Le 30 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Paris a validé une convention judiciaire d’intérêt public (“CJIP”) entre le Parquet national financier (“PNF”) et la société européenne Airbus SE (“Airbus”). Il s’agit de la quatorzième CJIP signée par le PNF et la deuxième conclue avec Airbus.
Cette convention prévoit le paiement par Airbus au Trésor public d’une amende d’intérêt public d’un montant de 15 856 044 euros pour un ensemble de faits susceptibles de recevoir la qualification de corruption d’agents publics[1] et de corruption d’agents publics étrangers[2]. Ces faits sont relatifs à des contrats conclus entre 2006 et 2011 par des filiales du groupe Airbus pour des ventes d’avions commerciaux, d’hélicoptères et de satellites en Libye et au Kazakhstan impliquant des intermédiaires commerciaux ou apporteurs d’affaires.
Cette nouvelle CJIP, qui “s’inscrit dans la continuité d’une première CJIP”[3], vient conclure trois informations judiciaires conduites en parallèle de l’enquête préliminaire et des négociations ayant abouties à la CJIP du 31 janvier 2020, laquelle avait été conclue pour un ensemble de faits de corruption commis entre 2004 et 2016[4].
Il ressort des éléments développés dans cette seconde convention que les faits révélés à l’occasion de ces informations judiciaires ne pouvaient être inclus, pour des raisons procédurales, aux faits objets de la première convention de 2020.
Néanmoins, au regard du paiement d’une amende pour des faits semblables au titre de la première CJIP et de la mise en œuvre de mesures correctives par Airbus, cette deuxième amende a été minorée.
Les faits de corruption
Cette convention porte sur des faits objets de trois informations, lesquelles ont permis de dessiner des mécanismes de corruption d’agent public et d’agent public étranger.
La première information judiciaire concernait un contrat de vente de douze avions commerciaux à la compagnie aérienne Afriqiyah Airways, détenue par l’Etat libyen, par une filiale d’Airbus (alors EADS) en novembre 2006. Il a été établi que la signature de ce contrat n’a été permise que grâce à l’utilisation de deux intermédiaires, des facilitateurs influents auprès d’agents gouvernementaux libyens, qui ont reçu respectivement des commissions de 2 et 4 millions d’euros.
La deuxième information judiciaire, ouverte en 2013, portait sur les structures de campagnes de vente de deux filiales d’Airbus au Kazakhstan. Près de 9,8 millions d’euros auraient ainsi été versés par Astrium à un proche du président kazakh pour intercéder en faveur d’Airbus dans la conclusion d’un contrat de vente de deux satellites à destination du programme spatial kazakh.
Cette information a également révélé que la conclusion de contrats de coopération pour la fabrication, la commercialisation et la maintenance d’hélicoptères entre la filiale d’Airbus Eurocopter et une société kazakhe et d’un protocole d’accord pour la vente d’hélicoptères au gouvernement du Kazakhstan aurait été obtenue avec le soutien d’un parlementaire français. Celui-ci aurait notamment organisé des réunions entre différentes parties, dont les frais auraient été pris en charge par Eurocopter. La conclusion de ces contrats semblerait également liée à la conclusion d’une transaction pénale entre les autorités belges et un proche du président du Kazakhstan.
Enfin, la troisième information judiciaire révélait l’existence de versements de commissions par le groupe Airbus à destination d’un intermédiaire, gérant d’une société privée, et de son fils, ancien officier du ministère de la défense, pour faciliter la négociation et la conclusion de six contrats en République tchèque, au Koweït, en Croatie et au Turkménistan, conclus entre 2003 et 2009. Toutefois, les investigations n’ont pas permis de déterminer les bénéficiaires effectifs des commissions.
Le PNF a considéré qu’un certain nombre de ces faits étaient susceptibles de recevoir la qualification de corruption d’agent public étranger prévue à l’article 435-3 du Code pénal et de corruption d’agent public prévue à l’article 433-1 du Code pénal.
Une amende d’intérêt public minorée
Par cette convention, qui n’emporte pas de déclaration de culpabilité et n’a pas les effets d’un jugement de condamnation[5], Airbus s’est engagé à payer une amende d’intérêt public de 15 856 044 euros, un montant relativement bas en comparaison de l’amende résultant de la CJIP du 31 janvier 2020.
Au titre de l’article 41-1-2 du Code de procédure pénale, l’amende d’intérêt public est fixée proportionnellement à l’avantage tiré de l’infraction et peut aller jusqu’à 30% du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les trois dernières années[6] – dans le cas d’Airbus, 57,513 milliards d’euros (2019-2021) –, soit un maximum de près de 17 milliards d’euros.
Le montant de l’amende convenue pour cette seconde convention correspond aux sommes versées par Airbus au titre des rémunérations et commissions des facilitateurs dans les contrats conclus en Libye et au Kazakhstan. Elle n’a pas, à ce titre, de vocation punitive. Cette amende, qui semble minorée, “tient compte de l’amende substantielle déjà versée en 2020”[7], laquelle couvrait un comportement global du groupe Airbus, auquel celui-ci a mis fin en 2015.
L’ordonnance de validation de la CJIP a aussi confirmé le paiement de dommages et intérêts à des associations constituées parties civiles : Anticor pour un montant de 25 000 euros, dont 5 000 euros au titre de ses frais de justice, et Sherpa pour un montant de 1 euro.
La conclusion de cette CJIP permet à Airbus d’éviter une déclaration de culpabilité, un risque de condamnation à une amende pouvant aller jusqu’au décuple du produit tiré de l’infraction[8], outre les peines des articles 433-25, 433-26 et 435-15 du Code pénal, et éteindra l’action publique à son encontre une fois ses obligations exécutées[9].