Le 24 avril 2024, la Cour de cassation a rendu sa décision concernant l’affaire Fillon dans le cadre de la procédure pénale engagée à son encontre pour détournement de fonds publics, complicité et recel de ce délit, ainsi que recel de complicité d’abus de biens sociaux.
Après un premier jugement rendu le 29 juin 2020 par le tribunal correctionnel de Paris, et un arrêt d’appel rendu le 9 mai 2022 qui le condamnait à quatre ans d’emprisonnement dont un an ferme et à 375 000 euros d’amende, François Fillon formait un pourvoi en cassation. Le 6 avril 2023, François Fillon formulait également deux QPC dont une était transmise par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel par décision de renvoi du 28 juin 2023[1].
Dans sa décision, le Conseil constitutionnel faisait droit à cette QPC, laquelle concernait le premier alinéa de l’article 385 du code de procédure pénale (ci-après “CPP”)[2] selon lequel le prévenu ne peut plus invoquer devant le tribunal correctionnel, saisi par renvoi du juge d’instruction ou de la chambre de l’instruction, un moyen tiré de la nullité de la procédure. Le Conseil constitutionnel expliquait que ni cette disposition ni toute autre disposition ne prévoit d’exception à ce principe et ce même dans le cas où le prévenu aurait eu connaissance du motif de nullité de manière tardive, c’est-à-dire après la clôture de l’instruction[3]. Il déclarait donc que cette absence d’exception portait atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif ainsi qu’aux droits de la défense et que les termes du premier alinéa de l’article 385 du CPP étaient contraires à la Constitution[4].
Dans la dernière décision en date, la Cour de cassation s’est prononcée sur les pourvois soulevés par l’ancien Premier ministre, son épouse et son ancien suppléant. S’alignant sur le jugement de la Cour d’appel de Paris en 2022, la chambre criminelle a confirmé l’irrecevabilité de l’exception de nullité de la procédure.
Avant de revenir sur les motifs de cette déclaration d’inconstitutionnalité (II) et sur l’issue de la décision de la Haute juridiction (III) il convient de rappeler que la décision du Conseil constitutionnel s’inscrit dans le cadre de la saga Fillon, ayant débuté en 2017 peu avant les élections présidentielles (I).).
I. Retour sur la saga judiciaire du camp Fillon
En 2017, peu avant l’élection présidentielle française, un scandale éclatait concernant François Fillon, alors candidat pour Les Républicains. Le canard enchaîné avait en effet publié les premières lignes de ce qui sera dénommé par la suite l’affaire “Penelopegate”. Il était affirmé que Penelope Fillon, épouse de François Fillon, employée comme collaboratrice parlementaire de ce dernier entre 1998 et 2013, ne s’était jamais rendue à l’Assemblée nationale et n’avait jamais assisté au travail parlementaire. Il était également reproché un emploi fictif de Penelope Fillon en tant que conseiller littéraire de la Revue des deux mondes avec un salaire de 135 000 euros annuel alors qu’elle n’aurait publié que deux notes de lecture. Enfin, d’autres emplois fictifs étaient allégués concernant les enfants de François Fillon qui avaient été employés de ce dernier lorsqu’il était sénateur entre 2005 et 2007.
A la suite de ces révélations, une enquête a été ouverte par le parquet national financier, préalablement à la désignation de juges d’instruction pour l’ouverture d’une information judiciaire en février 2017 et la mise en examen de François Fillon le 14 mars 2017.
Le 29 juin 2020, le tribunal correctionnel de Paris rendait sa décision et condamnait François Fillon à cinq ans de prison dont 2 ans ferme, à 375 000 euros d’amende et à une peine d’inéligibilité de 10 ans pour détournement de biens publics, complicité et recel, ainsi que complicité d’abus de biens sociaux et de recel de ce délit. Son épouse, Penelope Fillon, était, quant à elle, condamnée à trois ans d’emprisonnement avec sursis ainsi qu’à 375 000 euros d’amende.
Un appel ayant été interjeté, la Cour d’appel de Paris confirmait, le 9 mai 2022, la condamnation de François Fillon, et prononçait une peine de quatre ans d’emprisonnement dont un an ferme, 375 000 euros d’amende et 10 ans d’inéligibilité contre ce dernier ainsi que deux ans d’emprisonnement avec sursis et 375 000 euros d’amende concernant Penelope Fillon.
Dans le cadre du pourvoi en cassation, François Fillon présentait à la Cour de cassation deux QPC. Seule celle concernant l’alinéa 1er de l’article 385 du CPP était transmise au Conseil constitutionnel par cette dernière. Dans cette QPC, François Fillon reprochait à cet article de faire obstacle à la possibilité de soulever devant le tribunal correctionnel, un moyen de nullité de la procédure d’instruction, alors même qu’il n’avait pas pu avoir connaissance de ce moyen avant la clôture de cette procédure d’instruction.
En l’espèce, le moyen découvert tardivement concernait les déclarations faites en 2020 (alors que l’instruction était close en 2019) par Eliane Houlette, procureure au parquet national financier au moment de l’enquête sur les emplois fictifs, qui indiquait devant la commission d’enquête parlementaire à l’Assemblée nationale sur l’indépendance du pouvoir judiciaire avoir reçu une “énorme pression” en 2017 concernant l’affaire des emplois fictifs de la part de la Procureure générale de Paris, sa supérieure hiérarchique, notamment sur le choix procédural du parquet national financier de mener une enquête préliminaire par opposition à l’ouverture d’une information judiciaire.
Devant le tribunal correctionnel et la Cour d’appel, François Fillon avait utilisé cet argument comme moyen de nullité de la procédure antérieure, ce qui avait été refusé par les juges d’appel compte tenu du fait que l’article 385 du CPP interdisait de soulever un tel moyen de nullité après la clôture de l’instruction. La cour d’appel avait néanmoins également statué au fond et jugé les exceptions de nullité mal fondées.
Compte tenu du fait que François Fillon n’avait eu connaissance de ces déclarations et de leurs contenus qu’après la clôture de l’instruction, il avait été empêché de soulever les moyens de nullité fondés sur les déclarations d’Eliane Houlette. Il arguait donc dans cette QPC que l’article 385 du CPP portait atteinte à ses droits de la défense ainsi qu’à son droit à un recours juridictionnel effectif.
II. Abrogation de l’impossibilité d’invoquer des moyens de nullité découverts tardivement
Le Conseil constitutionnel rappelait que les nullités susceptibles d’être soulevées dans le cadre d’une information judiciaire font l’objet d’un régime spécifique. Outre la compétence de principe réservée à la chambre de l’instruction, elles sont soumises à différents délais, notamment ceux prévus aux articles 173-1 et 175 du CPP[5] qui limitent la possibilité de soulever des nullités dans un délai compris entre un et trois mois à compter du dernier acte (interrogatoire, audition, etc.).
Le régime des nullités de l’information judiciaire est également encadré par l’alinéa 1er de l’article 385 du CPP qui prévoit que, dans le cadre d’un renvoi par ordonnance du juge d’instruction, le tribunal correctionnel n’a plus compétence pour constater les nullités de la procédure, lesquelles sont en principe purgées au cours de l’information. Ainsi, une fois l’ordonnance de renvoi émise par le juge d’instruction, les parties ne peuvent plus soulever de nullité concernant la procédure antérieure.
Cette impossibilité de soulever des nullités postérieurement à l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel et l’absence de dérogation à ce mécanisme, notamment dans l’hypothèse de la découverte d’un motif de nullité postérieur à l’ordonnance, constitue d’après le Conseil constitutionnel, une atteinte aux droits de la défense et au droit à un recours juridictionnel effectif prévus à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Dans sa décision du 28 septembre 2023, le Conseil constitutionnel déclare inconstitutionnel les termes “sauf lorsqu’il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction” de l’article 385 du CPP du fait de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif et des droits de la défense[6].
Pour éviter des conséquences excessives que cette abrogation pourrait engendrer et en application de l’article 62 de la Constitution, le Conseil constitutionnel a décidé de reporter l’abrogation des dispositions au 1er octobre 2024[7].
Toutefois, cette décision d’inconstitutionnalité produira pleinement ses effets dès lors qu’elle pourra être invoquée jusqu’à la promulgation d’une éventuelle nouvelle loi ou au plus tard jusqu’au 1er octobre 2024, dans les instances en cours et à venir dans l’hypothèse où comme dans l’affaire Fillon, le moyen de nullité n’aurait pu être connu avant l’ordonnance de renvoi[8].
Ces effets visant à faire cesser l’inconstitutionnalité de l’alinéa 1er de l’article 385 du CPP, ouvrent le champ des possibles. En effet, si cette décision ne préjugeait en rien du fond de la procédure, elle permettait à François Fillon mais également à Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog dans l’affaire des écoutes, intervenus à la procédure devant le Conseil constitutionnel, de retourner devant les juridictions compétentes et arguer de ces moyens de nullités, charge à ces juridictions de statuer sur ces derniers.
III. Une condamnation définitive… ou presque
Le 24 avril 2024, la Cour de cassation s’est ainsi prononcée sur les nullités soulevées postérieurement à l’instruction dans le cadre du dossier des “emplois fictifs”.
Bien que la Cour de cassation ait tiré les conséquences de la décision du Conseil Constitutionnel en admettant que “la déclaration d’inconstitutionnalité [pouvait] être invoquée dans les instances en cours ou à venir lorsque la purge des nullités a été ou est opposée à un moyen de nullité qui n’a pu être connu avant la clôture de l’instruction”[9], elle a toutefois rejeté le pourvoi de François Fillon. La chambre criminelle a en effet constaté que la Cour d’appel de Paris avait bien examiné et écarté les nullités soulevées par l’ancien Premier ministre, ce dernier n’ayant pas soumis au contrôle de la Cour de cassation la motivation de la Cour d’appel sur ce point.
Si la Cour d’appel sera amenée à de nouveau se prononcer sur la peine applicable à François Fillon, la décision de cassation de la Haute juridiction vient confirmer la culpabilité de l’ancien Premier ministre.