est puni d’une amende de 45.000 euros[23] ainsi que d’éventuelles peines complémentaires (cf. §8)[24].

Le dispositif “anti-cadeaux” présenté vise notamment à lutter contre la corruption des acteurs opérant dans le milieu de la santé, à préserver leur indépendance, à les inciter à n’être guidés que par des considérations de santé publique, ainsi qu’à garantir que le marché ne soit pas distordu par des pratiques anticoncurrentielles, susceptibles d’alourdir le coût des dépenses de santé pour la société[25].

Afin de s’assurer d’atteindre les buts qu’il vise et tel qu’exposé, le dispositif “anti-cadeaux” prévoit des sanctions qui peuvent s’avérer lourdes et dissuasives pour les acteurs concernés. Par conséquent, il représente un enjeu majeur pour ces derniers qui se doivent d’être vigilants dans sa mise en œuvre, d’autant plus que s’ajoute généralement aux sanctions prévues par ledit dispositif, un impact réputationnel qui peut entraîner d’importantes conséquences économiques et financières.

En outre, il est à noter que ce risque est particulièrement accru par la diversité des autorités capables de rechercher et de constater les infractions aux règles relatives à la réception, l’offre et la promesse d’avantages en espèces ou en nature. En effet, outre les officiers et agents de police, sont également compétents certains agents de la DGCCRF, les services d’inspection des agences régionales de santé, certains agents des collectivités territoriales et les inspecteurs de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM)[26]. Dès lors, cela ne vient que multiplier les risques de voir des pratiques prohibées être mises à jour, et éventuellement sanctionnées.

Contenu similaire

Analyse
8 novembre 2024
Conseils de l’AFA pour la mise en œuvre des indicateurs anticorruption dans le cadre de...
La Directive Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), transposée en droit français en décembre 2023, impose de nouvelles obligations de transparence...
Publication
29 août 2024
LIR 6e édition – Évaluation des tiers : une obligation de vigilance difficile à mettre...
Navacelle contribue à la septième édition du magazine The Legal Industry Reviews, en mettant l'accent sur les difficultés rencontrées par...
Revue de presse
26 juillet 2024
Revue de presse – Semaine du 22 juillet 2024
Cette semaine, la revue de presse revient sur le mandat d’arrêt international du militant écologiste Paul Watson, sur la garde...
Revue de presse
15 décembre 2023
Revue de presse – Semaine du 11 décembre 2023
Cette semaine, la revue de presse revient sur les nouvelles mesures de lutte anticorruption envisagées par le gouvernement français pour...
Revue de presse
8 décembre 2023
Revue de presse – Semaine du 4 décembre 2023
Cette semaine, la revue de presse revient sur le procès de Benyamin Netanyahou pour corruption, abus de confiance et fraude,...
Publication
ABA International Law Section
21 novembre 2023
Conseils pratiques pour traiter des allégations de corruption dans le cadre d’un arbitrage (en anglais)...
Navacelle expose quelques conseils pratiques pour le traitement d'allégations de corruption dans le cadre de procédures arbitrales dans la newsletter...
Actualité
Navacelle - Option Droit & Affaires
15 novembre 2023
L’Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux (ALBC), entre surveillance et harmonisation
Stéphane de Navacelle interviewé par Option Droit & Affaires sur l'Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux.
Événement
Cambridge Forum 2023 - Roma
19 octobre 2023
Corruption versus arbitrage international : Les allégations de corruption sont-elles un moyen d’échapper aux sentences...
Stéphane de Navacelle est intervenu lors du Global Forum on Corporate Criminal Liability de Cambridge Forums sur les allégations de...
Revue de presse
13 octobre 2023
Revue de presse – Semaine du 9 octobre 2023
Cette semaine, la revue de presse Navacelle revient sur la condamnation en appel du maire de Sète ainsi que sur...
Revue de presse
Revue de presse
6 octobre 2023
Revue de presse – Semaine du 2 octobre 2023
Cette semaine, la revue de presse Navacelle revient sur la perquisition du domicile de l’ancien maire de Saint-Jory dans le...
Revue de presse
Revue de presse
29 septembre 2023
Revue de presse – Semaine du 25 septembre 2023
Cette semaine, la revue de presse Navacelle revient sur l’abrogation d’une disposition du code de procédure pénale par le Conseil...
Revue de presse
Revue de presse
22 septembre 2023
Revue de presse – Semaine du 18 septembre 2023
Cette semaine, la revue de presse Navacelle revient sur l’adoption de la huitième version de la directive européenne sur la...