Analyse
13 juillet 2023

Airbus signe une seconde convention judiciaire d’intérêt public pour corruption

Le PNF et la société Airbus ont conclu une nouvelle CJIP le 30 novembre 2022 pour des faits de corruption d’agents publics et d’agents publics étrangers. Cette nouvelle convention s’inscrit dans le prolongement de la première CJIP du 31 janvier 2020 et couvre des faits qui n’avaient pas été pris en compte préalablement. Airbus a accepté, dans ce cadre, de payer une amende d’un total de 15,8 millions d’euros, montant qui tient compte de sa précédente amende d’intérêt public d’un montant de 2,1 milliards d’euros.

 

Le 30 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Paris a validé une convention judiciaire d’intérêt public (“CJIP”) entre le Parquet national financier (“PNF”) et la société européenne Airbus SE (“Airbus”). Il s’agit de la quatorzième CJIP signée par le PNF et la deuxième conclue avec Airbus.

Cette convention prévoit le paiement par Airbus au Trésor public d’une amende d’intérêt public d’un montant de 15 856 044 euros pour un ensemble de faits susceptibles de recevoir la qualification de corruption d’agents publics[1] et de corruption d’agents publics étrangers[2]. Ces faits sont relatifs à des contrats conclus entre 2006 et 2011 par des filiales du groupe Airbus pour des ventes d’avions commerciaux, d’hélicoptères et de satellites en Libye et au Kazakhstan impliquant des intermédiaires commerciaux ou apporteurs d’affaires.

Cette nouvelle CJIP, qui “s’inscrit dans la continuité d’une première CJIP”[3], vient conclure trois informations judiciaires conduites en parallèle de l’enquête préliminaire et des négociations ayant abouties à la CJIP du 31 janvier 2020, laquelle avait été conclue pour un ensemble de faits de corruption commis entre 2004 et 2016[4].

Il ressort des éléments développés dans cette seconde convention que les faits révélés à l’occasion de ces informations judiciaires ne pouvaient être inclus, pour des raisons procédurales, aux faits objets de la première convention de 2020.

Néanmoins, au regard du paiement d’une amende pour des faits semblables au titre de la première CJIP et de la mise en œuvre de mesures correctives par Airbus, cette deuxième amende a été minorée.

 

Les faits de corruption

 

Cette convention porte sur des faits objets de trois informations, lesquelles ont permis de dessiner des mécanismes de corruption d’agent public et d’agent public étranger.

La première information judiciaire concernait un contrat de vente de douze avions commerciaux à la compagnie aérienne Afriqiyah Airways, détenue par l’Etat libyen, par une filiale d’Airbus (alors EADS) en novembre 2006. Il a été établi que la signature de ce contrat n’a été permise que grâce à l’utilisation de deux intermédiaires, des facilitateurs influents auprès d’agents gouvernementaux libyens, qui ont reçu respectivement des commissions de 2 et 4 millions d’euros.

La deuxième information judiciaire, ouverte en 2013, portait sur les structures de campagnes de vente de deux filiales d’Airbus au Kazakhstan. Près de 9,8 millions d’euros auraient ainsi été versés par Astrium à un proche du président kazakh pour intercéder en faveur d’Airbus dans la conclusion d’un contrat de vente de deux satellites à destination du programme spatial kazakh.

Cette information a également révélé que la conclusion de contrats de coopération pour la fabrication, la commercialisation et la maintenance d’hélicoptères entre la filiale d’Airbus Eurocopter et une société kazakhe et d’un protocole d’accord pour la vente d’hélicoptères au gouvernement du Kazakhstan aurait été obtenue avec le soutien d’un parlementaire français. Celui-ci aurait notamment organisé des réunions entre différentes parties, dont les frais auraient été pris en charge par Eurocopter. La conclusion de ces contrats semblerait également liée à la conclusion d’une transaction pénale entre les autorités belges et un proche du président du Kazakhstan.

Enfin, la troisième information judiciaire révélait l’existence de versements de commissions par le groupe Airbus à destination d’un intermédiaire, gérant d’une société privée, et de son fils, ancien officier du ministère de la défense, pour faciliter la négociation et la conclusion de six contrats en République tchèque, au Koweït, en Croatie et au Turkménistan, conclus entre 2003 et 2009. Toutefois, les investigations n’ont pas permis de déterminer les bénéficiaires effectifs des commissions.

Le PNF a considéré qu’un certain nombre de ces faits étaient susceptibles de recevoir la qualification de corruption d’agent public étranger prévue à l’article 435-3 du Code pénal et de corruption d’agent public prévue à l’article 433-1 du Code pénal.

 

Une amende d’intérêt public minorée

 

Par cette convention, qui n’emporte pas de déclaration de culpabilité et n’a pas les effets d’un jugement de condamnation[5], Airbus s’est engagé à payer une amende d’intérêt public de 15 856 044 euros, un montant relativement bas en comparaison de l’amende résultant de la CJIP du 31 janvier 2020.

Au titre de l’article 41-1-2 du Code de procédure pénale, l’amende d’intérêt public est fixée proportionnellement à l’avantage tiré de l’infraction et peut aller jusqu’à 30% du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les trois dernières années[6] – dans le cas d’Airbus, 57,513 milliards d’euros (2019-2021) –, soit un maximum de près de 17 milliards d’euros.

Le montant de l’amende convenue pour cette seconde convention correspond aux sommes versées par Airbus au titre des rémunérations et commissions des facilitateurs dans les contrats conclus en Libye et au Kazakhstan. Elle n’a pas, à ce titre, de vocation punitive. Cette amende, qui semble minorée, “tient compte de l’amende substantielle déjà versée en 2020”[7], laquelle couvrait un comportement global du groupe Airbus, auquel celui-ci a mis fin en 2015.

L’ordonnance de validation de la CJIP a aussi confirmé le paiement de dommages et intérêts à des associations constituées parties civiles : Anticor pour un montant de 25 000 euros, dont 5 000 euros au titre de ses frais de justice, et Sherpa pour un montant de 1 euro.

La conclusion de cette CJIP permet à Airbus d’éviter une déclaration de culpabilité, un risque de condamnation à une amende pouvant aller jusqu’au décuple du produit tiré de l’infraction[8], outre les peines des articles 433-25, 433-26 et 435-15 du Code pénal, et éteindra l’action publique à son encontre une fois ses obligations exécutées[9].

Contenu similaire

Analyse
16 avril 2024
Rappel du “dispositif anti-cadeaux” applicable aux acteurs opérant dans le milieu de la santé dans...
Le “dispositif anti-cadeaux” prévu par le code de la santé publique interdit aux acteurs opérant dans le milieu de la...
Revue de presse
15 décembre 2023
Revue de presse – Semaine du 11 décembre 2023
Cette semaine, la revue de presse revient sur les nouvelles mesures de lutte anticorruption envisagées par le gouvernement français pour...
Revue de presse
8 décembre 2023
Revue de presse – Semaine du 4 décembre 2023
Cette semaine, la revue de presse revient sur le procès de Benyamin Netanyahou pour corruption, abus de confiance et fraude,...
Publication
ABA International Law Section
21 novembre 2023
Conseils pratiques pour traiter des allégations de corruption dans le cadre d’un arbitrage (en anglais)...
Navacelle expose quelques conseils pratiques pour le traitement d'allégations de corruption dans le cadre de procédures arbitrales dans la newsletter...
Actualité
Navacelle - Option Droit & Affaires
15 novembre 2023
L’Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux (ALBC), entre surveillance et harmonisation
Stéphane de Navacelle interviewé par Option Droit & Affaires sur l'Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux.
Événement
Cambridge Forum 2023 - Roma
19 octobre 2023
Corruption versus arbitrage international : Les allégations de corruption sont-elles un moyen d’échapper aux sentences...
Stéphane de Navacelle est intervenu lors du Global Forum on Corporate Criminal Liability de Cambridge Forums sur les allégations de...
Revue de presse
13 octobre 2023
Revue de presse – Semaine du 9 octobre 2023
Cette semaine, la revue de presse Navacelle revient sur la condamnation en appel du maire de Sète ainsi que sur...
Revue de presse
Revue de presse
6 octobre 2023
Revue de presse – Semaine du 2 octobre 2023
Cette semaine, la revue de presse Navacelle revient sur la perquisition du domicile de l’ancien maire de Saint-Jory dans le...
Revue de presse
Revue de presse
29 septembre 2023
Revue de presse – Semaine du 25 septembre 2023
Cette semaine, la revue de presse Navacelle revient sur l’abrogation d’une disposition du code de procédure pénale par le Conseil...
Revue de presse
Revue de presse
22 septembre 2023
Revue de presse – Semaine du 18 septembre 2023
Cette semaine, la revue de presse Navacelle revient sur l’adoption de la huitième version de la directive européenne sur la...
Publication
Bastille day newsletter 2023
14 juillet 2023
Bastille Day Newsletter 2023
En ce 14 juillet, l’équipe Navacelle vous propose, comme chaque année, une sélection d'événements marquants survenus en France au cours...
Analyse
13 juillet 2023
Le Défenseur des droits publie son nouveau guide destiné aux lanceurs d’alerte et à leur...
Le 30 mars 2023, un an après la loi du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs...