Analyse
15 juin 2025

Mise en œuvre du FCPA : le DOJ publie ses nouvelles lignes directrices

Le 9 juin 2025, le procureur général adjoint des États-Unis a publié un mémorandum établissant de nouvelles lignes directrices encadrant les enquêtes et l’application du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA). Ce document fait suite au décret du 10 février 2025, qui a temporairement suspendu les poursuites pour violations du FCPA, dans le cadre d’une révision stratégique de la politique répressive des États-Unis en matière de lutte contre la corruption. Ce mémorandum précise les principes devant guider les enquêtes et poursuites engagées au titre du FCPA, afin de les aligner sur les orientations données par le président américain, Donald Trump. Il poursuit deux objectifs principaux, à savoir alléger les contraintes pesant sur les entreprises américaines opérant à l’international et à recentrer les efforts répressifs sur les comportements portant une atteinte directe aux intérêts stratégiques des États-Unis.

 

Publié le 9 juin 2025, le mémorandum rédigé par le procureur général adjoint des États-Unis, Todd Blanche énonce une liste de facteurs non-exhaustifs que le S. Department of Justice (“DOJ”) devra prendre en compte avant d’engager une enquête ou des poursuites en vertu du Foreign Corrupt Practices Act (“FCPA”)[1].

Cette publication s’inscrit dans la continuité de la révision de la politique pénale impulsée par le président Donald Trump depuis février[2]. Elle traduit la volonté de recentrer l’action du DOJ sur la lutte contre la criminalité transnationale et la défense des intérêts stratégiques des États-Unis.

Le 10 juin 2025, Matthew R. Galeotti, chef de la Division criminelle du DOJ, a prononcé un discours lors de l’American Conference Institute dans lequel il a présenté les répercussions pratiques de ce document[3]. Il a également commenté de manière plus large la mise en œuvre des politiques de la Division criminelle du DOJ, publié dans un mémorandum du 12 mai 2025[4].

La nouvelle politique américaine en la matière souligne l’importance de préserver la compétitivité économique nationale et de protéger les secteurs sensibles liés à la sécurité nationale (I). Elle prévoit également de cibler les faits liés aux cartels et organisations criminelles transnationales (II). Enfin, elle appelle à concentrer les poursuites sur les cas les plus graves de corruption, en tenant compte de la capacité des autorités étrangères à intervenir (III).

 

I. La prise en compte de la sécurité nationale et de la prospérité économique dans la stratégie de défense des intérêts américains

 

Parmi les critères guidant l’ouverture d’une enquête ou de poursuites au titre du FCPA, le mémorandum du DOJ souligne, au nom des intérêts nationaux, la nécessité de préserver la compétitivité des entreprises américaines[5].

Les lignes directrices rappellent en effet que la corruption pratiquée par certaines entreprises – notamment le versement de pots-de-vin à des agents publics étrangers pour obtenir des contrats – perturbe le fonctionnement équitable des marchés[6]. Ces pratiques créent un désavantage concurrentiel pour les entreprises respectueuses des lois, dont de nombreuses entreprises américaines, et nuisent ainsi à la transparence et à l’intégrité économique à l’échelle mondiale[7].

L’application du FCPA et du Foreign Extortion Prevention Act s’inscrit dans une stratégie plus large de protection des intérêts économiques des États-Unis[8]. Concrètement, plutôt que de cibler des individus ou des sociétés sur la base de leur nationalité, les autorités américaines privilégient une approche fondée sur les effets concrets des comportements illicites[9]. Tel que mentionné dans le mémorandum, cette stratégie vise prioritairement les actes de corruption ou d’extorsion qui compromettent l’accès équitable des entreprises américaines aux marchés étrangers, traduisant ainsi une conception élargie de la sécurité nationale, où l’économie et la compétitivité sont considérées comme des piliers essentiels[10].

En s’attaquant aux pratiques qui portent atteinte aux intérêts d’acteurs économiques américains identifiables, le DOJ établit un lien clair entre l’intégrité des marchés internationaux et la préservation de la puissance économique des États-Unis

Le mémorandum rappelle également que la corruption peut porter atteinte aux intérêts nationaux, notamment en compromettant la sécurité nationale. Celle-ci repose en grande partie sur la capacité des États-Unis et de leurs entreprises à obtenir des avantages stratégiques dans des secteurs clés tels que les minerais critiques, les ports en eau profonde ou d’autres infrastructures essentielles[11].

À cet égard, il est fait référence à la stratégie nationale de défense de 2017, établie sous la première présidence de Donald Trump, qui mettait en évidence que dans les zones où les gouvernements étaient fragiles, la corruption et une faible confiance dans les institutions constituaient un terreau favorable à l’émergence d’activités terroristes et criminelles. Cette stratégie partait du constat que plutôt que de chercher à soutenir ces États ou à lutter contre la corruption, les puissances concurrentes aux États-Unis y voyaient souvent une opportunité d’exploiter les ressources locales et de tirer profit des populations[12].

Le procureur général adjoint insiste sur le fait que la corruption touchant des secteurs sensibles comme la défense, le renseignement ou les infrastructures critiques représente une menace directe pour les intérêts américains[13]. En réponse, l’application du FCPA devra se concentrer en priorité sur les faits de corruption impliquant des agents publics étrangers dans ces domaines stratégiques, dans une optique de protection de la sécurité nationale[14].

 

II. L’intégration des enjeux liés aux cartels et aux organisations criminelles transnationales dans la politique pénale actuelle

 

Todd Blanche a rappelé en outre que l’élimination totale des cartels et des organisations criminelles transnationales constitue l’un des axes prioritaires de l’action pénale fédérale[15].

Le 20 janvier 2025, le président Donald Trump avait déjà signé un décret présidentiel ordonnant au gouvernement fédéral de revoir ses stratégies existantes en vue d’éliminer entièrement les cartels et les organisations criminelles transnationales. Ce décret qualifie ces groupes de menace exceptionnelle pour la sécurité nationale, la politique étrangère et l’économie des États-Unis[16].

Dans le prolongement de cette directive, la procureure générale Pamela J. Bondi a publié, le 5 février 2025, un mémorandum annonçant une réorientation significative de la politique pénale, axée sur la lutte contre la criminalité organisée transnationale, avec une attention particulière portée aux cartels[17].

C’est dans ce contexte que le mémorandum relatif aux nouvelles lignes directrices d’application du FCPA est venu préciser les critères guidant l’ouverture d’enquêtes ou le lancement de poursuites. Désormais, l’un des principaux éléments d’appréciation est de savoir si les faits allégués : (1) sont en lien avec les activités criminelles d’un cartel ou d’une organisation criminelle transnationale (Transnational Criminal Organizations,“TCO”), (2) impliquent des mécanismes de blanchiment d’argent ou des sociétés écrans utilisés par ces entités, ou (3) concernent des agents publics ou des employés d’entreprises publiques ayant reçu des pots-de-vin de la part de ces groupes[18].

 

III. La mise en œuvre d’une politique de poursuites axée sur les indices manifestes de corruption

 

Le décret présidentiel du 10 février 2025 insistait sur la nécessité de ne pas sanctionner les citoyens ou entreprises américaines pour des pratiques commerciales courantes dans certains pays, dès lors qu’elles correspondent à des usages localement acceptés[19]. Dans cette logique, le procureur général adjoint souligne, dans son récent mémorandum, que l’ouverture d’enquêtes ou de poursuites ne doit pas viser des comportements d’entreprise relevant de simples courtoisies commerciales, tolérées dans le cadre des échanges internationaux[20].

À l’inverse, les autorités judiciaires sont invitées à concentrer leurs efforts sur les faits présentant des signes clairs et sérieux de corruption. Sont notamment visés : les paiements de pots-de-vin importants, les manœuvres sophistiquées destinées à dissimuler ces transactions illicites, les conduites frauduleuses soutenant un schéma de corruption organisé, ainsi que les tentatives délibérées d’entrave à la justice[21]. Cette orientation stratégique vise à optimiser les ressources du DOJ en ciblant les infractions les plus graves et en assurant une application ciblée et efficace du FCPA.

Par ailleurs, afin de déterminer les affaires qui justifient l’intervention des autorités américaines, les procureurs doivent également tenir compte de la capacité et de la volonté des autorités étrangères compétentes à poursuivre les mêmes faits[22].

Lorsque ces conditions sont remplies, il est préférable de laisser ces dossiers aux juridictions locales ou aux régulateurs concernés. Le DOJ privilégiera alors une coopération étroite avec ses homologues étrangers pour leur fournir l’assistance nécessaire à la bonne conduite de leurs procédures.

Lors de son allocution, Matthew R. Galeotti, chef de la division criminelle du DOJ, a rappelé que seules les conduites ayant un impact tangible sur les États-Unis ou leurs citoyens justifient une action pénale fédérale[23].

En ce sens, toute nouvelle initiative devra obtenir l’approbation préalable du procureur général adjoint de la Division criminelle[24]. Conformément aux principes généraux de poursuite fédérale, le mémorandum rappelle que chaque dossier doit faire l’objet d’une évaluation au cas par cas, tenant compte de l’ensemble des circonstances, et que le DOJ conserve toute latitude pour engager, poursuivre ou clore une procédure en fonction de ces éléments[25].

Enfin, en application du décret du 12 février 2025, le mémorandum précise que durant la période de suspension de 180 jours, les affaires en cours ont été réévaluées à la lumière des principes et critères énoncés dans ce document[26]. Cette démarche s’appliquera également aux enquêtes et poursuites actuelles ainsi qu’aux dossiers à venir[27]. Ce positionnement confirme la volonté de maintenir l’application du FCPA, tout en y intégrant de nouvelles orientations. Il est donc essentiel que les entreprises prennent en compte ces évolutions dans leur gestion des risques et dans l’adaptation de leurs programmes de conformité.

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