Analyse
23 octobre 2023

La société Rallye ainsi que son ancien directeur général sanctionnés par la Commission des sanctions de l’AMF pour manipulation de marché

Dans sa décision du 7 septembre 2023, la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (“AMF”) a prononcé à l’encontre de la société Rallye et de son directeur général à l’époque des faits M. Franck Hattab des sanctions de, respectivement, 25 millions d’euros et 1 million d’euros, pour manipulation de marché par diffusion d’informations fausses ou trompeuses sur la situation financière de Rallye

 

Dans cette affaire, le Collège de l’AMF avait notifié aux deux mis en cause, la société cotée Rallye, maison mère de la société Casino, et son directeur général à l’époque des faits M. Hattab, des griefs relatifs à la diffusion d’informations “fausses ou trompeuses susceptibles de fixer le cours du titre Rallye à un niveau anormal ou artificiel”[1]. La commission a retenu l’ensemble des griefs notifiés[2] (I), a considéré qu’ils étaient imputables à son dirigeant (II) et prononcé des sanctions élevées (III).

 

I. La Commission a considéré que la communication financière de Rallye en 2017 et 2018 était constitutive d’une manipulation de marché par diffusion d’informations fausses ou trompeuses susceptibles de fixer le cours du titre Rallye à un niveau anormal ou artificiel

 

La Commission des sanctions a considéré que Rallye avait diffusé des informations fausses ou trompeuses qui donnaient aux investisseurs une image de sa situation de liquidité plus favorable qu’elle ne l’était réellement, en particulier en qualifiant, sans nuance, cette situation de “solide” ou “très solide”, alors que sa situation de liquidité dépendait de façon importante de l’évolution du cours du titre Casino, lequel était très volatil et subissait une pression persistante à la baisse[3].

S’agissant de la communication de Rallye sur sa situation de liquidité, la Commission des sanctions a décidé que celle-ci avait constitué, à onze reprises et dans quatorze supports de communication différents entre le 8 mars 2018 et le 15 mai 2019, une manipulation de marché en méconnaissance des articles 1, c), 12.4 et 15 du règlement MAR[4].

En vertu de ce même article 12.1, c), la manipulation était constituée en ce qu’elle répondait aux quatre critères nécessaires à sa caractérisation, à savoir[5]:

  • La diffusion des informations litigieuses ;
  • Le caractère faux ou trompeur de ces informations ;
  • Le fait qu’elles doivent fixer ou être susceptibles de fixer “à un niveau anormal ou artificiel le cours d’un ou de plusieurs instruments financiers” ;
  • La connaissance, avérée ou supposée, de leur caractère faux ou trompeur par le mis en cause.

En premier lieu, il n’a pas été contesté que l’ensemble des documents en cause avaient été diffusés et contenaient les informations litigieuses critiquées par les notifications de griefs[6].

S’agissant du caractère faux ou trompeur de ces informations, les documents publiés par Rallye présentaient de manière erronée sa situation de liquidité comme “solide” voire “très solide”, reposant sur plus de 1,7 milliard d’euros de lignes de crédit “confirmées et non utilisées” fin 2017 ainsi qu’au premier semestre 2018, et 1,3 milliard à la fin de l’année 2018[7]. Pour autant, l’intégralité de ces lignes n’était pas disponible, ce d’autant moins que le mécanisme de cash collateral mis en place était susceptible d’en provoquer une réduction importante[8] sans que cet élément n’ait été appelé à l’attention des investisseurs.

Ces informations ont été considérées comme trompeuses par la Commission des sanctions, ayant contribué à donner aux investisseurs une image de la liquidité de Rallye plus favorable qu’elle ne l’était réellement[9].

Par ailleurs, ces informations litigieuses ont été jugées par la Commission des sanctions susceptibles de fixer “à un niveau anormal ou artificiel le cours d’un ou de plusieurs instruments financiers”[10], à un niveau supérieur à ce qu’il était réellement[11], alors même que le risque de liquidité étant le risque financier auquel Rallye était le plus exposé en raison de ses dettes et échéances à honorer, cet aspect constituait le point d’attention central des investisseurs[12].

Enfin, la Commission des sanctions a estimé que Rallye savait ou aurait dû savoir que les informations diffusées étaient erronées en ce que “l’émetteur est responsable des informations publiées en son nom et pour son compte par l’un de ses organes ou représentants”[13], en l’espèce son directeur général M. Franck Hattab.

 

II. La Commission des sanctions estime que la manipulation de marché relevée est imputable au dirigeant

 

La Commission a retenu que ces manquements caractéristiques d’une manipulation de marché étaient imputables à M. Franck Hattab en sa qualité de directeur général et responsable de la communication financière à l’époque des faits, en application de l’article 12.4 du règlement MAR[14].

En effet, il résulte de ce texte que la Commission des sanctions peut sanctionner toute personne physique prenant part à la décision de mener des activités pour le compte de la personne morale concernée[15].

Or, la Commission a notamment relevé que M. Franck Hattab était directeur général de Rallye ainsi que responsable de la communication financière sur toute la période des faits reprochés. Il était en charge de la communication financière de la société et “savait ou à tout le moins aurait dû savoir que les informations diffusées par Rallye relatives à sa situation financière était fausses ou trompeuses”[16].

Il en résulte, selon la Commission des sanctions, que M. Frank Hattab était une personne physique prenant “part à la décision de mener des activités pour le compte de la personne morale concernée au sens de l’article 12.4 du règlement MAR”, de sorte que “les manquements de Rallye aux dispositions des articles 12.1, c) et 15 du règlement MAR à l’occasion des informations qu’elle a diffusées entre le 8 mars 2018 et le 15 mai 2019 sont par conséquent imputables à M. Hattab sur le fondement de l’article 12.4 du même règlement”[17].

 

III. Le montant élevé des sanctions pécuniaires justifié notamment par la répétition des faits litigieux et le préjudice causé aux investisseurs

 

A l’égard de la société Rallye, la Commission des sanctions a prononcé une sanction d’un important montant de 25 millions d’euros et de 1 millions d’euros à l’encontre de son ancien dirigeant.

La commission a notamment soulevé la particulière gravité de ces manquements au regard de la répétition de la diffusion des informations fausses ou trompeuses, du fait qu’elle portaient sur l’aspect le plus central de son activité et que la secrétaire générale adjointe de l’AMF avait attiré l’attention de cette société dès 2016 sur la qualité de sa communication financière et en particulier sur la présentation du risque de liquidité[18].

La Commission a par ailleurs relevé que, bien que des pertes subies par des tiers n’avaient été estimées, les manquements commis par Rallye étaient susceptibles d’avoir causé un préjudice important aux investisseurs qui n’ont pas été en mesure d’évaluer et d’anticiper le risque de défaut de Rallye[19].

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