L’Agence Française Anticorruption (AFA) a publié le 9 décembre 2024 une note fondée sur l’examen de 504 décisions de justice de première instance rendues en 2021 et 2022. Ce document met notamment en lumière la diversité des atteintes à la probité, des profils des prévenus, des secteurs d’activités concernés, mais également les modes opératoires récurrents ainsi que les réponses judiciaires apportées.
À travers l’analyse de cette note, plusieurs tendances émergent. Premièrement, la corruption, le détournement de fonds ou de biens publics et le favoritisme dominent les infractions d’atteinte à la probité renvoyées devant les juridictions (I). Deuxièmement, ces infractions sont plus nombreuses en cas d’interpénétration public-privé et dans certaines zones géographiques (II). Troisièmement, des modes opératoires récurrents ont été mis en évidence dans la commission de ces infractions (III). Quatrièmement, les réponses judiciaires concernent majoritairement des personnes physiques et sont marquées par un taux élevé de condamnations (IV). Enfin, la part significative des signalements au visa de l’article 40 du Code de procédure pénale, à l’origine des poursuites, souligne la nécessité pour les entreprises de renforcer leurs dispositifs de conformité (V).
I. La corruption, le détournement de fonds ou de biens publics et le favoritisme dominent les infractions d’atteinte à la probité renvoyées devant les juridictions
L’analyse révèle que la corruption, sous ses formes actives et passives, est l’infraction d’atteinte à la probité la plus courante, représentant 36,9% des infractions recensées[1]. Ces faits concernent des propositions ou des sollicitations d’avantages en échange d’actes relevant des fonctions, des missions, des mandats des personnes impliquées, ou facilités par ceux-ci.
Viennent ensuite le détournement de fonds ou de biens publics (22,1%), qui inclut des pratiques telles que les emplois fictifs ; l’emploi d’agents publics à des fins personnelles ou encore le détournement de saisies lors d’une perquisition[2]; et le favoritisme (15,5%), une infraction notamment liée aux marchés publics et à la violation des principes d’égalité et de transparence dans l’attribution de tels contrats[3].
A contrario, le trafic d’influence (8,4%)[4] ou la concussion (2,5%)[5]sont les infractions les moins représentées dans les 504 décisions de justice étudiées.
Dans une très grande majorité des affaires analysées, un seul type d’atteinte à la probité est poursuivi puisque seulement 13,29% des affaires incluent une combinaison de plusieurs atteintes à la probité. Pour l’AFA, cela tend à démontrer une appréhension globale du phénomène par le juge pénal[6].
II. Les infractions d’atteinte à la probité sont plus nombreuses en cas d’interpénétration public – privé et dans certaines zones géographiques
Un peu plus de la moitié des décisions de justice concernent le secteur public (51,6%)[7] et impliquent les collectivités territoriales. Parmi celles-ci, 41,3% concernent les collectivités du bloc communal, 8,6% les collectivités départementales et 4,4% les collectivités régionales[8]. Les administrations centrales et déconcentrées de l’État (24,3%), et les établissements publics (17,8%) représentent également une part importante des cas identifiés[9].
Du côté du secteur privé, les activités spécialisées, scientifiques et techniques (15,4%) ainsi que le domaine de la construction (14,5%) sont les plus exposés aux atteintes à la probité. Dans la nomenclature d’activités publiée par l’INSEE, les activités spécialisées, scientifiques et techniques incluent notamment les services juridiques, comptables, le conseil de gestion, l’ingénierie, la recherche scientifique, la publicité, etc[10].
Un aspect particulièrement notable des atteintes à la probité réside dans l’interpénétration entre les secteurs publics et privés. Les secteurs privés les plus concernés par ces infractions sont souvent ceux où cette interconnexion est la plus forte. L’analyse des décisions de justice met en évidence une cartographie des vulnérabilités spécifiques en fonction de la nature des infractions. Par exemple, les collectivités territoriales, en particulier le bloc communal, ont un poids important dans les affaires mêlant secteurs publics et privés, souvent en lien avec le secteur de la construction[11].
La répartition des infractions sur le territoire national est hétérogène. En effet, certaines zones géographiques sont plus affectées que d’autres par les atteintes à la probité[12]. Les régions PACA, Corse et les territoires ultra-marins affichent une prévalence plus élevée d’atteintes à la probité, confirmant des tendances déjà observées dans d’autres études[13].
III. Des modes opératoires de certaines infractions d’atteinte à la probité apparaissent récurrents
L’analyse des décisions de justice menée par l’AFA met en évidence des modes opératoires similaires dans la commission des infractions d’atteinte à la probité.
Par exemple, la facturation de complaisance apparaît comme étant un mode opératoire récurrent dans les affaires d’infraction à la probité. Elle consiste à émettre des factures pour des prestations fictives ou à réaliser des surfacturations aux fins de masquer un transfert illégal de fonds[14].
Certains modes opératoires sont également prégnants selon la nature de l’infraction. Ainsi, la prise illégale d’intérêts se manifeste souvent lorsque le prévenu prend part à des délibérations ou des commissions desquelles il aurait normalement dû se retirer[15]. En matière de détournement de biens publics, les pratiques incluent notamment des emplois fictifs, des surfacturations ou l’utilisation de faux en écriture[16]. Le trafic d’influence et la corruption sont souvent commis au travers de pratiques comme l’octroi de cadeaux, d’avantages, de services ou de pots-de-vin[17].
En matière de favoritisme, les modes opératoires incluent la rédaction, en amont, du cahier des charges et de l’appel d’offres, en vue de favoriser un candidat précis ou le fractionnement des contrats pour contourner les seuils réglementaires[18].
La complexité de certains modes opératoires, tels les schémas corruptifs, avec une moyenne de 2,7 prévenus par affaire, complique la détection et l’investigation des infractions[19].
IV. Les réponses judiciaires concernent majoritairement des personnes physiques et sont marquées par un taux élevé de condamnations
Parmi les 1350 prévenus recensés[20], 92,4% sont des personnes physiques[21], souvent des hommes (79,7%)[22]. L’âge médian de ces prévenus est de 44 ans, un chiffre qui varie toutefois selon la nature des infractions[23]. Les agents publics (30,1%) et les dirigeants de société (23,2%) constituent les profils de prévenus les plus représentés. Les élus (11,6%) et les particuliers (18%) sont également impliqués dans un nombre significatif d’affaires[24].
Selon le profil des prévenus, les poursuites ont tendance à concerner les mêmes infractions d’atteinte à la probité. Ainsi, les agents publics sont surreprésentés dans les affaires de détournement de biens ou de fonds publics, de favoritisme et de concussion. Les élus, quant à eux, sont majoritairement impliqués dans des affaires de prise illégale d’intérêts, tandis que les dirigeants de société figurent dans près de la moitié des affaires de trafic d’influence[25].
Le taux de condamnation est élevé avec un taux de déclaration de culpabilité de 71,7%[26]. S’agissant des personnes physiques, les juges semblent privilégier des peines d’emprisonnement seules (37,8% des cas)[27] dont le quantum moyen est de 15,8 mois d’emprisonnement[28], mais en les combinant parfois à des peines d’amendes (37,5% des cas)[29]. Une amende seule est prononcée dans 22% des cas[30]. A cet égard, le montant moyen des amendes s’élève à 20 242 euros pour les personnes physiques et 87 159 euros pour les personnes morales[31].
53,7% des prévenus condamnés ont reçu des peines complémentaires[32], comme l’interdiction d’exercer une fonction publique[33] ou une activité liée à la commission des faits[34]. Ces mesures ciblées permettent de compléter la répression en adaptant les sanctions aux particularités de l’espèce[35].
L’AFA constate toutefois dans les dossiers qu’elle a étudiés une ambivalence, puisque si le taux de condamnation apparaît élevé, le nombre de relaxes prononcées est également notable. En effet, le taux de relaxe est de 25,6%[36], ce qui reste élevé, surtout pour les infractions de concussion (73,3%)[37].
V. La part significative des signalements au visa de l’article 40 du Code de procédure pénale à l’origine des poursuites souligne la nécessité pour les entreprises de renforcer leurs dispositifs de conformité
Les signalements effectués par les autorités et administrations publiques au visa de l’article 40 du Code de procédure pénale sont à l’origine du déclenchement des investigations dans 32,3% des cas étudiés par l’AFA[38]. Cette proportion démontre que les autorités jouent un rôle clé dans la détection des infractions portant atteinte à la probité.
Face à ce constat, les entreprises doivent renforcer leurs systèmes de conformité, notamment leurs mécanismes d’alerte interne, pour identifier les comportements à risque en amont et ainsi, éviter d’éventuelles poursuites. Cela leur permet d’être proactives et de gérer ces problématiques en y apportant les réponses appropriées.