Nous avons évoqué la consécration de l’enquête interne et de la conformité, les garanties des droits de chacun, la méthode de l’enquête interne, qui doit répondre à un certain nombre de canons, et nous avons évoqué la question cruciale du secret professionnel de l’avocat avec Camille Potier. Pour ce dernier épisode, nous allons faire un peu de prospective : conformité et enquête interne : quel avenir ?
Consacrer l’enquête interne en matière du droit pénal des affaires devrait indéniablement être intégré de façon croissante dans la pratique des entreprises, lesquelles ont tout intérêt à y recourir puisqu’elle leur offre un dispositif d’évaluation d’une situation potentiellement déviante, d’appréciation des risques que cette situation fait encourir à la société, et d’identification des mesures correctives à mettre en œuvre pour éviter la réitération ou le renouvellement d’une situation similaire.
Les règles de conformité, le système de conformité, a déjà été adoptés par les entreprises de taille importante, de gré ou de force via des contrôles et des sanctions. Elles s’étendent petit à petit à toutes les entreprises pour faire partie intégrante des cultures d’entreprise.
De façon, peut-être, contre-intuitive pour certains, nombreuses sont les petites entreprises ou les entreprises de taille intermédiaire qui ont adhéré pleinement à la question de la conformité et des systèmes internes. C’est le cas pour protéger les actionnaires, notamment dans les entreprises familiales qui ont dépassé la génération du fondateur, parce qu’une entreprise avec un système de conformité fort, avec des sujets, quand ils apparaissent, qui sont traités de façon équilibrée, c’est augmenter la valeur et c’est protéger l’actif.
Mais l’application d’autres normes aux enquêtes internes ne permettent tout de fois pas de répondre aux nombreuses questions qui émergent au fur et à mesure de l’enquête interne. Au fur et à mesure du développement de la pratique et de la place de l’enquête interne dans le droit pénal des affaires. À l’heure où peu de responsabilités pénales de personnes physiques ont encore été engagées en France sur la base d’un rapport d’enquête interne, et d’une pleine coopération de la personne morale avec les autorités de poursuite, et ce, malgré les affirmations de poursuites individuelles par les autorités de poursuites en matière financière françaises, se pose déjà à la question de l’accès par la personne physique dont la responsabilité aurait été mise en lumière par une enquête interne aux éléments de celle-ci.
Le cas de mise en œuvre d’une enquête interne aujourd’hui très variée touche même à la gouvernance des entreprises. Ainsi, il n’est pas rare qu’après une fusion-acquisition ou le rachat par exemple soient découverts des faits qui, s’ils avaient été découverts avant l’acquisition ou le rachat, auraient potentiellement pu impacter l’économie du projet. Lorsqu’une enquête interne est mise en œuvre pour faire la lumière sur la réalité, l’étendue et la potentielle qualification des faits découverts, à la demande de la partie ayant acquis ou racheté l’entreprise, se pose encore la question de l’implication de la partie cédante à l’enquête interne. En effet, si vous avez acquis une entreprise ou un actif dont la valeur est considérablement diminuée par le fait que vous allez mettre en place des contrôles internes et faire cesser des pratiques prohibées, alors vous avez surpayé, vous avez fait un mauvais investissement.
Les interrogations qui émergent sur la pratique sont nombreuses, au travers de celles-ci se profile aussi la question du contradictoire. Question fondamentale, existentielle pour l’avocat pénaliste. Ce principe fondamental de la procédure pénale, qui garantit aux parties qu’elles ne soient pas jugées sans avoir connaissance des arguments de fait et de droit et de preuves à partir desquels elle sera jugée. À ce titre, son application est de plus en plus revendiquée dans la tenue d’enquêtes internes, d’autant lorsque celles-ci sont menées par des avocats. À ce jour aucune juridiction n’a eu à trancher cette question de l’absence ou de l’insuffisance du contradictoire dans l’enquête interne. De nombreuses critiques se sont élevées sur le même sujet dans le cadre d’enquêtes préliminaires. La Cour de cassation juge régulièrement que l’absence de contradictoire pendant l’enquête préliminaire se voit comblée par un procès qui dispose de toutes les garanties en termes de droits de la défense. D’une part l’enquête interne, enquête privée, ne peut se prévaloir des mêmes arguments qu’une enquête menée par une autorité publique, d’autre part le débat n’est en rien clos s’agissant de l’enquête préliminaire.
Gageons donc que l’avenir de l’enquête interne en matière de droit pénal des affaires sera émaillé de débats sur la nécessité et des moyens d’introduire plus de contradictoire.
S’agissant de la conformité, elle devra quant à elle sans cesse se renouveler pour anticiper ou remédier à de nouveaux comportements qui voudront passer outre les règles et qui se réinventent aussi vite que des règles sont mises en place. C’est le génie humain.