Analyse
15 mars 2023

Le FinCEN américain émet une nouvelle règle sur la déclaration des bénéficiaires effectifs dans le cadre du Corporate Transparency Act

À compter du 1er janvier 2024, les sociétés opérant aux États-Unis seront tenues de communiquer des informations sur leurs bénéficiaires effectifs au FinCEN (le Réseau de lutte contre la criminalité financière).

 

Le 29 septembre 2022, le département du Trésor des Etats-Unis a annoncé la publication d’une nouvelle règle concernant la communication d’informations sur les bénéficiaires effectifs (Beneficial Ownership Information). La plupart des sociétés et entités créées ou enregistrées pour exercer une activité aux États-Unis seront tenues de communiquer au Financial Crimes Enforcement Network (Réseau de lutte contre la criminalité financière, ci-après “FinCEN”) des informations concernant les bénéficiaires qui les détiennent ou les contrôlent.

L’objectif de cette règle est de renforcer la sécurité nationale en empêchant les personnes physiques et morales conduisant des activités illicites de s’abriter derrière des sociétés écrans et ainsi profiter du système financier pour blanchir de l’argent et dissimuler des produits illicites[1]. Cette initiative est proche du dispositif institué en France par l’ordonnance n°2020-115 du 12 février 2020, relative aux “Informations sur les bénéficiaires effectifs”.

 

I. La règle relative à l’information sur les bénéficiaires effectifs est jugée nécessaire pour une plus grande transparence du système financier

Le but de la collecte d’informations sur les bénéficiaires effectifs des entités commerciales opérant aux États-Unis est principalement d’éviter que l’écran de la personnalité morale ne soit utilisé à des fins illicites, notamment dans le cadre de délits financiers. Selon le secrétaire du département du Trésor des Etats-Unis, les informations relatives aux bénéficiaires effectifs de ces entités permettrait de “sévir contre les criminels, les individus corrompus et les autres acteurs néfastes cherchant à tirer parti du système financier américain à des fins illicites”[2], visant de fait de nombreuses infractions pouvant être favorisées par l’anonymat des bénéficiaires effectifs, telles que le blanchiment d’argent, la dissimulation de patrimoines et d’actifs illicites, le transfert d’argent lié au trafic de drogue et d’êtres humains, ainsi que la fraude fiscale grave portant préjudice aux contribuables américains.

Cette règle du FinCEN met en œuvre la section 6403 de la loi sur la transparence des entreprises (Corporate Transparency Act – CTA). Cette loi a été adoptée le 1er janvier 2021, à la suite de la loi de 2020 sur la lutte contre le blanchiment d’argent, et de la loi sur la validation de la défense nationale pour l’année fiscale 2021[3]. Son objectif était d’empêcher l’exploitation de sociétés américaines à des fins illicites et d’aider les forces de l’ordre à prévenir les comportements répréhensibles impliquant ces sociétés.

Le FinCEN a également souligné que les récents événements géopolitiques ont prouvé l’importance et la nécessité de telles informations. En effet, les sanctions imposées à la Russie par suite de l’invasion de l’Ukraine ont, dans certains cas, été contournées par l’utilisation de sociétés américaines détenues par des ressortissants russes[4].

 

II. La règle relative à l’identification des bénéficiaires effectifs s’applique à un grand nombre de sociétés et impose de communiquer des informations diverses

Lors de la publication de cette règle, le FinCEN a cependant précisé que les obligations de déclaration pesant sur les entreprises seraient adaptées à leur taille[5].

La règle du FinCEN s’applique à la plupart des entités (nouvelles et existantes) exerçant des activités aux États-Unis, qu’elles soient nationales ou étrangères. Ces “entreprises déclarantes” comprennent[6] :

  • Les US corporations (toutes sauf 23 exemptions statutaires)
  • Les sociétés à responsabilité limitée
  • Toute entité créée par le dépôt d’un document auprès d’un secrétaire d’État ou d’un bureau similaire en vertu de la loi d’un État ou d’une tribu indienne
  • Toute société étrangère enregistrée pour exercer des activités dans un État ou une juridiction tribale par le dépôt d’un document auprès d’un secrétaire d’État ou d’un bureau similaire

Chaque société déclarante doit fournir au FinCEN le rapport d’information sur les bénéficiaires effectifs qui comprend plusieurs éléments administratifs devant permettre d’identifier ces derniers et notamment des éléments sur les personnes contrôlant la société ou celles responsables de son enregistrement, en ce compris leurs noms, dates de naissances, adresses, numéros de papiers d’identité.

Cette règle entrera en vigueur le 1er janvier 2024. Les sociétés déclarantes créées préalablement auront un an pour déposer leur rapport initial, et celles créées postérieurement auront 30 jours pour y procéder à compter de la notification de création. Tous les changements de propriété ou la correction d’informations erronées devront être effectués sous 30 jours.

Sont notamment considérés comme des bénéficiaires effectifs : (i) les personnes qui détiennent au moins 25 % du capital de la société ; (ii) les personnes qui exercent un contrôle substantiel et prennent des décisions importantes ; et (iii) les personnes en charge de l’enregistrement de la société déclarante.

Le département du Trésor des Etats-Unis a par ailleurs précisé, dans une note de décembre 2022, que les informations sur les bénéficiaires effectifs pourraient notamment être communiquées aux destinataires suivants : (i) les agences gouvernementales fédérales, étatiques ou locales ; (ii) les autorités judiciaires ou de poursuites étrangères ; (iii) les institutions financières ; (iv) certaines autorités de supervision et (v) le département du Trésor américain[7].

 

III. La règle relative à l’information sur les bénéficiaires effectifs est proche de la règle française sur le registre des “bénéficiaires effectifs”

Les États-Unis sont un membre fondateur du Groupe d’Action Financière (GAFI) qui avait déjà recommandé en 2012 l’édiction de normes sur la transparence des bénéficiaires effectifs, à savoir les “Normes Internationales sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération”[8].

Par ailleurs, une règle très proche avait été introduite en France par la loi Sapin II en 2016 qui figure aujourd’hui dans le Code monétaire et financier[9], qui impose aux sociétés françaises et étrangères de déclarer les bénéficiaires effectifs au Registre du Commerce et des Sociétés (RCS).

Il existe toutefois quelques différences entre les deux régimes, la principale étant que le registre français des bénéficiaires effectifs est librement accessible au public en ligne[10].

Pour autant, dans un arrêt rendu le 22 novembre 2022, la Cour de Justice de l’Union européenne (la “CJUE”) a considéré que l’accès au grand public des informations sur les bénéficiaires effectifs constituait “une ingérence grave dans les droits fondamentaux au respect de la vie privée et à la protection des données” à caractère personnel sur le fondement des articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne[11].

Malgré cette décision très remarquée, le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a décidé le maintien de l’accès du grand public aux données du registre des bénéficiaires effectifs dans l’attente de tirer toutes les conséquences de l’arrêt de la CJUE en soulignant que “la publicité et la gratuité du registre des bénéficiaires effectifs a été garantie dans le cadre de la transposition de la cinquième directive européenne relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme”[12].

 

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