Bonjour à tous, et à tous les auditeurs d’Amicus radio. Je suis Stéphane de Navacelle, avocat au barreau de Paris et de New York.
J’exerce depuis un peu plus de 15 ans le métier, la fonction d’avocat enquêteur en Europe et dans le Monde et je suis très heureux d’être l’invité des amphis d’Amicus pour vous parler de l’enquête interne et de la conformité : l’avocat balance ?
C’est un peu contradictoire de penser qu’un avocat enquête et cela mérite quelques explications notamment quant à la genèse de cette pratique et c’est ce que nous allons aborder lors du premier épisode de notre échange « L’avocat mène l’enquête : l’enquête interne ! ».
L’enquête interne sous influence étasunienne
L’enquête interne en réalité permet de faire jour sur une situation de fait, d’en apprécier les conséquences en droit, la qualification, d’y remédier et d’apporter à la personne morale les outils pour lui permettre d’arriver à une résolution d’une poursuite quand celle-ci s’impose.
C’est une pratique qui nous vient du monde anglo-saxon, c’est d’ailleurs à New York que je l’ai exercé avant d’arriver à Paris. Elle est arrivée en France, poussée par les poursuites du parquet états-unien, fédéral principalement, le Department of Justice, à l’encontre d’entreprises européennes, et comme je le disais, d’entreprises françaises également. Ce sont les dossiers que nous avons vus dans un peu plus des 10 dernières années concernant des noms qui sont connus de tous : Alcatel, Total, BNP, Alstom, Société Générale, Technip.
Ce qu’il se passe dans ces situations-là, c’est un Parquet qui va demander à la personne morale de faire amende honorable et d’apporter son concours à l’avènement de la vérité en échange de quoi, dans une justice négociée très largement majoritaire aux États-Unis, la personne mise en cause, ici donc la personne morale, bénéficiera de remise de peine, de réduction de peine, et parfois évitera la condamnation pénale par l’utilisation d’une transaction qui s’appelle « the deferred prosecution agreement » (DPA) ou le « non prosecution agreement » (NPA). Donc le cabinet d’avocat auxiliaire de justice, Officer of the Court aux États-Unis, va organiser, structurer une enquête à la demande de ces entreprises et en accord avec les autorités de poursuite.
Il s’agit de récolter des documents et d’entendre des salariés. Je le disais, on sert ici un double objectif : faire la lumière sur les faits dénoncés pour en établir la réalité et en tirer les conséquences. Changement de process, résiliation des contrats litigieux avec des consultants malveillants ou corrupteurs. Appliquer d’éventuelles sanctions disciplinaires à l’encontre de salariés fautifs, mais aussi possiblement coopérer avec les autorités judiciaires pour obtenir des remises de peine ou des sanctions allégées comme nous l’avons évoqué.
Je prends dans mon exemple la poursuite états-unienne parce que c’est la Genèse, c’est de là que cela vient, et c’est arrivé en France avec la CJIP notamment, la convention judiciaire d’intérêt public. Dans la loi Sapin 2, alors l’enquête interne a fait son apparition.
Elle est parfaitement décrite dans les lignes directrices portant sur la CJIP telle qu’évoquée par le Parquet National Financier et l’Agence anti-corruption « le parquet attend de la personne morale qui souhaite bénéficier d’une CJIP, quelle ait elle-même activement participé à la manifestation de la vérité au moyen d’une enquête interne ».
Voilà le retournement de la situation traditionnelle de l’avocat qui accompagne son client dans la matière du pénal qu’on appelle des affaires. Nous étions jusqu’à l’apparition de cet outil qu’est la CJIP, et évidemment sa grande sœur parce qu’elle lui préexistait, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, la CRPC, qui a un champ d’application beaucoup plus vaste puisqu’elle s’applique à toutes les infractions, la CJIP permet donc à l’avocat de chercher avec son client à faire amende honorable et d’arriver à un accord qui évidemment met fin aux pratiques et entraîne une reconnaissance des faits. Contrairement à la CRPC, la CJIP n’entraîne pas une reconnaissance de l’infraction.
Que fait l’avocat ?
L’avocat qui mène l’enquête, qui récupère les documents, qui entend des personnes pour livrer ses conclusions aux autorités, devient-il policier ? Peut-on encore avoir confiance en son avocat ?
Les policiers sont chargés de constater les infractions à la loi pénale, d’en rassembler des preuves, d’en rechercher les auteurs, et ont le droit de requérir directement le concours de la force publique pour l’exécution de leurs missions. A contrario, l’avocat exerce une mission privée, il est mandaté par un client sans pouvoir coercitif, il reste auxiliaire de justice, est tenu par les principes déontologiques de sa profession. Indépendant, tenu au secret professionnel, il doit se tenir à l’écart de tout conflit d’intérêt, des règles déontologiques de sa profession et des règles qui lui sont spécifiquement applicables dans le cadre de l’enquête interne.
Il s’agit là de respecter la correspondance privée du salarié, de respecter les règles de traitement des données à caractère personnel, d’informer complètement son client du rôle de l’avocat et de l’enquête évidemment, mais d’en informer aussi le salarié qui n’est pas son client, expliquer le prisme du secret professionnel, et ce à quoi le salarié ou d’autres personnes participant à l’enquête peuvent s’exposer. Il doit aussi expliquer au salarié, qu’il peut être accompagné, lui, d’un conseil, d’un avocat, dans le cadre de l’enquête et ainsi de suite.
En réalité si la pratique a changé sur la façon dont l’avocat va faire son travail, il reste avocat, il reste là pour assister et le conseiller de son client. À aucun moment il ne doit se substituer à son client, et il doit laisser le client décider. Ce qu’il ne peut pas faire, c’est oublier qu’il est auxiliaire de justice, il n’a pas par exemple le droit d’induire en erreur sciemment un magistrat et c’est là toute la place que l’avocat a dans ce nouveau type de procédure et dans ces contentieux.
C’est une bonne chose que nous évitions les conflits violents et les guerres, mais les désaccords entre États et entre autorités de poursuite ont pris un tournant vers des conflits économiques et depuis une quinzaine d’années le conflit se fait maintenant aussi sur une base juridique.
C’est de cela que nous allons parler lors du prochain épisode consacré à la récente consécration de l’enquête interne et de la conformité.
À la semaine prochaine.