Mise en cause dans le cadre d’une enquête menée par le Parquet national financier (ci-après “PNF”) pour des faits de corruption d’agent public étranger depuis près de trois années, la société KLUBB France SAS, société membre du groupe KLUBB, leader européen en matière de nacelles élévatrices, a conclu une convention judiciaire d’intérêt public (ci-après “CJIP”) le 10 février 2025[1]. Celle-ci a fait l’objet d’une ordonnance de validation rendue le 11 février 2025 par le Président du tribunal judiciaire de Paris[2].
En contrepartie de l’extinction de l’action publique, la société s’est engagée à s’acquitter du paiement d’une amende d’intérêt public d’un montant total de 558 024 euros mais également accepté de se soumettre à un programme de mise en conformité sous le contrôle de l’Agence Française Anticorruption d’une durée de 3 ans.
Au-delà des sanctions prononcées, il convient d’observer que la CJIP a été conclue alors même que l’identification de l’agent corrupteur demeurait incertaine, son identité étant inconnue et sa qualité ‘‘d’agent public’’ étant seulement vraisemblable.
D’autre part, la convention judiciaire d’intérêt public présente la spécificité de prendre en compte la situation de l’ensemble du Groupe KLUBB dans la détermination des engagements de la société KLUBB France SAS, seule signataire de la CJIP.
La CJIP a été conclue en l’absence d’identification de l’agent public étranger
C’est au cours d’une information judiciaire ouverte à Rennes que le dirigeant du groupe KLUBB a rapporté des éléments susceptibles de constituer des faits de corruption d’agent public étranger[3].
Il a en effet fait état de l’existence de virements à destination de trois sociétés tierces en échange de la remise de sommes d’argent en espèce et ce pour un montant total de 607 450 euros[4]. Ces espèces ont ensuite été employées, selon lui, par la société KLUBB France SAS afin de sécuriser un projet de contrat conclu en 2018 avec le gouvernement algérien portant sur la livraison de 280 ambulances pour un montant total de 27 millions d’euros[5]. L’intégralité des sommes en espèces, qui auraient transité par un contact pakistanais, aurait ainsi été adressée à un intermédiaire qui semblait être “un officiel haut placé, vraisemblablement un militaire disposant de connexions au haut niveau de l’Etat algérien”[6]. Le 21 février 2022, à la suite de ces révélations, le procureur de Rennes a adressé un soit-transmis pour compétence à destination du PNF qui a ouvert une enquête préliminaire pour des faits de corruption d’agent public étranger[7].
Entendu sous le régime de l’audition libre le 18 décembre 2023, le représentant de la société KLUBB France SAS a reconnu l’ensemble des faits précédemment rapportés par le dirigeant du groupe KLUBB[8].
En revanche, les éléments de l’enquête n’ont pas permis de révéler l’identité de l’intermédiaire étranger, du contact pakistanais ou encore de déterminer l’implication d’une personne tierce. Le dirigeant du groupe et le représentant de la filiale se sont en effet montrés dans l’incapacité de les reconnaître formellement ou de produire tout autre élément susceptible de permettre leur identification. Il était ainsi retenu que l’agent public en cause était vraisemblablement un militaire haut gradé, sans élément supplémentaire[9].
Le PNF a néanmoins considéré que les faits reconnus par le représentant de la personne morale KLUBB France SAS étaient susceptibles de recevoir la qualification de corruption d’agent public étranger prévue par l’article 435-3 du code pénal, quand bien même ledit agent ne pouvait être formellement identifié[10].
Dès lors, cette nouvelle CJIP interroge les conditions mêmes de caractérisation de l’infraction, la qualité vraisemblable d’agent public reconnue à l’agent corrupteur apparaissant en l’état suffisante pour proposer une sanction.
Les éléments de détermination du montant de l’amende d’intérêt public, ainsi que l’obligation de se soumettre à un programme de mise en conformité, ont été appréciés au niveau du groupe KLUBB
Il résulte de la combinaison des articles 121-1[11] et 121-2[12] du code pénal qu’une personne morale n’est responsable que de son propre fait. Par ailleurs, l’article 41-1-2 du code de procédure pénale dispose que le calcul du montant de l’amende dû par une personne morale s’apprécie au regard du montant total de son chiffre d’affaires annuel moyen et ce dans une limite maximale de 30%[13]. Pour autant dans ses lignes directrices, le PNF avait exposé qu’en cas de groupe aux comptes consolidés, c’est le chiffre d’affaires consolidés qu’il convient de prendre en compte[14].
C’est bien ce qui a été fait en l’espèce, la CJIP conclue entre le PNF et la société KLUBB France SAS prenant ainsi en considération l’ensemble du groupe KLUBB dans l’appréciation des sanctions, et notamment pour la détermination du montant de l’amende d’intérêt public.
A cet égard, il peut être rappelé que cette méthode de calcul du montant de l’amende a déjà été appliquée par le PNF, notamment lors de la conclusion d’une CJIP avec la société AIRBUS[15].
En outre, il est précisé que le calcul de la part afflictive de l’amende a été fixée au regard de facteurs majorants, à savoir la production de fausses factures et l’implication d’un agent public étranger de haut niveau mais également de facteurs minorants, tels que la reconnaissance des faits ou encore la coopération active du dirigeant du groupe[16].
La société KLUBB France SAS s’est ainsi engagée au paiement d’une amende d’intérêt public d’un montant total de 558 024 euros[17].
Enfin, la CJIP comprend la mise en œuvre d’un programme de mise en conformité sous le contrôle de l’Agence Française Anticorruption aux frais de la personne morale mise en cause, dont le coût total ne pourra dépasser 200 000 euros, et ce pour une durée de trois ans[18]. La CJIP prévoit à cet égard, relayant les recommandations de l’AFA, que ce programme de mise en conformité concerne l’ensemble du Groupe KLUBB et pas seulement la société KLUBB France SAS pourtant seule signataire de la CJIP[19].