Analyse
21 janvier 2022

L’incidence de la réforme du secret professionnel des avocats sur le droit pénal des affaires

Le 22 décembre 2021 a été promulguée la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire (n° 2021-1729). Initiative du Garde des Sceaux , celle-ci a fait l'objet de plusieurs controverses en ce qui concerne le secret professionnel de l'avocat.

 

En effet, bien qu’elle réaffirme le principe de protection du secret professionnel de l’avocat, tant en matière de défense que de conseil, la version finalement adoptée intègre des exceptions en ce qui concerne des infractions relevant du droit pénal des affaires. Si ces exceptions sont limitées à certaines hypothèses précises, le distinguo fait entre la défense et le conseil conduit à des questionnements qui feront certainement l’objet de débats et devront être tranchés, sans doute en jurisprudence.

 

I.  La consécration de la protection du secret professionnel tant pour les activités de conseil et de défense de l’avocat

Le secret professionnel de l’avocat est l’une des garanties fondamentales de la défense de tout justiciable[1]. Principe essentiel de l’exercice de la profession inscrit dans la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, ce secret prévoit qu’ “[e]n toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention “officielle”, les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel”.

Le secret professionnel couvre ainsi toutes les confidences que l’avocat a pu recevoir en raison de sa qualité. Il s’agit donc non seulement des confidences reçues du client mais également des informations reçues de tiers dans le cadre du dossier concernant ledit client, ou encore de tout ce qu’il a pu constater, découvrir ou déduire de son activité professionnelle[2]. Le Règlement Intérieur National (“RIN”) de la profession d’avocat précise en son article 2.1 que ce secret professionnel est d’ordre public, général, absolu et illimité dans le temps[3]. Ainsi, hormis dans le cadre de sa propre défense ou dans les cas de déclarations ou de révélations prévues ou autorisées par la loi, l’avocat est tenu par ce secret et ne peut en être délié, pas même par son client[4].

Ces dernières années, la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation tend à limiter la portée de cette protection légalement conférée. En effet, il a par exemple pu être affirmé que la manifestation de la vérité dans le cadre de l’instruction prévalait sur la protection du secret professionnel[5]. De même, il a également pu être retenu que le champ d’application de la protection se cantonnait uniquement aux activités de défense[6]. Cette tendance jurisprudentielle, qualifiée par certains de contra legem[7], entre effectivement en contradiction avec la lettre de la loi du 31 décembre 1971, laquelle protège par le secret tout ce que le client est amené à confier à l’avocat, sous quelque forme que ce soit, en vue d’être conseillé ou défendu.

Telle que déposé en avril 2021, le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire tendait initialement à revenir sur ces précieux acquis en insérant dans le code de procédure pénale un alinéa énonçant que “le respect du secret professionnel de la défense est garanti au cours de la procédure dans les conditions prévues par le présent code”, excluant par là même du périmètre du secret professionnel les activités de conseil[8].

Dans sa version promulguée, le texte est venu rectifier les positions de la jurisprudence en ce qui concerne l’activité de conseil et réaffirmer la protection globale que confère le secret professionnel de l’avocat. En effet, la loi inscrit dans le code de procédure pénale que “le respect du secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, est garanti au cours de la procédure pénale dans les conditions prévues par le présent code”[9].

 

II.  L’inopposabilité du secret professionnel du conseil quand les informations ou documents habituellement couverts permettent d’établir la preuve de certaines infractions de droit pénal des affaires

Les 16 et 18 novembre 2021, l’Assemblée nationale et le Sénat votaient un amendement déposé par le gouvernement modifiant l’article 3 du projet de ladite loi. Les observations de certaines autorités publiques considérant que la protection du secret professionnel telle qu’en vigueur pouvait interférer avec leurs activités ont vraisemblablement été entendues par le Parlement qui a finalement opté pour une efficacité relative de la protection globale du secret[10].

En effet, par cet amendement, était inscrit dans le code de procédure pénale un article 56-1-2 énonçant que le secret professionnel du conseil n’est pas opposable aux mesures d’enquête ou d’instruction lorsque celles-ci sont relatives aux délits de fraude fiscale, de corruption ou de blanchiment de ces délits, ainsi qu’au délit de financement du terrorisme, sous réserve que les consultations, correspondances ou pièces, détenues ou transmises par l’avocat ou son client, établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission desdites infractions[11]. Cet amendement, bien que sujet à controverses, fut finalement conservé dans la loi définitivement promulguée.

En revanche, la deuxième exception envisagée par la Commission Mixte Paritaire consistant en l’inopposabilité du secret professionnel aux mesures d’enquête ou d’instruction lorsque l’avocat a fait l’objet de manœuvres ou actions aux fins de permettre, de façon non intentionnelle, la commission, la poursuite ou la dissimulation d’une infraction[12] a quant à elle finalement été supprimée dans le texte final. En effet, cette exception avait suscité de nombreuses plaintes de la part de la profession du fait de l’intégration du terme “infraction”, jugé trop général[13], la rendant ainsi trop imprécise et trop vaste[14].

Par conséquent, s’il est vrai que cette loi réaffirme l’existence d’un secret professionnel de l’avocat tant pour les activités de conseil que de défense, la limite insérée à l’article 56-1-2 du code de procédure pénale, et qui entrera en vigueur à compter du 1er mars 2022, a, pour sûr, une incidence sur le caractère absolu de ce secret professionnel puisqu’elle en réduit son champ.

 

III.  L’incidence relative de cette exception législative au secret professionnel de l’avocat en raison de cette condition d’établissement de preuves et de la possibilité d’un contrôle du juge des libertés et de la détention

La véritable relativité de cette exception réside dans la rédaction même de l’article 56-1-2, lequel précise que doivent être réunies certaines conditions afin que cette exclusion du secret professionnel de l’avocat s’applique. En effet, le secret professionnel serait non-opposable uniquement dans les hypothèses où les consultations, correspondances ou pièces, détenues ou transmises par l’avocat ou son client, établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission desdites infractions[15].

Afin de garantir cette limitation de l’atteinte au secret à ces hypothèses limitativement énumérées, la possibilité est donnée de s’opposer à la saisie d’un document et de le soumettre au contrôle du juge des libertés et de la détention, ce dernier occupant le rôle de garant de la régularité[16]. La loi énonce, en effet, que l’article 56-1-2 s’applique sans préjudice de la possibilité qui est donnée au bâtonnier ou à son représentant ou à la personne chez qui la perquisition a lieu, de s’opposer à la saisie d’un document, et d’imposer en conséquence que cette contestation soit examinée par le juge des libertés et de la détention[17].

Il faut toutefois reconnaître les limites de cette protection puisqu’en effet, afin de déterminer si cette condition permettant l’exclusion est ou non remplie, le contenu du document sera vraisemblablement révélé pour vérification, du moins au juge des libertés et de la détention, rendant ainsi et de facto la protection du secret inopérante[18].

 

IV.  Des questionnements soulevés par cette exception législative au secret professionnel de l’avocat, notamment en matière d’enquête interne

Les termes de l’article 56-1-2 du code de procédure pénale évoquant “le secret professionnel du conseil” interrogent puisqu’il est désormais distingué, dans l’article préliminaire du code de procédure pénale, le “respect du secret professionnel de la défense et du conseil”. Faut-il comprendre que l’inopposabilité du secret professionnel du conseil aux mesures d’enquête ou d’instruction, lorsque celles-ci sont relatives à certaines infractions de droit pénal des affaires, se limite au domaine du conseil ? Ou a contrario s’agit-il là de l’emploi du mot “conseil” entendu comme “avocat” sans qu’aucune distinction ne soit faite entre les activités de défense ou de conseil ?

Si nous admettions une acception de cette expression qui comporte un renvoi aux activités de conseil uniquement, cela raviverait le débat de ce qui relève du domaine du conseil et de ce qui relève du domaine de la défense, et notamment s’agissant de l’enquête interne.

En effet, le droit pénal des affaires a été bouleversé depuis plusieurs années par la pratique de l’enquête interne, transformant l’approche traditionnelle de la défense puisqu’il est désormais possible, dans le cadre d’un contentieux pénal, de mener sa propre enquête et d’en transmettre certains éléments aux autorités de poursuite dans le cadre d’une coopération en vue d’une sanction négociée.

Or, et bien qu’elle s’inscrive dans une mission générale de conseil et d’assistance, il a été affirmé par l’Ordre du barreau de Paris que l’enquête interne participait des droits de la défense[19], en ce qu’elle vise à déterminer si des violations de la loi ou du règlement ont été commises et, dès lors, à permettre de préparer une stratégie de défense. Partant, et dès lors qu’il s’agit du domaine de la défense et non du conseil, l’exception législative prévue par l’article 56-1-2 du code de procédure pénale ne trouverait donc pas à s’appliquer. Ainsi, et s’il est vrai que la nouvelle législation a une incidence théorique sur le droit pénal des affaires et crée des incertitudes sur la protection des justiciables, elle n’impliquerait pour autant pas l’anéantissement absolu du secret professionnel en la matière, la pratique de l’enquête interne s’y étant aujourd’hui imposée comme outil de référence.

C’est bien évidemment sans compter sur la position de certaines autorités pour qui “[t]ous les éléments figurant dans le rapport de l’enquête interne ne sont pas nécessairement couverts par le secret professionnel de l’avocat”[20].

En matière d’enquête interne, il est donc vraisemblable qu’en sus d’un débat juridictionnel sur le point de savoir si les hypothèses visées par l’article 56-1-2 du code de procédure pénale permettant l’inopposabilité du secret professionnel du conseil sont bien réalisées, aura lieu un débat sur le point de savoir si le texte vise uniquement les activités de conseil et le cas échéant, si en matière d’enquête interne nous sommes dans le cadre d’une mission de conseil ou de défense de l’avocat.

Les débats sur le secret professionnel de l’avocat en droit pénal des affaires ne sont donc pas du tout clos avec la promulgation de cette loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire. Au contraire, il semble même que certains questionnements pourraient même les raviver, notamment s’agissant de l’enquête interne.

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