La Cour de cassation est venue confirmer dans un arrêt du 6 juillet 2022[1] que l’enquête interne devait être menée de façon impartiale, confidentielle et avec des précautions suffisantes pour ne pas créer de situation humiliante pour le salarié mis en cause. A défaut, cela pouvait constituer un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité vis-à-vis de la personne mise en cause par l’enquête interne.
En l’espèce, une salariée ayant une ancienneté de plus de trente ans dans la société avait été, à la suite d’une enquête interne menée par son supérieur direct sur ses méthodes de management, convoquée le 26 décembre 2013 à un entretien préalable en vue d’une sanction disciplinaire. Elle était en arrêt de travail depuis le 14 novembre 2013. Le 31 janvier 2014, l’entreprise lui avait alors notifiée une mutation disciplinaire avec un avenant au contrat de travail que la salariée avait signé le 3 février 2014. Six mois plus tard, le 31 juillet 2014, le médecin du travail déclarait que la salariée était inapte à son poste de travail et cette dernière était licenciée le 27 août 2014 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Le 27 janvier 2015, la salariée avait alors engagé une procédure prud’homale en arguant que son inaptitude était due à un harcèlement moral. Elle demandait donc la nullité du licenciement.
Le 2 septembre 2020, la Cour d’appel de Bordeaux jugeait que les éléments produits par la salariée ne permettaient pas de conclure à un harcèlement moral de la part de l’employeur et que le licenciement n’était donc pas nul. La Cour retenait toutefois que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse car dû à un manquement fautif de l’employeur à son obligation de sécurité. La Cour d’appel soulignait notamment que l’enquête interne conduite à propos des méthodes de management de la salariée licenciée avait été menée de manière partiale et maladroite et que l’annonce de la sanction envisagée avait été ébruitée avant même que la procédure disciplinaire ne débute. De ce fait, elle en déduisait que cette façon de faire n’avait pu qu’être humiliante pour la salariée.
La société avait alors formé un pourvoi en cassation en soutenant que la Cour d’appel n’avait pas caractérisé de manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et avait donc privé sa décision de base légale.
I. L’enquête interne en matière sociale doit être conduite de manière impartiale
Dans son arrêt du 6 juillet 2022, la Chambre sociale confirme l’arrêt d’appel en affirmant que la Cour avait pu retenir un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité après avoir constaté d’une part, que l’enquête interne avait été conduite de façon partiale puisque confiée au supérieur de la salariée en cause qui était en mésentente notoire avec celle-ci et sans précautions suffisantes de confidentialité puisqu’elle avait créé un certain retentissement dans l’entreprise, et d’autre part, que l’information d’une sanction disciplinaire envisagée à l’encontre de la salariée mise en cause avait été communiquée aux membres du comité de direction avant même l’enclenchement de la procédure conformément aux dispositions légales.
Les juges avaient déjà pu rappeler que l’employeur était tenu de mener les investigations internes avec discrétion et prudence pour éviter de porter atteinte aux intérêts de la personne mise en cause.[2]
Dans un cas de figure semblable, il est donc toujours important pour l’employeur d’établir un plan d’enquête identifiant la mission et les protagonistes en cause en amont de toutes mesures d’investigation afin de s’assurer de l’impartialité de l’enquêteur et de la méthodologie mise en place.
II. L’enquête interne et ses conséquences disciplinaires ne doivent pas s’ébruiter de manière prématurée
La Cour de cassation rappelle également dans sa décision que l’enquête interne ne dispense pas de l’engagement et du respect du processus disciplinaire imposé par la loi.
En l’espèce, l’enquête interne avait débuté à la suite d’une réunion datant du 30 septembre 2013 lors de laquelle une collaboratrice de l’équipe de la salariée mise en cause se plaignait de faits du management mis en œuvre par ladite salariée.
Les membres du comité de direction avaient été informés le 14 novembre 2013 de la proposition de mutation disciplinaire faite à la salariée alors que la procédure disciplinaire n’avait pas encore débuté, et ne le serait que le 26 décembre 2013.
L’ébruitement prématuré d’une sanction disciplinaire envisagée est contraire au principe selon lequel l’enquête interne et ses potentielles conséquences disciplinaires doivent être gardées confidentielles en attendant la clôture de l’enquête. Il est effet nécessaire de distinguer l’exercice de détermination des faits de la procédure disciplinaire.
En se comportant de la sorte, c’est-à-dire en ébruitant la conséquence de l’enquête interne alors que la procédure disciplinaire n’avait pas débuté, l’employeur a concouru à la dégradation de l’état de santé de la salariée mise en cause et a donc manqué à son obligation de sécurité.
Une nouvelle fois donc les juges rappellent que l’enquête interne doit être menée avec méthode, être proportionnée, impartiale et respectueuse des droits des salariés pour qu’elle reste incontestable et puisse être utilisée dans le cadre d’une procédure subséquente. On ne rappellera jamais trop qu’une attention particulière de l’employeur doit être apportée quant aux conséquences sur les salariés qui participent à l’enquête interne sous peine de se voir reprocher un manquement à son obligation de sécurité.