Analyse
29 mars 2023

Arbitrage entre Alstom & ABL : la cour d’appel de Versailles confirme l’exequatur le 14 mars 2023

À la suite d’une longue saga judiciaire entre Alstom et ABL, la Cour d’appel de Versailles confirme l’ordonnance du 30 mars 2016 conférant l’exequatur à la Sentence arbitrale rendu le 29 janvier 2016 et condamne Alstom au paiement des frais d’avocat et aux dépens.

 

Par un arrêt du 14 mars 2023, la Cour d’appel de Versailles confirme l’ordonnance rendue le 30 mars 2016 par le Tribunal de grande instance (aujourd’hui Tribunal judiciaire) de Paris conférant l’exequatur à la Sentence arbitrale rendue le 29 janvier 2016 dans un dossier opposant la société de droit français Alstom Transport SA et la société de droit anglais Alstom Network UK Ltd. (ci-après “Alstom”) et la société Alexander Brothers Ltd (ci-après “ABL”) de droit hongkongais.

L’arrêt, qui est l’aboutissement d’un long processus judiciaire au cours duquel Alstom avait invoqué la contrevenance de cet exequatur à l’ordre public international en raison d’allégations de corruption dans le dossier(I), rejette les moyens formés par cette dernière, fondés sur l’ordre public international (II).

 

I. La Cour d’appel de Versailles se prononce après renvoi de la Cour de cassation – fin d’une longue saga judiciaire

Dans l’affaire ABL c. Alstom, le litige portait initialement sur trois contrats de consultant (ci-après “les Contrats”) conclu entre les sociétés Alstom et ABL, afin que cette dernière assiste Alstom dans la soumission d’offres de fourniture de matériel ferroviaire en Chine.

Les sociétés Alstom n’ayant pas réglé l’intégralité des paiements dus au titre de ces Contrats, ABL avait initié une procédure arbitrale à leur encontre le 20 décembre 2013. Par cette procédure, ALB réclamait le solde de ses factures ainsi que des dommages-intérêts pour le préjudice causé.

Par une sentence arbitrale rendue le 29 janvier 2016 (ci-après “la Sentence arbitrale”), les sociétés ALSTOM avaient été condamnées à payer la somme de 1 700 521,68 euros au titre des deux premiers contrats de consultant, les frais d’arbitrage et les honoraires d’avocats versés. Le Tribunal arbitral avait considéré que les sociétés ALSTOM n’avaient pas rapporté la preuve suffisante de leurs allégations de corruption et que de simples suspicions ne pouvaient les délier de leurs obligations contractuelles.

Les sociétés ALSTOM ont alors intenté un recours en annulation devant le Tribunal fédéral Suisse, lequel a confirmé la Sentence arbitrale le 3 novembre 2016.

Parallèlement, ABL avait demandé l’exequatur de la Sentence arbitrale au Royaume-Uni et en France. L’exequatur avait été accordée au Royaume-Uni et confirmée par la Haute Cour de Londres après contestation par Alstom. L’exequatur avait également été accordée en France par Ordonnance du Tribunal de grande instance de Paris en date du 30 mars 2016. Le 18 mai 2016, les sociétés Alstom avaient interjeté appel de cette ordonnance aux motifs que la Sentence arbitrale contrevenait à l’ordre public international en raison d’allégations de corruption à l’encontre d’ABL et du fait que cette sentence ne respectait pas le principe du contradictoire.

Par un arrêt du 28 mai 2019, la Cour d’appel de Paris avait infirmé l’ordonnance du 19 mai 2016 qui conférait l’exequatur à la Sentence arbitrale estimant qu’il résultait de l’ensemble des éléments du dossier des indices graves, précis et concordants de faits de corruption commis par ABL.

Un pourvoi en cassation de cette décision était alors formé par ABL. La Cour de cassation avait cassé et annulée la décision de la Cour d’appel de Paris le 29 septembre 2021, pour dénaturation en ce que la Cour d’appel de Paris avait apprécié de manière manifestement erronée des éléments qu’elle avait considéré comme des indices de corruption.

L’affaire avait alors été renvoyée devant la Cour d’appel de Versailles.

 

II. Le rejet par la Cour d’appel de Versailles des moyens invoqués par les sociétés ALSTOM pour infirmer l’Ordonnance d’exequatur de la Sentence arbitrale

La Cour d’appel de Versailles, après une étude minutieuse des arguments des parties, a rejeté les moyens d’infirmation de l’ordonnance d’exequatur de la Sentence arbitrale, présentés par Alstom, en raison de l’absence de contrariété de la Sentence à l’ordre public international en raison de l’insuffisance des éléments de preuve à démontrer des indices de corruption (A), de l’absence de contrariété à l’ordre public international des paiements ordonnés par la Sentence en ce qu’ils seraient contraires aux normes internes des sociétés ALSTOM et (B) de l’absence de violation du principe de la contradiction (C).

 

A. Le défaut de violation caractérisée de l’ordre public international en l’absence de preuves de corruption

Les sociétés Alstom demandaient l’infirmation de l’ordonnance conférant l’exequatur à la Sentence arbitrale au motif que l’exécution de cette sentence serait contraire à la conception française de l’ordre public international en ce qu’elle condamnerait Alstom à procéder à un paiement en présence d’un faisceau d’indices de corruption. A l’inverse, la société ABL sollicitait la confirmation de l’ordonnance considérant l’absence d’une violation caractérisée de l’ordre public en cas d’exequatur de la Sentence arbitrale en France, rejetant toute allégation de corruption et démontrant qu’Alstom n’était pas capable d’établir l’existence d’un faisceau d’indices suffisamment graves, précis et concordants.

La Cour d’appel de Versailles a sur ce premier moyen d’infirmation, pris soin de vérifier les huit indices mis en avant par les sociétés Alstom.

D’abord, sur l’insuffisance alléguées des preuves de services, la Cour d’appel de Versailles considère qu’il résulte des éléments du dossier que les preuves de services fournies dans le cadre des contrats de consultant n°1 et n°2 sont suffisantes à démontrer les prestations de services d’ABL au profit des sociétés Alstom. Concernant les preuves du contrat n°3, et bien que la Sentence arbitrale ait rejeté les demandes d’ABL sur ce contrat, la Cour d’appel a cherché à vérifier les preuves de services apportées et en a conclu qu’il résultait des éléments du dossier que ces preuves de services étaient insuffisantes à démontrer la teneur exacte du service rendu et à justifier la rémunération d’ABL. Pour autant, elle en conclut que cette inexécution contractuelle ne suffit pas à démontrer un indice de corruption.

Ensuite, concernant l’argument d’Alstom selon lequel constitue un indice de corruption la détention par ABL de documents et informations prétendument sensibles ou confidentiels sur les appels d’offres, la Cour d’appel indique ne disposer d’aucun élément de preuve lui permettant de soupçonner que ces documents aient été obtenus en échange de pots-de-vin, d’un avantage quelconque ou de procédés déloyaux. L’arrêt rendu le 14 mars 2023 précise au surplus, qu’au regard des éléments apportés, ABL a précisément indiqué l’origine de l’ensemble des documents excepté un rapport d’évaluation, et n’a jamais refusé de s’expliquer sur l’origine de ces documents avant l’arbitrage.

Comme troisième indice de corruption, Alstom fait valoir que constitue un indice de corruption les versements en 2006 et 2009 d’un montant total de 280 589,20 euros d’ALB à Sitico, agent importateur pour le compte de l’entreprise publique chinoise cliente d’Alstom pour l’appel d’offres concernant la fourniture d’équipement du métro de Shangaï. Alstom estime que ces versements ont été effectués à leur insu et ont été découverts en 2013 lors d’audit, tandis qu’ABL explique que ces versements sont intervenus dans le cadre d’un contrat de services signé par ABL et Sitico sans lien avec le présent litige. La Cour d’appel de Versailles qui a étudié cet indice, a constaté que ces versements ont été effectués en exécution d’un contrat tiers entre ABL et Sitico prévoyant des missions de consultant dont Alstom avait entièrement connaissance et qu’ainsi, Alstom était mal fondé à considérer ces versements comme un indice de corruption.

Le quatrième indice mis en avant par les sociétés Alstom était l’attribution du marché de la ligne 2 du métro de Shangaï à Alstom alors même que leur offre technique était moins bien notée. A ce titre, et au regard des éléments de preuves apportés, il a été estimé par la Cour d’appel de Versailles que rien ne permet d’établir qu’ALB aurait eu recours à des méthodes corruptives pour convaincre l’acheteur public.

Alstom affirmait l’existence d’irrégularités et de carences dans la comptabilité d’ALB rendant impossible la vérification de la nature et de la destination des flux financiers et ne permettant pas de prévenir ou empêcher le versement de paiements illicites. Pour autant, au regard des audits et de différentes pièces du dossier (notamment le témoignage de l’expert-comptable et le rapport du CAC d’ABL), la Cour a considéré que la comptabilité d’ABL ne comporte pas d’irrégularités ni de carences constitutives d’un indice de corruption.

Sur le sixième indice dénoncé par les sociétés Alstom, la Cour d’appel de Versailles a conclu comme non établi la prétendue insuffisance des moyens matériels et humains dénoncée par Alstom.

Les sociétés Alstom soutenaient également qu’il existait une disproportion entre les diligences d’ABL et la rémunération réclamée au titre des contrats de consultant. Pour autant, la Cour d’appel de Versailles a considéré que les pourcentages, relativement au montant du marché très élevé et à la durée d’exécution du contrat, étaient conformes aux standards internationaux et qu’ainsi la disproportion dénoncée par Alstom n’était pas établie.

Pour finir, sur le dernier indice soulevé par les sociétés Alstom à savoir le contexte corruptif chinois ainsi que les lourdes condamnations concernant des personnes publics en poste durant la période d’attribution et exécution des marchés, la Cour d’Appel de Versailles rappelle que le gouvernement de la République populaire de Chine mène depuis 2013 une campagne anti-corruption et qu’il n’est pas établi qu’une décision de condamnation pour corruption ou pour toute autre atteinte à la probité ait été rendue contre ABL ou l’un de ses membres. Elle ajoute que la condamnation de personnes publiques en Chine sans rapport avec ABL ne suffit pas à constituer un indice grave et précis de corruption.

Ainsi, pour la Cour d’appel de Versailles, aucun des huit indices mis en avant par les sociétés ALSTOM ne peut, même appréhendés ensemble, être qualifié de grave, précis et concordant. Elle en conclut que l’exécution de la Sentence arbitrale en France n’est ainsi pas de nature à entraîner la rémunération de faits corruptifs et ne porte donc pas atteinte à la conception française de l’ordre public.

 

B. Sur l’absence de contrariété à l’ordre public international des paiements ordonnés par la Sentence en ce qu’ils seraient contraires aux normes internes des sociétés ALSTOM

En second moyen d’infirmation de l’ordonnance d’exequatur, les sociétés Alstom affirmaient que l’exécution de la Sentence arbitrale violerait les règles de prévention de la corruption présentes dans ses normes internes et qui s’imposent à elles et serait contraire à la conception française de l’ordre public international.

Or au regard de cet argument, la Cour d’appel de Versailles a précisé n’examiner la conformité de l’exécution d’une sentence arbitrale à la conception française de l’ordre public international qu’au regard des normes juridiques internationales, législatives et réglementaires applicables, et non au regard des règles de conformité internes fixée unilatéralement par une société. Dès lors, le moyen soulevé par Alstom a été rejeté.

 

C. L’absence de violation du principe du contradictoire

Pour finir, sur le troisième moyen apporté par les sociétés Alstom qui considèrent que la sentence viole le principe du contradictoire en ce que le Tribunal arbitral se serait fondé sur l’“intention réelle et commune des Parties”, la Cour d’appel de Versailles l’a rejeté, estimant qu’il n’était pas démontré que la Sentence arbitrale ait été rendue en violation du principe du contradictoire.

Ainsi, la cour d’appel de Versailles considère que l’ordonnance du 30 mars 2016 ayant revêtu de l’exequatur de la sentence arbitrale du 29 janvier 2016 rendue entre les parties doit être confirmée et les demandes d’Alstom rejetées.

 

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