En matière pénale, le principe de la liberté de la preuve est énoncé par l’article 427 du code de procédure pénale, lequel dispose que, sauf disposition contraire de la loi, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve, laissant au juge le pouvoir de décider selon son intime conviction[1].
Faisant application de ce principe, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a retenu dans plusieurs arrêts de principe, que les juges répressifs ne pouvaient écarter les moyens de preuve présentés par les parties uniquement au motif qu’ils avaient été obtenus de manière illicite ou déloyale[2].
Par un arrêt du 27 avril 2007, la chambre criminelle avait toutefois ajouté l’obligation pour les juges de vérifier si l’admissibilité d’une preuve déloyale constituait une mesure nécessaire et proportionnée à la défense de l’ordre et à la protection des droits de la partie civile au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme[3].
Mais la jurisprudence française en matière pénale converge avec celle de la Cour européenne des droits de l’Homme (ci-après “CEDH”) , qui a affirmé que le respect du droit à un procès équitable prévaut sur la question d’admissibilité d’une preuve illicite[4].
A contrario, en droit civil, jusque récemment le juge était lié par le principe de loyauté dans l’administration de la preuve[5]. Ce principe, issu d’une création prétorienne, vise à assurer la fiabilité et l’équité dans la production des preuves en matière civile.
Le 22 décembre 2023, l’Assemblée plénière a cassé l’arrêt de la cour d’appel qui avait déclaré irrecevables certaines preuves, en raison de leur nature : des transcriptions d’enregistrements clandestins[6]. La Cour de cassation consacre ainsi le principe de l’admissibilité de la preuve, obtenue d’une manière illicite, en matière civile, dans la limite du respect du droit à la preuve et suivant l’exercice par le juge, d’un contrôle de proportionnalité des droits antinomiques en présence (I).
Ce revirement confirme le sens des décisions émises par la Cour de cassation, en matière civile, ces dernières années qui remettaient déjà en question le principe de la loyauté de la preuve (II).
I. La consécration du contrôle de proportionnalité face au principe de loyauté de la preuve en matière civile
Dans les faits de l’espèce de l’arrêt du 23 décembre 2023, au terme d’un entretien informel, un salarié avait été mis à pied à titre conservatoire avant d’être convoqué à un entretien préalable puis licencié pour faute grave.
Le salarié avait contesté son licenciement devant la juridiction prud’homale et demandé la condamnation de l’employeur à lui payer diverses sommes. L’employeur demandait quant à lui la condamnation du salarié à des dommages et intérêts pour non-exécution du préavis et en réparation d’un préjudice commercial.
Par un arrêt rendu le 28 juillet 2020, la Cour d’appel d’Orléans avait décidé que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse, condamnant l’employeur à payer au salarié diverses sommes et avait déclaré irrecevables les éléments de preuve obtenus au moyen d’enregistrements clandestins.
Sur pourvoi de l’employeur, la chambre sociale de la Cour de cassation a ordonné le 1er février 2023, le renvoi de l’examen de l’affaire devant l’assemblée plénière.
Par un arrêt de cassation, l’Assemblée plénière après avoir rappelé le principe selon lequel la “ justice doit être rendue loyalement au vu de preuves recueillies et produites d’une manière qui ne porte pas atteinte à sa dignité et à sa crédibilité”[7] et que la production d’une preuve recueillie à l’insu de la personne ou obtenue par une manœuvre ou un stratagème est irrecevable [8], opère un virement de jurisprudence en retenant que “dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats”.
Dans la continuité de la jurisprudence européenne[9], la Cour de cassation admet ainsi qu’une preuve obtenue de manière illicite ou déloyale n’entraine pas systématiquement son exclusion des débats. Elle appuie sur la nécessité pour le juge de procéder à une appréciation de l’atteinte portée “au caractère équitable de la procédure dans son ensemble” et “en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomique en présence”[10].
Elle précise à ce titre, les étapes du contrôle de proportionnalité permettant la recevabilité d’un moyen de preuve obtenu ou produit d’une manière illicite ou déloyale. Le juge doit: (i), vérifier le caractère indispensable de la preuve dans le cadre de la défense de celui qui l’a produit, (ii), mettre en balance le droit de la preuve avec les autres droits en jeu, et (iii) s’assurer de la proportionnalité de l’atteinte au regard du but poursuivi.
II. Une mise à l’écart progressive du principe de la loyauté de l’administration de la preuve en matière civile
Ce revirement de jurisprudence vient marquer un coup d’arrêt à la primauté du principe de loyauté lequel a, durant de nombreuses années en matière civile, primé sur le droit à la preuve, fondant ainsi l’irrecevabilité des moyens de preuves obtenus ou produits de manière illicite[11].
Il convient néanmoins de préciser que des atténuations à ce principe existaient déjà en matière de contentieux du droit de travail comme en témoigne l’arrêt rendu par la Chambre sociale le 30 juin 2004[12]. Dans cette affaire, une salariée avait été licenciée pour faute lourde. La Cour d’appel de Colmar avait rendu deux arrêts le 30 avril 2001 condamnant l’employeur à lui verser des sommes au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents. La Cour de cassation avait rejeté le pourvoi formé par l’employeur au motif qu’un salarié, “lorsque cela est strictement nécessaire à l’exercice des droits de sa défense dans le litige l’opposant à son employeur, peut produire en justice des documents dont il a eu connaissance à l’occasion de ses fonctions”.
La Chambre sociale avait ainsi déjà remis en cause le principe de la loyauté de la preuve en retenant à plusieurs reprises que l’obtention illicite d’un moyen de preuve n’entraînait pas systématiquement son rejet des débats.
En 2023 plus précisément, cette remise en cause avait été confirmée par la Chambre sociale pour différents moyens de preuve : la vidéosurveillance[13], la surveillance par la géolocalisation du salarié[14], ou encore la production de photographies extraites du compte Messenger du salarié[15].
Il faut également nuancer l’impact de ce revirement, car si sur la base des principes jurisprudentiels élaborés par la CEDH[16], les juridictions civiles et sociales française ont consacré le principe de la recevabilité de la preuve déloyale ce n’est que lorsqu’elle est indispensable à la défense de celui qui l’a produit et ne porte pas une atteinte disproportionnée aux intérêts de la partie adverse[17].