Le 11 octobre 2021, soit près de dix ans après sa première publication[1], l’Autorité de la Concurrence a émis, pour consultation, un nouveau projet du document-cadre sur les programmes de conformité aux règles de concurrence[2] reprenant et enrichissant les cinq piliers essentiels à l’élaboration et à la mise en œuvre de tels programmes. Les acteurs concernés avaient jusqu’au 10 décembre 2021 pour y participer grâce à la consultation publique proposée[3]. Le 25 mai 2022, l’Autorité a publié le document final, ce dernier reprenant l’essentiel des dispositions inscrites dans le projet initial.
Cette mise à jour du document-cadre, présenté comme un texte de référence pour élaborer un programme de conformité[4], est l’occasion pour l’Autorité de la concurrence de revenir sur la nécessité pour toutes les structures économiques de mettre en place de tels programmes afin de se prémunir contre de nombreux risques (I), mais également de faire connaitre les piliers essentiels à l’élaboration d’un programme de conformité efficace et pertinent (II). Enfin, la publication de ce document-cadre lui permet également d’insister sur le rôle capital joué par les acteurs de la conformité dont celui de l’avocat qui peut intervenir aussi bien dans l’élaboration du programme de conformité que lors de sa mise en application (III).
I. Aux fins de se prémunir des risques d’infraction aux règles de concurrence, les entreprises ont désormais tout intérêt à intégrer le respect de ces règles à leur programme de conformité ou à en mettre un dédié en place
L’Autorité de la concurrence énumère au sein de ce nouveau document-cadre les raisons pour lesquelles les entreprises doivent mettre en place un programme de conformité aux règles de la concurrence, ainsi que les différents risques auxquels elles s’exposent en cas d’infraction aux dites règles.
Ainsi, si le risque réputationnel[5] reste important, ce sont les risques financiers qui sont les plus dissuasifs. Le montant des amendes est souvent très conséquent : le groupe Apple a ainsi écopé d’une amende de 1,1 milliard d’euros, de même que les grossistes Tech Data et Ingram Micro à hauteur de 76,1 millions d’euros et 62,9 millions respectivement, après avoir été reconnus coupables d’ententes au sein de leur réseau de distribution et d’abus de dépendance économique[6].
En effet, “la violation des règles de concurrence, telles que prévues par le droit français et le droit de l’Union, peut exposer les personnes morales à des sanctions pécuniaires importantes, pouvant aller jusqu’à 10 %[7] de leur chiffre d’affaires mondial”[8]. Des astreintes jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires journalier moyen par jour de retard peuvent également être imposées, afin de contraindre les entreprises contrevenantes à cesser l’infraction qui leur est reprochée ou à mettre en place des mesures provisoires de remédiation[9].
L’article L420-6 du code de commerce prévoit au surplus des peines pouvant aller jusqu’à quatre ans d’emprisonnement et 75000 € d’amendes “pour les personnes physiques ayant pris frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception, l’organisation ou la mise en œuvre de pratiques anticoncurrentielles”[10].
Initialement, le projet de document-cadre mettait en avant le fait que la mise en œuvre d’un programme de conformité adéquat puisse permettre de réduire in fine l’impact des sanctions imposées par l’Autorité de la concurrence. Cette dernière rappelait en ce sens qu’en permettant la détection précoce de pratiques anticoncurrentielles potentielles, le programme de conformité offrait la possibilité aux entreprises de pouvoir bénéficier d’un traitement favorable dans le cadre de la procédure de clémence prévue par le IV de l’article L464-2 et R464-5 et suivants du code de commerce[11]. En effet, les entreprises et associations d’entreprises pouvaient solliciter une exonération totale ou partielle des sanctions pécuniaires en informant l’Autorité de la concurrence de l’existence d’ententes illicites et en coopérant avec cette dernière afin d’y mettre fin[12].
Cependant, dans la version publiée en date du 25 mai 2022, l’Autorité est beaucoup plus concise sur cette opportunité. Elle se contente de rappeler que les procédures de transaction et de clémence sont des moyens pour l’entreprise de se mettre en conformité[13]. Toute référence aux éventuels gains procéduraux a été supprimée.
De la même manière, si dans le projet soumis à consultation l’Autorité de la concurrence soulignait que depuis la transposition de la directive ENC+[14], l’incitation pour les entreprises à mettre au jour d’éventuelles ententes secrètes était d’autant plus renforcée qu’une immunité, ou une réduction de sanction pénale pouvait également être obtenue par les personnes physiques[15], ce passage a été intégralement supprimé dans la version finale du document.
Alors que l’Autorité de la concurrence avait, dans une décision de 2017[16], considéré que les programmes de conformité n’avaient pas vocation, de façon générale, à justifier une atténuation des sanctions[17], elle estime toutefois que l’élaboration et la mise en œuvre de programmes de conformité, qui ont “vocation à s’insérer dans la gestion courante des entreprises, notamment lorsque celles-ci sont de taille conséquente”[18], permettent de prévenir les risques financiers et offrent la possibilité d’obtenir des sanctions moins importantes.
Les programmes de conformité constituent ainsi un outil de prévention indispensable, s’inscrivant dans une logique proactive des entreprises encouragée par l’Autorité de la concurrence.
II. L’Autorité de la concurrence identifie cinq piliers indispensables pour un programme de conformité aux règles de la concurrence efficace et utile
L’Autorité rappelle que la vocation d’un programme de conformité aux règles de concurrence est d’être inséré dans un programme de conformité global. Ce dernier doit en effet regrouper l’ensemble des dispositifs préventifs mis en place par l’entreprise, aussi bien en matière de lutte contre le blanchiment et la corruption, qu’en matière de protection des données personnelles ou de responsabilité sociale, sociétale et environnementale[19].
Selon l’Autorité de la concurrence, un programme de conformité n’est utile et efficace que s’il permet d’une part de prévenir les risques d’infraction, et d’autre part de donner les moyens de détecter et de traiter les cas d’infraction s’il venait à s’en produire[20]. Elle prône dès lors un programme “sur-mesure, qui doit être adapté aux marchés, aux activités et produits, à l’organisation et à la culture internes, ainsi qu’à la chaîne décisionnelle et au mode de gouvernance ”[21]. Pour parvenir à l’élaboration d’un tel programme, l’entreprise se doit de réaliser une analyse de l’ensemble de ses risques, conduisant ainsi à l’établissement d’une cartographie desdits risques[22].
Le programme de conformité doit ainsi permettre à l’entreprise d’anticiper de nouveaux risques[23] et à cette fin, celle-ci doit procéder à une veille régulière du cadre législatif, jurisprudentiel mais également des pratiques décisionnelles des autorités de concurrence tout en prenant soin d’adapter cette vigilance aux caractéristiques propres à l’entreprise, ainsi qu’au marché sur lequel elle opère[24].
Pour ce faire, le programme de conformité doit être construit autour de cinq piliers :
- Un engagement public de l’entreprise par “une prise de position claire, ferme et publique des organes de direction, et plus généralement de l’ensemble des dirigeants et mandataires sociaux sur la nécessité de respecter les règles de concurrence et de soutenir le programme de conformité de l’entreprise”[25]. En l’espèce, l’objectif pour l’entreprise est que tous ses organes agissent collectivement et de concert. Tous doivent connaitre l’existence du programme de conformité et leur obligation de l’appliquer strictement et rigoureusement[26].
- Lorsque la structure et l’organisation de l’entreprise le permet, l’Autorité de la concurrence recommande vivement aux organes de direction de nommer des personnes responsables en interne de la gestion et de l’application du programme de conformité[27]. Ces personnes responsables doivent disposer de l’autorité et des compétences incontestables pour l’exercice d’une telle mission, mais également du temps et des ressources nécessaires, ainsi que d’une capacité à accéder directement aux organes de direction de l’entreprise[28]. La version finalisée du document-cadre ajoute qu’elles doivent bénéficier de l’autonomie et de l’indépendance nécessaires pour mener à bien leur mission[29].
- Tous les membres du personnel et de la direction doivent bénéficier de mesures d’information, de formation et de sensibilisation[30], afin qu’ils aient tous conscience de l’existence du programme de conformité, de son utilité, de son contenu, du sens et de la portée pratique des règles de concurrence[31] ainsi que des mécanismes d’alerte internes[32]. Concernant les formations et les sensibilisations aux règles de concurrence, il est nécessaire que “ces exercices soient adaptés à chaque public interne cible, en fonction des métiers et des responsabilités exercés”[33].
- La mise en place de mécanismes effectifs de contrôle et d’alerte est également clé pour l’efficacité d’un programme de conformité. En effet, si les mécanismes de contrôle “doivent permettre de s’assurer du respect du programme de conformité à tous les niveaux de l’entreprise”[34], le mécanisme d’alerte permet quant à lui aux “salariés de l’entreprise ou aux membres de l’association d’entreprises de communiquer de manière appropriée avec les personnes désignées responsables de la conformité, qu’il s’agisse de leur demander conseil ou de les alerter sur des infractions avérées ou possibles”[35].
- Enfin, le programme de conformité doit disposer d’un dispositif de suivi qui doit “comprendre l’établissement d’une procédure de traitement des demandes de conseil et des alertes (quel examen en est fait et quelle réponse est donnée), d’une procédure de sanction en cas de non-respect du programme de conformité”[36].
III. Parmi les acteurs de la conformité, l’Autorité de la concurrence reconnaît à l’avocat un rôle de véritable soutien pour la fonction conformité de l’entreprise
L’Autorité de la concurrence rappelle que l’avocat apporte “un savoir-faire supplémentaire” en matière de politique de conformité qui peut être utile à l’entreprise[37]. En effet, il peut “conseiller l’entreprise lors de la conception de la politique générale de conformité”[38], et “aider à la mise en œuvre concrète des programmes de conformité”[39] en expliquant les programmes et en sensibilisant l’ensemble du personnel à ses objectifs, notamment grâce aux formations dispensées[40]. Il peut également “procéder à une évaluation régulière des programmes de conformité et du comportement des entreprises par des audits juridiques afin de déceler et de corriger les possibles dysfonctionnements de leur programme ou infractions au droit de la concurrence”[41].
Enfin, pour les Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI) et les Petites et Moyennes Entreprises (PME) dépourvues de responsables conformité, l’avocat, soumis au secret professionnel, “peut permettre d’externaliser la fonction conformité et les prestations qui s’y attachent”[42]. En effet, les PME et les ETI sont tout autant concernées par les enjeux du droit de la concurrence et plus largement de la conformité. Bien que les coûts de telles mesures puissent être importants, ils sont compensés non seulement par la diminution des risques de poursuites, mais aussi par l’avantage concurrentiel que procure un programme de conformité solide et efficace dans la relation avec les clients mais aussi les grandes entreprises et les acteurs financiers.