France 24 : Focus nous emmène aujourd’hui en France. Nous nous intéressons à l’état d’urgence qui a été instauré dans le pays après les attentats du 13 novembre. Cet état d’exception voté par le Parlement pour une durée de trois mois restreint les libertés et donne à la Police des pouvoirs exceptionnels.
Elle peut par exemple mener des raids chez des suspects sans obtenir au préalable l’autorisation d’un juge, les rassemblements publics et les manifestations sont également interdits.
Cette mesure a d’abord fait l’unanimité mais plus d’un mois après son instauration, elle est désormais contestée.
On en parle dans un instant avec vous à Stéphane de Navacelle.
Mais d’abord je vous propose de regarder ce reportage d’Alexandra RENARD, Catherine NORRIS-TRENT et Johan BODIN.
France 24 : Stéphane de Navacelle, vous êtes avocat aux barreaux de Paris et de New-York, fondateur du cabinet Navacelle avocat. Alors, on vient de le voir dans le reportage, beaucoup de citoyens sont finalement choqués par les méthodes employées, notamment la brutalité de certaines perquisitions. Est-ce que les forces de Police ont vraiment le choix, qu’est-ce qu’on peut tirer comme premier bilan de cet état d’urgence ?
Stéphane de Navacelle : Le premier bilan est peut-être celui des chiffres, on a beaucoup progressé dans le sens des interventions judiciaires, des centaines d’assignations à résidence, plus d’un millier de perquisitions. L’idée est que les policiers français manquent cruellement de moyens, on l’a vu l’une des mesures été l’ajout de 10.000 officiers de police. De quoi s’agit-il aujourd’hui ? Il s’agit de policiers qui ont dans leurs classeurs, dans leurs tiroirs, une grande foule de dossiers et ils ont cet état d’urgence qui leur permet d’aller plus vite parce qu’il s’affranchit du pouvoir judiciaire, eh bien ils avancent sur tous ces dossiers et les écoulent. On peut espérer que ça s’arrête assez rapidement.
France 24 : Est-ce que c’est vraiment efficace finalement ?
SN : C’est difficile de le savoir, bien entendu, puisque toutes ces mesures sont prises sur la base de notes blanches des renseignements français, et qui ne citent bien évidemment pas la source, ni ne détaillent quoi que ce soit.
France 24 : Il faudra peut-être encore attendre un peu quelques mois pour voir les effets de cet état d’urgence qui a été mis en place. Une pétition a été signée, on l’a entendu à la fin du reportage, par une centaine d’organisations, elles demandent la fin de cet état d’urgence. Est-ce qu’il est temps justement de ne pas aller au-delà de ces trois mois ?
SN : Nous avons beaucoup critiqué en France ce qui s’est passé après le 11 septembre aux États-Unis, le patriot act, la France et les hommes politiques étaient unanimes contre, et bien nous prenons le risque de prendre le même chemin. Il y a l’émotion, tout ça a été décidé, l’état d’urgence a été décidé le soir-même, quelques heures après les attentats du 13 novembre et effectivement il va falloir accepter que ça doit s’arrêter parce que sinon on est en état d’urgence permanent et qui n’a pas vocation à s’arrêter.
France 24 : Le Conseil d’État a approuvé il y a quelques jours le projet de révision de la Constitution cela permettrait d’y inscrire l’état d’urgence donc ça ils ont donné un avis favorable, par contre ils sont contre cette fameuse prolongation de 6 mois. Est-ce que le gouvernement va suivre, est-ce que cette recommandation du Conseil d’État va être suivie ?
SN : Vous l’avez dit vous-même, il a déjà des voix qui commence à s’exprimer, ce qui n’était vraiment pas le cas, il y a que 6 pauvres députés qui ont voté contre. Il paraît curieux effectivement qu’il y ait une espèce de prolongation après la fin. En soit on a recours au Législateur et on lui pose la question, et il dit ça s’arrêtera dans tant de mois et dans ce cas-là, ça s’arrête à ce moment-là, mais il y a pas une espèce de période dans laquelle l’exécutif va prolonger au-delà de ce qui est autorisé.
France 24 : 6 mois finalement, ça se rajouterait à ces trois mois, ça ferait une très très longue période d’état d’urgence. On n’en a pas nécessairement besoin ?
SN : En tout cas c’est très attentatoire aux libertés et dès lors que les institutions de la République, les différents pouvoirs, les chambres, ainsi de suite, que ça fonctionne il semble que ça doit rester dans le cadre vraiment de la loi de droit commun.
France 24: En ce qui concerne l’avis favorable qui a été donné, toujours par le Conseil d’État, sur la déchéance de la nationalité, quelles conséquences cela pourrait avoir si jamais c’est introduit dans la constitution ?
SN : Si c’est introduit, c’est pas du tout acquis pour l’instant que ça le sera, vous l’avez très bien dit, ça crée deux catégories de citoyens. Les citoyens entre guillemets de naissance français et puis d’autres qui sont des demi-français, des pas vraiment français. Ça paraît être en rupture vraiment avec les principes fondamentaux auxquels nous sommes attachés et puis aux conventions auxquelles nous avons adhéré.
France 24 : Deux autres textes majeurs sont actuellement en préparation, alors il y a un nouveau projet de loi qui va renforcer les pouvoirs de Police pendant l’état d’urgence, il y a encore un autre projet de loi sur les procédures pénales destinées à accroître les moyens légaux et techniques de la police et du Parquet dans la lutte antiterroriste hors état d’urgence cette fois. On voit qu’il y a une inflation législative, ça n’arrête pas, il faut faire vite, il faut voter des lois contre le terrorisme. Est-ce que tout ça est incontournable, est-ce que c’est la bonne solution, est-ce qu’on va dans le bon sens où est-ce qu’on se précipite un peu trop, même si bien sûr, on l’a compris il y a urgence par rapport à la situation ? Comment est-ce qu’on fait ?
SN : En fait on a un goût immodéré pour les lois et la rédaction de celles-ci. Il semble en réalité qu’en parlant avec les policiers, avec les enquêteurs, ils manquent de moyens et ce sont ce sont ces officiers de police qui vont être ajoutés en très grand qui permettront justement d’être beaucoup plus réactifs et d’aller poursuivre chaque piste immédiatement et ne pas attendre qu’il ait eu un problème grave, qu’on mette en place un état d’urgence et que l’on fasse finalement tout ça en dehors d’un cadre constitutionnel normal. D’ailleurs, constitutionnel tout court parce que l’état d’urgence tel qu’il est aujourd’hui n’est pas prévu par la Constitution.
France 24 : Merci beaucoup Stéphane de Navacelle d’avoir répondu à nos questions.