Le groupe Areva a pu mettre fin aux poursuites portant sur des faits s’étant déroulés en Mongolie qui le visaient, ainsi que le groupe Orano, devenu propriétaire de ses activités minières, par la signature d’une convention judiciaire d’intérêt public[1] (CJIP)[2], homologuée le 9 décembre 2024 par le Président du tribunal judiciaire de Paris[3].
Aux termes de cette CJIP, conclue pour des faits qui pourraient revêtir la qualification de corruption d’agents publics étrangers en Mongolie (I), Areva SA et Orano Mining SAS se sont engagées respectivement à verser une amende d’intérêt public de 4,8 millions d’euros et à se soumettre à un programme de mise en conformité sous le contrôle de l’Agence française anticorruption (AFA) (II).
Cette 22ème CJIP signée par le Parquet national financier (PNF) est la dernière et seulement la quatrième conclue en matière de probité et de fiscalité de l’année 2024, après celles qui ont été conclues par la SARL Gudno (fraude fiscale)[4], la SARL Sotec (complicité de corruption active d’agents publics étrangers)[5] et la Danske Bank A/S (blanchiment de fraude fiscale en bande organisée)[6], l’année 2024 ayant en effet fait davantage la part belle au développement de la CJIP environnementale[7]-[8].
I. Areva SA et Orano Mining SAS ont accepté de signer une CJIP pour des faits de corruption d’agents publics étrangers
Cette CJIP fait suite à un signalement de TRACFIN du 13 mai 2015 au sujet d’un virement suspect de 725 000 euros effectué par la société Eurotradia International, dont le groupe Areva était un des clients, à un homme d’affaires mongol, puis à l’enquête ouverte par l’OCLCIFF (Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales) le 3 juin 2015[9].
Cette procédure, longue de presque dix ans, a permis de mettre à jour que le groupe Areva, qui a commencé à s’implanter en Mongolie dans les années 1990, avait conclu via sa société mère Areva SA, un contrat-cadre pour des services de consultant le 1er juillet 2010 avec Eurotradia International et que cette société avait ensuite remis des fonds à un homme d’affaires mongol qui en aurait à son tour reversé une partie à des agents publics dans le but de les corrompre[10].
En effet, il apparaît que (i) conformément à ce contrat-cadre, le groupe Areva, au travers de sa filiale Areva Mines SA, a mandaté Eurotradia International pour une mission d’assistance financière, juridique et commerciale le 15 octobre 2013, rémunérée 4 millions d’euros, après avoir obtenu des licences d’exploration et d’exploitation lui permettant de développer une activité minière en Mongolie[11], et qu’ensuite (ii) Eurotradia International a conclu un contrat de consultant le 9 avril 2014 avec un homme d’affaires mongol pour une mission de conseil et d’assistance de l’activité du groupe Areva en Mongolie au titre duquel elle lui a versé 1, 275 million d’euros[12].
Or, cet homme d’affaire n’a en réalité pas mené à bien les missions qui lui incombaient, et qui comprenaient la signature d’un pacte d’actionnaires et un processus de transfert de licences, et surtout, les fonds qu’il a reçus de la part d’Eurotradia International ont d’une part été investis dans un projet immobilier détenu majoritairement par un agent public mongol et ont d’autre part bénéficié à un autre agent public mongol, tous deux étant intervenus dans le processus d’implantation des activités minières du groupe Areva en Mongolie[13].
Le PNF a considéré que ces faits étaient susceptibles de caractériser l’infraction de corruption d’agents publics étrangers prévue à l’article 435-3 du code pénal[14].
II. Areva SA et Orano Mining SAS ont respectivement accepté de verser une amende d’intérêt public et de se soumettre à un programme de mise en conformité sous le contrôle de l’AFA
De manière classique dans le cadre des CJIP, Areva SA a accepté de verser une amende d’intérêt public au Trésor Public de 4,8 millions d’euros calculée sur la base des avantages tirés des manquements (ATM) et de l’application de facteurs majorants (taille de l’entreprise, utilisation d’un intermédiaire, implication d’agents publics et trouble grave à l’ordre public) et de facteurs minorants (mesures correctives, investigations internes, unicité d’occurrence et coopération par la remise d’un rapport d’enquête interne et des réponses diligentes apportées aux questions posées par le PNF)[15].
Le PNF a toutefois pris en compte l’organisation complexe des sociétés en cause dans l’établissement du montant de cette amende. En effet, le PNF a :
- retenu comme limite du montant de l’amende la moyenne des chiffres d’affaires d’Areva SA de 2018, 2019 et 2020 et non ceux des trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date du constat des manquements tel que prévu par l’article 41-1-2 du CPP[16] en raison du changement d’activité d’Areva SA et la cession de ses actifs à Orano SA[17];
- établi l’ATM sur le montant qu’Areva Mines SA s’était engagé à verser à Eurotradia International, soit 4 millions d’euros, et non sur les réels avantages résultant des manquements puisqu’Areva SA n’a pas été en mesure d’établir la rentabilité économique de son projet d’implantation en Mongolie et par conséquent n’a retenu que la partie afflictive[18] de l’amende et non la partie restitutive[19] puisque les ATM n’ont pas été perçus par Areva SA et ne seront pas perçus par Orano SA[20].
Par ailleurs, Orano Mining SAS, ayant repris et développé les anciennes activités minières du groupe Areva, a accepté de se soumettre à un programme de mise en conformité sous le contrôle de l’AFA visant à s’assurer qu’elle opèrera de manière saine et éthique dans le futur ainsi qu’à provisionner 1,5 millions d’euros afin de couvrir les frais qui seront engendrés[21]. Sur la base d’un rapport d’examen préalable à l’établissement d’une CJIP établi par l’AFA, il a été décidé que cette mise en conformité visera l’ensemble du groupe Orano, durera trois ans et que l’AFA aura la possibilité d’y mettre fin de manière anticipée au terme de deux ans si le groupe Orano a alors respecté l’ensemble de ses obligations[22].
Si cette CJIP vient clore le dossier pour les personnes morales, les personnes physiques impliquées quant à elles devront faire l’objet d’un jugement qui aura lieu prochainement dès lors qu’elles ne peuvent pas bénéficier d’une CJIP. Affaire à suivre donc en ce qui concerne leur sort.