Nous avons évoqué l’avocat qui mène l’enquête dans un rôle nouveau, la récente consécration de l’enquête interne et de la conformité, enfin nous avons abordé l’enquête interne : quelle garantie des droits de chacun ?
Aujourd’hui nous allons parler de l’enquête interne, une enquête qui ne s’invente pas, et nous allons nous entretenir avec Camille Potier, ancien membre du Conseil de l’Ordre et déléguée du bâtonnier aux perquisitions des avocats. Avec elle, nous aborderons plus particulièrement la question du secret professionnel et de la déontologie de l’avocat enquêteur.
Je reçois maintenant Camille Potier ancien membre du Conseil de l’Ordre, déléguée du bâtonnier aux perquisitions des avocats, associée au sein du cabinet Châtain et associés.
Stéphane de Navacelle : Bonjour Camille Potier,
Camille Potier : Bonjour Stéphane de Navacelle,
Le secret professionnel applicable à l’enquête interne
SN : Le secret professionnel est applicable à l’enquête interne et que pouvez-vous nous en dire plus précisément ?
CP : Naturellement le secret professionnel intervient dans le cadre de l’enquête interne à double titre. Le premier titre, c’est que, évidemment l’enquêteur et ses équipes vont être confrontés à la confidentialité et au caractère secret de certains éléments collectés et donc à l’impossibilité de les exploiter. Ça, c’est le premier cas de figure, donc le secret professionnel des éléments collectés au cours de l’enquête interne et puis la seconde application évidente, c’est le secret professionnel de l’avocat enquêteur. Ce n’est pas parce que l’avocat enquête qu’il est par ailleurs délié de son obligation au secret professionnel et ce qu’il faut bien voir, c’est que ce secret professionnel, il le doit à son client, donc à celui qui l’a mandaté et pour la mission qui lui a été confiée.
Dans le cadre d’une enquête interne, il est moins question de confidences du client à l’avocat, mais d’une mission confiée à l’avocat aux fins de rechercher les origines d’un dysfonctionnement par exemple. Ce secret professionnel, l’avocat ne s’en délie pas naturellement, il ne peut jamais le faire, il restituera à son travail à son client, ce rapport d’enquête interne. Le client, lui, n’est pas lié au secret professionnel, il en bénéficie, mais il peut évidemment faire l’usage qu’il veut bien faire du rapport d’enquête qui lui est ensuite remis par l’avocat.
Débat sur la confiance en l’institution judiciaire
SN : Merci Camille Potier. Le secret professionnel est donc en débat aujourd’hui dans le cadre du projet de loi sur la confiance en l’institution judiciaire. Cette étude a connu de nombreux rebondissements ces dernières semaines, que pouvez-vous nous en dire ?
CP : Le secret professionnel, c’est déjà l’histoire d’une vaste lutte, d’un vaste combat. Il faut savoir que l’article 66-5 de la loi de 1971 qui définit le secret professionnel de l’avocat est l’un des textes qui a été le plus remanié au fur et à mesure des années. Je n’ai plus le chiffre exact en tête, mais c’est incroyable. Et à chaque fois qu’on essaie de rogner un peu sur le secret professionnel des avocats, les avocats, et c’est une belle corporation, il ne faut pas avoir peur du mot, essaient de convaincre le Législateur qu’il faut au contraire renforcer les garanties parce que ce secret est menacé. Il est en débat aujourd’hui, vous avez raison Stéphane, mais aujourd’hui, comme hier, comme les 20 dernières années. La difficulté c’est que, avec effectivement probablement les nouveaux parquets spécialisés, le parquet national financier et puis aussi des enquêtes administratives comme celles de l’Agence Française anti-corruption, ont renforcé l’attitude de certains magistrats et leur volonté, et même légitimé cette volonté de certains magistrats, de vouloir cantonner le secret professionnel à la matière pénale, à l’exercice des droits de la défense et à considérer que pour le reste, en matière de conseil par exemple, certes l’avocat est soumis au secret professionnel, mais que ce secret professionnel ne leur serait pas opposable dans le cadre de leurs investigations.
Là, il y a un peu un schisme qui est apparu, en pratique parce que dans les textes rien n’avait changé, mais sur le terrain, on voit bien, notamment en matière de perquisition des cabinets d’avocats, que la politique des procureurs et juges d’instruction était régulièrement de considérer que cela ne leur était pas opposable dans toutes les matières qui n’étaient pas celles de la défense pénale, pour faire simple.
Donc c’est dans ce cadre-là que le projet de loi sur la confiance dans l’institution judiciaire était censé au départ venir clarifier les choses. Clarifier les choses parce que de cette pratique-là résulté une grande incertitude juridique. Cette incertitude est source de confusion et d’injustice pour les citoyens et donc il n’y a rien de pire qu’une incertitude juridique dans le cadre de nos interventions. Donc c’était censé venir clarifier le secret professionnel et on a eu la surprise de voir apparaître, dans la première mouture du texte, une rédaction pour le moins curieuse et dangereuse à mon sens, c’est-à-dire que le projet de loi inscrivait dans l’article préliminaire du code de procédure pénale de belles intentions du respect du secret professionnel des avocats mais en rappelant que ce serait de toute façon dans la limite du code de procédure pénale et l’article qui nous intéresse est venu dire finalement qu’on allait fermement respecter le secret professionnel lié à l’exercice des droits de la défense et donc là, patatras, on se retrouvait finalement avec encore plus d’incertitudes, c’est-à-dire que si on vise l’exercice des droits de la défense est-ce à dire que tout le domaine du conseil est hors du secret professionnel impératif ? Est-ce à dire que les droits de la défense seraient limités à la matière pénale où l’on peut considérer aussi que l’on se défend aussi, on défend ses intérêts dans le cadre d’un divorce, dans le cadre d’un contentieux commercial ? Donc qu’est-ce que c’est que l’exercice des droits de la défense ? Et là, à nouveau, on avait une mise en péril du secret professionnel de tout un pan de l’activité d’avocat et à nouveau plus d’incertitudes. Un amendement a donc été voté, qui vient finalement définir le secret professionnel de l’avocat par référence aux textes de la profession et donc à la loi de 71 que j’évoquais tout à l’heure, qui vient dire qu’en toute matière, que ce soit en matière de conseil ou de contentieux, le secret professionnel de l’avocat doit être respecté.
C’est un peu comme cela qu’on assiste à un épilogue, on va quand même attendre de voir les textes définitifs, et puis dans la pratique surtout. Est-ce que, enfin, cela va clore ce débat et ces tensions, qui sont inévitables à un certain stade de l’enquête puisque par définition, on a deux valeurs qui vont s’opposer : la recherche de la vérité, et le secret et la confidentialité essentiels entre l’avocat et le client. Mais il faut que ces frottements soient rares et très résiduels par rapport à l’immense majorité du fonctionnement de la justice.
Le secret professionnel comme sujet de compétitivité de la France
SN : Merci infiniment Camille Potier pour ces éclaircissements. Au-delà du débat franco-français, ne faut-il pas s’intéresser à la question du secret professionnel comme un sujet de compétitivité de la France, et s’intéresser à ce qu’il se fait à l’étranger et essayer d’apprécier le choix des décideurs économiques pour ce qui a attrait à l’installation et le développement de leurs activités ?
CP : Oui, absolument Stéphane vous avez raison, c’est un sujet fondamental au-delà de notre chapelle justice, il y a la vie économique et le monde des affaires, qui n’est évidemment pas franco-français, mais qui est européen et international.
Ce sujet de la compétitivité est au centre des débats et c’est aussi ce qui avait relevé d’ailleurs le député Raphaël Gauvain dans son rapport qui était pour une souveraineté économique de la France et qui était axé autour de l’extraterritorialité et de dispositifs législatifs étrangers, mais il relevait déjà qu’en termes de compétitivité et pour une meilleure souveraineté française, il fallait protéger davantage un certain nombre d’informations et il préconisait la confidentialité des avis des juristes d’entreprise. C’est moins ce sujet-là, mais on voit qu’on en est quand même loin puisqu’on en est, nous, toujours à essayer de préserver le secret professionnel de l’avocat.
En Espagne par exemple, nos voisins, ils viennent très récemment de voter la confidentialité des avis des juristes d’entreprise. Donc eux progressent plus vite et c’est un avantage économique. C’est si vrai qu’on a beaucoup d’exemples autour de nous de sociétés françaises, de groupes, qui délocalisent leur direction juridique ailleurs en Europe, ou dans le monde, afin d’être certains de bénéficier d’une confidentialité protégée de leurs équipes de juristes et ça, on ne peut pas l’ignorer.
Donc, au-delà des querelles des uns et des autres sur « faut-il étendre la confidentialité ou en tout cas une forme de confidentialité, aux juristes d’entreprise », il faut aussi avoir conscience que derrière ces questions de principe, presque philosophiques, on a une réalité économique qui amène des groupes français, des sociétés, à envisager leurs activités différemment parce qu’en France ce conseil interne finalement est insuffisamment protégé.
Un secret qui nous oblige
SN : Merci infiniment Camille Potier et donc il faut que nous soyons très vigilants sur le sujet et que nous continuions nous avocats à avoir conscience que c’est un secret qui nous oblige.
CP : Absolument, c’est un secret qui nous oblige et qui n’est là que pour la protection du client et surtout pour favoriser le fonctionnement de la justice. On ne peut pas imaginer dans une démocratie une justice où il y aurait une pleine transparence et que le citoyen ne pourrait pas préparer sa défense avec une forme d’intimité avec, finalement, son confesseur.