Événement
5 juin 2024

Arbitrage & cohabitation entre la ZLECAF et le Droit OHADA

Un webinaire organisé par l'Académie Africaine de la pratique du Droit AAPDI le 7 juin 2024 dans le cadre du 3e Concours Africain de l'Arbitrage International.

A l’occasion de la 3e édition du Concours Africain de l’Arbitrage International, organisé par l’Académie Africaine de la pratique du Droit AAPDI, avec le soutien de REAL (Racial Equality for Arbitration Lawyers), le Professeur Abdoulaye Sakho (Institut EDGE), le Docteur Valentin KPAKO et Stéphane de Navacelle (Navacelle) ont exploré la manière dont ces deux cadres juridiques essentiels coexistent et influencent les pratiques de l’arbitrage sur le continent africain à partir de trois grands axes :

 

 

(Transcription littérale)

I. Le droit de l’arbitrage de l’OHADA face à l’émergence de la ZLECAF : état des lieux, par Pr. Abdoulaye Sakho

 

II. La résolution des différends commerciaux à l’ère de la ZLECAF : l’arbitrage OHADA, un modèle efficient ?, par Me. Stéphane de Navacelle

 

Je voudrais rebondir sur ce qu’a dit le Professeur Sakho et qui était plein d’humour et d’humilité, concernant la privatisation du seul service public portant le nom d’une vertu, la justice. Qui suis-je en tant qu’arbitre pour me substituer au peuple ? Il faut avoir conscience de cela en tant qu’arbitre désigné, ce malgré le contrôle de la sentence. Je relève également l’allusion faite à la “mort du droit”, et au fait que l’État Léviathan du XXe siècle devient un acteur parmi tant d’autres de la vie de la communauté et est concurrencé. Je vais essayer de continuer cette référence du menu qui se retrouve dans l’esprit de la ZLECAF.

 

A. La ZLECAF en quelques mots

La création de la Zone de libre-échange continentale africaine, la ZLECAF, résulte de l’Accord du 21 mars 2018. Il a à ce jour été ratifié par 44 pays, et la ZLECAF a officiellement été mise en place le 1er janvier 2021. Par son article 3, l’Accord se fixe comme objectifs de faciliter l’intégration économique du continent africain en facilitant les flux de marchandises et de personnes, en créant notamment un marché unique pour les marchandises et en visant ultérieurement une union douanière.

L’ONU estime que la ZLECAF aura un impact économique considérable pour l’Afrique, la valeur du commerce intra-africain pouvant augmenter jusqu’à 25%, soit près de 70 milliards de dollars, d’ici 2040.

L’Accord vise à intégrer le commerce des marchandises, des services, des investissements, ainsi que de la propriété intellectuelle et du droit de la concurrence. Après une première phase consacrée au commerce des marchandises et des services, une deuxième phase a établi des protocoles relatifs aux investissements, à la concurrence et à la propriété intellectuelle.

La création d’un marché unique africain et l’intégration économique du continent devrait nécessairement entraîner une multiplication des litiges, que ce soit entre États, entre des États et des investisseurs ou entre des opérateurs du commerce international. En raison des différences entre les pays de la zone (de développement, ou encore linguistiques, culturelles, juridiques, etc.), les modes alternatifs de règlement des différends, et particulièrement l’arbitrage, pourraient jouer un rôle clé dans la gestion des litiges.

L’Accord de 2018 prévoit un mécanisme de règlement des différends entre les Etats portant sur les mesures et les protocoles issus de ce dernier. Ce mécanisme a pour but d’“assurer la sécurité et la prévisibilité du système commercial régional. Le mécanisme de règlement des différends préserve les droits et obligations des États parties résultant de l’Accord et clarifie les dispositions existantes de l’Accord conformément aux règles coutumières d’interprétation du droit international public

Il institue un Organe de règlement des différends (“ORD”) constitué des représentants des États parties, chargé de mettre en œuvre les procédures de règlement des différends.

Les modes de règlement des différends comprennent les bons offices, la conciliation ou la médiation, qui peuvent être engagés à tout moment et constituent un mode diplomatique de résolution des différends. Il existe également la consultation – préalable à une procédure de règlement devant l’ORD. Il s’agit d’une méthode négociée visant à trouver une solution concertée et par laquelle les parties s’engagent à examiner les propositions de l’autre État partie.

Enfin le règlement par l’ORD, qui intervient en cas d’impossibilité de trouver une solution amiable. Dans ce cadre, un groupe spécial est mis en place pour résoudre le différend. Il a pour mandat d’examiner l’affaire et de faire des constatations pour aider l’ORD à formuler des recommandations ou statuer sur la question. Un organe d’appel connaît des appels concernant les affaires soumises aux groupes spéciaux.

L’Accord prévoit une procédure d’arbitrage en tant qu’alternative au règlement par l’ORD. Le protocole n’apporte pas de précisions sur le déroulement de la procédure, si ce n’est qu’elle est soumise au consentement des parties, qu’il ne peut être fait appel des décisions arbitrales et que les sentences sont notifiées à l’ORD qui est chargée d’assurer leur exécution.

Il s’agit d’une procédure particulière et différente des arbitrages commerciaux classiques : la sentence ne vient ni trancher un litige ni indemniser une partie, mais assurer l’équilibre dans la mise en œuvre des dispositions de l’Accord au regard de mesures gouvernementales. Si l’ORD est garant de la bonne exécution de la sentence, le recours à un règlement d’arbitrage commercial (par ex. CCJA) ou à un centre d’arbitrage n’est pas exclu.

Le Protocole sur l’investissement adopté en février 2023 prévoit également un mécanisme de règlement des différends relatifs aux investissements sur le continent africain. Cependant non seulement ce Protocole n’a pas été rendu public à ce jour, mais le mécanisme en question n’a semble-t-il pas encore été adopté, ce alors que près de 800 traités bilatéraux d’investissement ont été conclus par des États africains.

 

B. L’OHADA en quelques mots

L’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires a été créée par le Traité de Port-Louis du 17 octobre 1993, modifié par le Traité de Québec du 17 octobre 2008, dans l’objectif d’harmoniser le droit des affaires des États africains en adoptant des règles communes.

L’objectif de l’OHADA était de favoriser la création d’un espace économique intégré en harmonisant les législations africaines, favorisant la sécurité juridique et judiciaire par la modernisation du droit et des institutions. A cette fin, plusieurs actes uniformes ont été adoptés notamment visant le droit commercial général, le droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, les sûretés, ainsi que sur l’arbitrage et la médiation.

S’agissant de l’arbitrage dans le droit OHADA, il convient de distinguer le mécanisme résultant des articles 21 et suivants du Traité de Port-Louis qui instaure un système d’arbitrage administré par la Cour commune de justice et d’arbitrage (“CCJA”), qui agit comme un centre d’arbitrage, et l’acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage du 23 novembre 2017 qui harmonise le droit de l’arbitrage des pays membres de l’OHADA et se substitue aux droits locaux.

La CCJA agit également comme juridiction de dernier ressort s’agissant du contentieux relatif à l’application des actes uniformes, sur renvoi des juridictions compétentes des États parties – à ce titre la CCJA est chargée de l’harmonisation de la jurisprudence relative au droit de l’arbitrage de la zone

 

C. L’arbitrage OHADA : un modèle pour la ZLECAF ?

Le rapprochement entre l’OHADA, qui permet une intégration juridique forte, et la ZLECAF, dont l’objet est d’aboutir à une intégration économique, semble pertinent pour favoriser la libéralisation économique du continent qui doit s’appuyer sur une réglementation homogène et moderne, mais également renforcer la sécurité juridique afin de favoriser le développement économique et les investissements. S’appuyer sur l’expérience de la CCJA permettrait d’assurer une harmonisation jurisprudentielle, ce alors que les investisseurs détestent l’imprévisibilité.

La ZLECAF a pour but de développer les échanges intra-africains. Cela aura nécessairement pour conséquence de multiplier les litiges entre opérateurs économiques du continent. Le cadre OHADA devrait alors être pertinent pour la résolution des litiges, de telle sorte qu’un rapprochement ou une intégration pourrait être envisagée

Je prends en effet position pour l’utilisation de l’arbitrage OHADA comme cadre de règlement des différends liés à la ZLECAF. L’accord ZLECAF ne prévoit en effet pas de règlement des différends commerciaux. Le système de résolution des différends s’agissant des mesures mises en place dans le cadre de l’Accord n’implique que les États parties et prévoit une procédure spécifique éloignée de l’arbitrage commercial.

Dans la mesure où la procédure d’arbitrage relève du consentement des parties, on peut envisager que les États fassent recours à la CCJA pour administrer leur litige.

En matière d’investissements et bien que la procédure n’ait pas encore été définie, on peut également envisager un recours par les parties à l’arbitrage sous l’égide de la CCJA. Celle-ci est en effet compétente pour administrer des procédures arbitrales fondées sur un instrument relatif aux investissements. Il doit être noté par ailleurs que l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage envisage expressément dans son article 3 son applicabilité aux arbitrages d’investissement.

La CCJA et le droit OHADA investissent de plus en plus ce champ, de même que les États africains. A titre d’exemple, le Tchad a rendu obligatoire l’insertion d’une clause CCJA dans les contrats d’affaires, conventions ou accords signés par le pays.

Le droit de l’OHADA est un droit moderne, qui reconnaît l’autonomie de la clause compromissoire, le principe compétence-compétence, et des recours en annulation limités. Cela est de nature à rassurer les acteurs économiques, et la jurisprudence de la CCJA participe de l’attrait de l’arbitrage OHADA.

Cependant l’influence encore importante des États dans le processus entraîne encore un manque de confiance, notamment compte tenu de l’importance des États dans l’économie locale. Il convient enfin de souligner le manque d’attractivité du barème d’honoraires pour les praticiens de la CCJA.

 

III. L’avenir du droit de l’arbitrage de l’OHADA à l’aune de l’accord de la ZLECAF, par Dr. Valentin Kpako

 

 

***

[Webinaire] La cohabitation entre la ZLECAF et le Droit OHADA en matière d’arbitrage (en français)

Vendredi 7 juin 2024 ; 14h-15h30 (CET)

Avec :

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