Publication
6 juillet 2020

Interview de Stéphane de Navacelle par La Lettre des Juristes d’Affaire – L’avocat enquêteur est-il un avocat comme les autres ?

Stéphane de Navacelle mentionné par LJA (La Lettre des Juristes d’Affaires) sur l’actualité pratique et déontologique des enquêtes internes en France « il est nécessaire de répondre au maximum de questions et de sans cesse expliciter ».

 

Sur fond de RSE et de conformité, la pratique des enquêtes internes existe depuis plusieurs années, alors que certains avocats estiment que ce n’est pas leur rôle de mener des investigations et de recueillir des preuves et que cela serait même incompatible avec les règles relatives au secret professionnel. Les initiatives se multiplient pour nuancer ces affirmations et alors que le barreau de Paris poursuit son encadrement de la pratique en modifiant le RIBP, le CNB a choisi, concomitamment, une approche plus pédagogique. Analyse des deux textes.

 

UN VADEMECUM RÉDIGÉ PAR LE BARREAU DE PARIS

Le Barreau de Paris a publié fin mai un vademecum de l’avocat chargé d’une enquête interne.
Ce document adopté en septembre 2019, modifié en décembre 2019,
est maintenant l’annexe XXIV du RIBP
(Règlement Intérieur du Barreau de Paris). Il a donc valeur normative et s’impose à tous.

 

En 2016, le Conseil de l’Ordre du Barreau de Paris a posé les premières lignes directrices, en les annexant au Règlement Intérieur du Barreau de Paris, et mis en œuvre les prémisses d’une réglementation nécessaire » (Introduction du Rapport sur ce vademecum de Basile Ader et Stéphane de Navacelle). Dès cette époque, les enquêtes internes aux entreprises se sont multipliées, dans le secteur bancaire, en droit de la concurrence, ou en droit du travail. Et l’Ordre de Paris a très vite pris la mesure du rôle spécifique de l’avocat. Avec ce premier texte de 2016, l’Ordre évaluait qu’environ 300 avocats étaient concernés en 2017 par ce type de mission. Ce nombre n’est pas si anodin, surtout comme cette proportion n’a cessé d’augmenter depuis, avec la mise en place de la loi Sapin 2. « Un nouveau marché émerge », évoquent alors certains professionnels. Parallèlement à l’évolution législative, les questions pratiques et les problématiques disciplinaires autour de l’avocat enquêteur n’ont cessé de se poser à l’Ordre. Encore aujourd’hui, de nombreuses procédures disciplinaires sont en cours, principalement autour des notions de secret professionnel et de conflit d’intérêts. Les notions de « lanceur d’alerte », « CJIP », « AFA », « compliance » ont considérablement apporté à la mise en lumière de cet avocat. À tel point qu’on s’est demandé si cet « avocat investigateur » (D. Soulez-Larivière) et « collecteur de preuves et d’informations » (D. Jensen) était légitime. Le comité d’éthique du Barreau de Paris s’est prononcé positivement le 4 décembre 2018 sous le prisme la Loi Sapin 2 : cet avocat est bien un avocat. Il change certes de nature quand il doit, au-delà de la défense et du conseil classique, trouver une solution négociée, dialoguer avec des autorités (de contrôle et de poursuite) ou mener une enquête pour son client. Bref c’est un avocat qui ajoute des missions dans son escarcelle, un avocat augmenté, mais toujours soumis à sa déontologie avec laquelle il n’est pas en contradiction.

 

Qu’est-ce qu’un avocat enquêteur ?

 

C’est tout l’intérêt du vademecum parisien : en peu d’articles, à la rédaction claire et ramassée, il a défini très simplement ce qu’est cet avocat. Il rappelle les règles et précise certaines situations. Il donne aussi des clés pour réfléchir les cas les plus complexes. La combinaison de ces différents articles fait aussi de cet avocat un stratège qui doit penser sans cesse sa place. Avec dix articles resserrés, ce texte met en lumière comment le professionnel doit affirmer ses principes déontologiques et éthiques : utiliser son secret, évaluer les conflits d’intérêts, mieux se positionner vis-à-vis des tiers, réaffirmer son indépendance. L’article 1 confirme que cet avocat à la situation plus complexe applique

tous les principes essentiels. La majorité des thèmes abordés ensuite concerne le secret professionnel et les conflits d’intérêts. L’article 2 pose un premier jalon sur ces derniers : on les évite en précisant très clairement ce que l’avocat fera et pour qui. « Il conclura avec son client une convention qui, outre les modalités de sa rémunération, définira l’objet de sa mission. ». Ensuite l’article 3 porte sur le secret : « il est tenu au secret professionnel à l’égard de son seul client ». Le rapport est transmis au client, et c’est bien à lui de décider ce qui est transmis et qui transmet. En différents points (article 4, 6, 7), ce secret professionnel est explicité. Une attention particulière doit être portée à l’information des tiers : plusieurs passages soulignent que les échanges avec les personnes qu’il entend (salariés, fournisseurs, dirigeants…) ou qui contribuent à l’enquête ne sont pas concernées par le secret, l’avocat enquêteur n’est pas leur avocat. De nombreux points évoquent que l’avocat ne peut être juge et partie. En effet, l’article 5 souligne : « L’avocat chargé d’une enquête interne devra s’abstenir d’accepter une enquête qui le conduirait à porter une appréciation sur un travail qu’il a précédemment effectué ». Ainsi l’avocat conseil de la mise en place de la conformité ou de la cartographie des risques, ne pourra effectuer une enquête. L’article 9 précise que si l’avocat enquêteur peut accompagner son client dans une procédure (amiable) post-enquête, il ne pourra représenter son client dans une procédure où une personne auditionnée est concernée. Exit le prud’hommes contre un salarié entendu lors de l’enquête et qui se révèlerait, par exemple, au cœur du pacte corruptif… De même, accompagner son client devant l’AFA qui évalue l’enquête serait possible, mais défendre le client quand les magistrats attaquent l’enquête, non. Non concurrent, le document du CNB se voulant informatif et pédagogique vis-à-vis de la profession (de nombreux avocats ne connaissent pas ce type de mission), le document parisien accompagne les avocats dans leurs pratiques, au quotidien. Stéphane de Navacelle, cheville ouvrière de ce travail, le constate : il ne faut pas que sanctionner, il est nécessaire de répondre au maximum de questions et de sans cesse expliciter. C’est pourquoi il assume de nombreuses formations et réunions d’informations. L’Ordre souhaite aussi que ces actions se multiplient, afin de permettre aux avocats de mieux s’emparer de ce type de missions. Avec des règles claires et souples car adaptées aux différentes situations rencontrées, le vademecum favorise le positionnement de ce nouvel avocat : il le crédibilise vis-à-vis tant des entreprises que des magistrats ou des autorités concernées. Il évoluera encore, sans doute. Gageons qu’il sera l’inspiration d’une réglementation qui deviendra nationale. C’est aussi l’enjeu d’une compliance à la française.

La Lettre des Juristes d’Affaires n° 1451 – 6 juillet 2020

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