Retour sur la CJIP conclue entre la Danske Bank et le PNF
La Danske Bank s’est vu reprocher des faits de blanchiment de fraude fiscale entre 2007 et 2014 en raison de l’inefficacité de son dispositif de contrôle de conformité. Sa succursale estonienne disposait d’un portefeuille de clients internationaux qui recouraient fréquemment à des sociétés écrans, leur permettant de contourner la réglementation fiscale. La banque danoise a fait l’objet d’une enquête pour blanchiment en lien avec une société française dont la gérante a été condamnée en procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité en janvier 2024.
Le 18 septembre 2024, la convention judiciaire d’intérêt publique (“CJIP”) conclue entre le procureur de la République financier et la société Danske Bank A/S a été validée par le président du tribunal judiciaire de Paris[1]. Cette dernière faisait l’objet d’une enquête pour blanchiment de fraude fiscale commis en bande organisée, affaire dans laquelle la gérante personne physique d’une société d’import-export, a été condamnée pour blanchiment de fraude fiscale par le tribunal correctionnel de Paris, le 9 janvier 2024[2].
En février 2014, le parquet de Paris a été destinataire d’une plainte pour recel d’escroquerie et blanchiment, du fonds d’investissement Hermitage Capital[3].
En juin 2014, TRACFIN a transféré[4] une note au parquet de Paris, faisant état d’une activité suspecte sur les comptes bancaires de la société française d’import-export Decobat. En effet, au titre de sa mission de service de renseignement, TRACFIN dispose de moyens d’investigation divers lui permettant de recueillir des éléments susceptibles de caractériser une infraction de blanchiment du produit d’une infraction punie d’une peine privative de liberté supérieure à un an ou du financement du terrorisme au sens de l’article L.561-30-1 du Code monétaire et financier[5].
Le 8 juillet 2014, une enquête préliminaire portant notamment sur les activités d’importation en Russie de cette société a été ouverte[6].
Une information judiciaire a par la suite été ouverte le 9 avril 2015 des chefs de fraude fiscale en bande organisée, blanchiment et recel d’escroquerie en bande organisée pour des faits commis en France et de manière indivisible à l’étranger depuis 2008[7].
L’instruction a révélé que la succursale estonienne de la banque danoise, la Sampo Bank, détenait un portefeuille de milliers de clients résidant en dehors de l’Estonie (le “PNR”)[8], qu’elle savait à haut risque en raison des pays de résidence des clients, leur recours fréquent à des sociétés écrans susceptibles de masquer l’identité de leurs bénéficiaires effectifs, de l’expéditeur ou du destinataire des transactions et effectuaient des transactions suspectes[9]. Il apparaissait ainsi que la succursale était dotée d’un dispositif de conformité insuffisant concernant le PNR[10], étant donné qu’il permettait aux clients d’ouvrir des comptes et d’enregistrer des transactions sans contrôle ou diligence raisonnable[11].
L’enquête a ainsi révélé que la gérante de Decobat avait pu ouvrir deux comptes auprès de la Sampo Bank, au nom de deux sociétés écrans, utilisés comme comptes de transit pour contourner les règles fiscales et douanières[12]. En effet, la société Decobat exportait ses marchandises vers la Russie en les vendant à une société de droit russe mais en réalisant via des brokers des déclarations douanières à l’import dans les pays baltes, qui étaient minorées revoyant à la baisse l’évaluation des droits de douanes et de la TVA. La société russe transférait ensuite ses bénéfices au Luxembourg vers des comptes ouverts dans les Îles Vierges britanniques et au Luxembourg par le biais de ses comptes ouverts à la Sampo Bank[13].
Les audits de Danske Bank effectués jusqu’en 2014, ainsi que d’autres procédures de contrôle interne, ont systématiquement conclu à un contrôle des clients jugé satisfaisant, révélant une attitude passive et complaisante de l’entreprise, malgré les alertes de la Financial Supervisory Authority (“FSA”) danoise[14].
L’inefficacité de ces mécanismes a permis à la dirigeante de Decobat, résidente fiscale française, de transférer plus de 3 millions d’euros depuis ses deux autres sociétés vers des comptes au Luxembourg, au nom de sociétés offshore dont elle était la bénéficiaire effective[15].
La Danske Bank A/S était alors été mise en examen pour des faits de blanchiment de fraude fiscale, commis entre 2007 et 2014, aggravés par la circonstance qu’ils étaient perpétrés en bande organisée, utilisant plusieurs intermédiaires dont les opérations visaient uniquement à dissimuler la destination des fonds détournés et à en faire profiter des bénéficiaires à l’étranger[16].
Ces pratiques ont notamment conduit à la condamnation de la banque danoise en 2022, d’abord par les autorités danoises pour manquement aux obligations de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes, puis par les autorités américaines pour conspiration en vue de commettre une fraude bancaire[17].
En France, la banque danoise a reconnu les faits reprochés, incriminés aux articles 324-1, 324-2, 324-3, 324-4, 324-7, 324-8 et 324-9 du Code pénal[18], lui permettant de bénéficier de la CJIP, alternative aux poursuites dont l’avantage est notamment de limiter l’amende d’intérêt public[19].
Aux termes de la CJIP négociée avec le parquet national financier (“PNF”), elle a accepté de payer de la somme de 6 028 799€ au titre de l’amende d’intérêt public[20], après analyse des facteurs majorants, tel que le caractère répété des faits ou l’insuffisance du programme de conformité[21] et minorants, à l’instar des mesures correctives mises en place au sein de la Danske Bank ou encore de sa coopération dans l’enquête[22].
Elle a également consenti à verser 300 000 euros pour indemniser l’État français, dont 10 000 euros pour le préjudice matériel et 290 000 euros pour le préjudice moral[23]. Cette approche se distingue de celle de la Cour de cassation qui a retenu à plusieurs reprises que le délit de blanchiment de fraude fiscale ne cause à l’État aucun préjudice moral susceptible d’être réparé dès lors que le préjudice “découlant des faits de blanchiment de fraude fiscale, caractérisé par le discrédit jeté sur les politiques de lutte contre le blanchiment” n’est pas distinct du préjudice causé à l’intérêt général réparé par l’action du ministère public[24]. Sauf à démontrer l’existence d’un préjudice moral autre que celui lié au discrédit, cette CJIP a permis à l’État de bénéficier de la réparation d’un préjudice dont l’existence n’aurait potentiellement pas été reconnue dans le cadre d’un procès devant un Tribunal correctionnel.
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