Analyse
9 mars 2023

Sanctions historiques imposées par l’Autorité des marchés financiers

La Commission des sanctions de l’AMF impose à une société de gestion de portefeuille britannique et à deux de ses dirigeants à l’époque des faits des sanctions d’un montant record pour plusieurs manquements à leurs obligations professionnelles.

 

Dans cette affaire, le Collège de l’AMF avait notifié aux trois mis en cause, la société de gestion de portefeuille britannique H2O AM (“la SGP”) et deux de ses dirigeants à l’époque des faits, des griefs relatifs à des investissements effectués par la SGP pour le compte de 7 OPCVM français dans des instruments financiers émis par des sociétés d’un groupe financier (“le Groupe Financier”), directement ainsi que dans le cadre d’opération de buy & sell back, consistant en un achat immédiat couplé à une vente à terme de titres, à un prix et une date préalablement convenus.[1]

L’ensemble des griefs notifiés aux mis en cause à la suite du contrôle de l’AMF a été retenu par la Commission des sanctions dans sa décision du 30 décembre 2022.[2]

 

I. Les griefs concernant les acquisitions directes de titres et les investissements réalisés dans le cadre d’opérations de buy & sell back

S’agissant des acquisitions directes de titres, la Commission des sanctions a décidé que la SGP avait investi pour le compte de certains de ces OPCVM dans des titres financiers émis par des sociétés du Groupe Financier alors que ceux-ci n’étaient pas éligibles à l’actif des fonds, pour plusieurs raisons.[3]

Le défaut de liquidité de ces instruments financiers compromettait la capacité des OPCVM à honorer les demandes de rachat des porteurs et la SGP n’avait pas pris en compte de façon appropriée ce risque de liquidité au moment des investissements, méconnaissant ainsi les dispositions de l’article R. 214-9, I, 6°, d’une part, et 2° et 7°, d’autre part, du code monétaire et financier.[4]

La SGP ne disposait pas d’informations suffisantes pour valoriser ces instruments financiers de façon fiable, méconnaissant ainsi les dispositions de l’article R. 214-9, I, 3°, b) du code monétaire et financier.[5]

Ensuite, la Commission des sanctions a décidé que la SGP n’avait pas respecté le ratio d’investissement dit “ratio d’emprise” applicable à ces OPCVM, dès lors que certains d’entre eux ont détenu plus de 10 % de titres de créance émis par un même émetteur du Groupe Financier, méconnaissant ainsi les dispositions de l’article R. 214-26, II, 2° du code monétaire et financier.[6]

Enfin, s’agissant des investissements réalisés dans le cadre des opérations dites de buy & sell back, la Commission des sanctions a décidé que la SGP avait réalisé ces opérations ayant pour sous-jacents des titres financiers émis par des sociétés du Groupe Financier alors qu’elles n’étaient pas éligibles à l’actif des OPCVM à plusieurs titres. La Commission des sanctions a en particulier considéré que la SGP n’avait pas pris en compte de façon appropriée les risques qui empêchaient les fonds de dénouer ces opérations à leur valeur de marché, à leur initiative et à tout moment, méconnaissant les dispositions de l’article R. 214-18 du code monétaire et financier. Elle a également constaté que certaines de ces opérations n’étaient pas prises en compte pour le calcul de l’exposition maximale de 5 % au risque de contrepartie sur un même cocontractant, en méconnaissance des dispositions de l’article R. 214-18, III, 3° du code monétaire et financier.[7]

 

II. La Commission des sanctions estime que les manquements relevés sont imputables aux dirigeants

La Commission a retenu que ces manquements étaient imputables à deux personnes physiques qui étaient, respectivement, directeur général et directeur des investissements de la SGP à l’époque des faits, en application des articles L.621-9 et L.621-15 du code monétaire et financier.[8]

En effet, il résulte de la combinaison de ces deux textes que la Commission des sanctions peut sanctionner tout manquement des personnes physiques agissant pour le compte d’une société de gestion à leurs obligations professionnelles définies notamment par les lois et règlements, lesquelles recouvrent les obligations professionnelles de la société de gestion dès lors que la responsabilité de s’assurer que cette dernière s’y conforme est inhérente au fait d’agir pour son compte.[9]

Or, la Commission a notamment relevé que les deux dirigeants mis en cause siégeaient à l’époque au sein de l’Executive Committe de cette société, organe ayant pour mission statutaire de gérer l’activité de la société au quotidien et ayant en particulier la mission statutaire de gérer les placements collectifs, ce qui démontrait qu’ils avaient la responsabilité statutaire de la gestion des fonds confiés à celle-ci.[10]

Il en résulte, selon la Commission des sanctions, que ces deux personnes physiques étaient des personnes agissant pour le compte de la SGP au sens de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier, de sorte que les obligations professionnelles de cette société de gestion constituaient également des obligations professionnelles pour eux et qu’en conséquences, les manquements de la SGP à ses obligations professionnelles sont imputables à ses deux anciens dirigeants.[11]

 

III. Les sanctions pécuniaires particulièrement élevées justifiées par les circonstances particulières de l’espèce

A l’égard de la SGP, la Commission des sanctions a prononcé une sanction pécuniaire d’un montant de 75 millions d’euros assortie d’un blâme.[12] Il s’agit de la plus importante sanction pécuniaire jamais prononcée par l’AMF.

La Commission des sanctions a également prononcé une sanction pécuniaire de 15 millions d’euros assortie d’une interdiction d’exercer pendant une durée de 5 ans l’activité de gérant d’une entité assujettie au contrôle de l’AMF, en France mais aussi dans d’autres Etats membres de l’Union européenne, ayant une succursale ou fournissant des services en France.[13]

La Commission des sanctions a également prononcé une sanction pécuniaire de 3 millions d’euros assortie d’un blâme à l’égard de l’ancien Chief Investment Officier.[14]

Sur le fondement de l’article L.621-15 du code monétaire et financier définissant les critères à prendre en compte pour déterminer la sanction prononcée, la Commission des sanctions a notamment tenu compte :[15]

  • de la gravité et de la durée des manquements commis,[16]
  • de la qualité et du degré d’implication des anciens dirigeants,[17]
  • de la situation financière des mis en cause,[18] et
  • du préjudice subi par les investisseurs.[19]

Sur le fondement du même article la Commission des sanctions a également tenu compte dans la détermination de la sanction prononcée, des circonstances propres à la SGP et en particulier des éventuelles mesures de remédiation et de réparation mise en œuvre par celle-ci.

Ainsi, la Commission des sanctions relève que la SGP s’est engagée à mettre en œuvre des mesures suggérées dans le cadre d’un audit interne et relatives au renforcement de sa fonction des risques, à l’amélioration du suivi des risques, à la structuration de ses processus internes et à la nouvelle organisation du capital, de la gouvernance et de la culture au sein de la SGP. La Commission des sanctions estime cependant que celles-ci ne doivent pas être considérées comme des mesures de remédiations pertinentes dès lors qu’elles n’ont pas de rapport avec les manquements retenus concernant le non-respect des règles de fonctionnement et d’investissement des OPCVM de droit français gérés par la SGP.[20]

S’agissant des mesures de réparation, la Commission des sanctions relève que la SGP, interrogée une première fois par le rapporteur en septembre 2022, n’avait pas indiqué avoir procédé à l’évaluation du préjudice causé aux investisseurs ni avoir proposé une indemnisation à ceux-ci ou pris de quelconques mesures en vue de leur indemnisation. La Commission des sanctions souligne en revanche qu’en séance, la SGP a déclaré avoir doté à hauteur de 133 millions d’euros un fonds pouvant se porter contrepartie lors de la liquidation des fonds concernés, avoir abandonné 166 millions d’euros de commissions de performance et avoir constitué un compte séquestre doté de 200 millions d’euros en vue, notamment, de l’indemnisation des porteurs.[21]

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