France 24 : L’État d’urgence prolongé : quelles conséquences ? Pour en parler j’accueille sur mon plateau Stéphane de Navacelles. Vous êtes avocat au barreau de Paris et de New York.
Pour qu’on comprenne bien de quoi il s’agit parce qu’on parle aussi des entraves aux libertés, donc il faut être très précis. Que prévoyait jusqu’à présent l’état d’urgence ?
SN : Ce que prévoyait l’état d’urgence, c’est ce qui a été mis en œuvre par le décret qui a été pris à minuit, c’est-à-dire le samedi, le lendemain matin des attentats, annoncé par le président Hollande.
Il avait deux options constitutionnelles qu’il a écartées, celle qui prévoit l’état de siège, intervention de l’armée, contrôle du territoire ; celle qui prévoit la situation exceptionnelle, mais qui suggère une désorganisation complète de l’État. Il a écarté ces deux moyens constitutionnels pour se mettre dans un système qui est à côté de la constitution, et c’est ça qui choque beaucoup un certain nombre de juristes et comme nous le verrons il a pris des mesures très fortes, de pouvoir de la police très étendu, et ça également c’est sujet à question.
Il a recours à l’état d’urgence qui est une loi qui a été mise en œuvre au moment de la guerre d’Algérie et qui a été mise en œuvre à seulement six reprises depuis la Seconde Guerre mondiale; 3 fois dans le cadre de la guerre d’Algérie, une fois en 1985, une fois il y a 10 ans jour pour jour, parce qu’elle a été adoptée en 2005 à l’occasion des émeutes.
Elle prévoit des pouvoirs extrêmement étendus pour un certain nombre de représentants de l’État, le ministre de l’Intérieur, la police, les militaires, et les préfets de départements.
France 24 : Donc il y a cet état d’urgence qui est prolongé pour trois mois et en plus on étoffe le dispositif. En quoi cela consiste-t-il ?
SN : Alors je vais prendre un exemple qui est assez simple. Dans l’état d’urgence loi de 55, les conditions d’intervention de perquisition et de placement sous surveillance, pardon d’assignation à résidence, il fallait pour ces deux mesures que les actions la personne soient une menace effective pour l’ordre public. Or, aujourd’hui dans ce qui est adopté par l’Assemblée nationale ce matin, et très probablement demain par le Sénat, il suffit qu’il y ait une raison sérieuse de penser que le comportement de la personne puisse constituer une menace à l’ordre public. Alors on est dans les raisons sérieuses d’une menace potentielle. Vous voyez la différence avec « les actions la personne sont une menace ».
France 24 : Et puis les militaires, les policiers qui vont pouvoir utiliser leurs armes.
SN : Alors ça c’est une autre chose qui n’est pas spécifiquement prévue par l’état d’urgence mais qui est une modification réglementaire, qui était demandée depuis longue date par les syndicats de policiers, qui est de leur permettre en dehors de leur service de porter une arme, leur arme de service alors même qu’ils n’ont pas de protections les plus élémentaires. Les conditions sont assez simples, il suffit d’avoir un brassard qui fait état de leur qualité, d’avoir un minimum d’entraînement récent et bien sûr de prévenir leur hiérarchie, et alors porter leur arme de service en toutes circonstances. Ça veut aussi dire que vous avez au quotidien autour de vous des gens armés et des gens qui sont à bout, il faut dire qu’ils sont très sollicités.
France 24 : La magistrature avait manifesté ses inquiétudes. C’est vrai qu’on s’inquiète d’entrave aux libertés avec ce dispositif.
SN : C’est toute la difficulté des magistrats, les avocats, le bâtonnier de Paris est intervenu hier et il y a une restriction par exemple aux perquisitions. On a 4 exceptions : avocats, magistrats, journalistes c’est entendu et les parlementaires qui se sont exclus eux-mêmes de la Loi on peut le comprendre. Donc on a pris en compte un certain nombre de ces critiques et on utilise l’argument de l’état d’urgence et de la limite dans le temps de ces mesures.
France 24 : Merci beaucoup d’être venu sur ce plateau pour nous expliquer tout ça.