Par un arrêt du 22 mai 2024 (n°23-83.180), la chambre criminelle de la Cour de cassation a consacré le transfert de la responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante et ce, quelle que soit la forme sociale de la société objet de l’opération de fusion-absorption.
Ce nouvel arrêt s’inscrit dans la lignée jurisprudentielle entamée par la Cour de cassation depuis son arrêt du 25 novembre 2020, qui avait admis pour la première fois que le risque pénal de la société absorbée pouvait être transmis à la société absorbante si cette dernière était une société anonyme ou une société par actions simplifiées (I).
Dans cette affaire, une société à responsabilité (SARL) avait été condamnée en 2021 par le tribunal correctionnel pour plusieurs infractions pénales en droit de l’urbanisme. En 2022, cette société était absorbée par une autre SARL. En 2023, la Cour d’appel confirmait la décision de première instance et condamnait la société absorbante pour les infractions commises par la société absorbée avant l’opération de fusion-absorption.
Ayant formé un pourvoi en cassation, la société défenderesse faisait valoir, en s’appuyant sur les critères posés par la chambre criminelle dans l’arrêt du 25 novembre 2020, que la responsabilité de la société absorbante ne pouvait être recherchée en l’espèce car cette dernière, constituée sous forme de SARL, ne rentrait pas dans le champ de la directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978 relative à la fusion des sociétés anonymes, codifiée en dernier lieu par la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 (la “directive 78/855/CEE”).
La Cour de cassation rejette le pourvoi et abandonne le critère lié à la forme sociale de la société absorbante posé par son arrêt du 25 novembre 2020. Elle juge que la société absorbante doit être condamnée pour les faits litigieux commis par la société absorbée, même si les sociétés ont, toutes deux, été constituées sous forme de SARL (II).
I. Le transfert de responsabilité pénale en cas de fusion-absorption n’avait jusqu’alors été consacré que pour les opérations concernant des sociétés anonymes et sociétés par actions simplifiées
Jusqu’à son arrêt du 25 novembre 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation considérait que le principe de personnalité des délits et des peines s’opposait à un transfert de la responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante à la suite d’une opération de fusion-absorption. La Cour se fondait sur une interprétation stricte de l’article 121-1 du code pénal, selon lequel nul n’est responsable que de son fait[1].
Cette interprétation stricte s’opposait toutefois à la jurisprudence de la chambre commerciale ou du Conseil d’État ainsi qu’aux juridictions supranationales[2]. La Cour de justice de l’Union européenne considérait ainsi que la responsabilité contraventionnelle de la société absorbée devait être transmise à la société absorbante[3], tandis que la Cour européenne des droits de l’Homme jugeait qu’une amende civile pouvait être prononcée à l’encontre de la société absorbante pour des faits commis par la société absorbée avant l’opération de fusion-absorption, sans porter atteinte au principe de personnalité des peines, en se fondant sur la continuité économique et fonctionnelle entre la société absorbée et la société absorbante[4].
Par son arrêt du 25 novembre 2020, la Cour de cassation a aligné sa jurisprudence avec celle de ces juridictions et a admis, sur le fondement de la continuité économique et fonctionnelle dégagée par la Cour européenne des droits de l’Homme, que lors d’une fusion-absorption, la responsabilité pénale de la société absorbée pouvait être transmise à la société absorbante lorsque l’opération entre dans le champ d’application de la directive 78/855/CEE[5]. Dans ce cas, seule une peine d’amende ou de confiscation peut être prononcée à l’encontre de la société absorbante et la société absorbante bénéficie des mêmes droits que la société absorbée et peut se prévaloir de tout moyen de défense que celle-ci aurait pu invoquer[6]. En outre, et pour des raisons de prévisibilité juridique découlant de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation a toutefois précisé que cette position ne s’appliquerait qu’aux opérations de fusion conclues postérieurement au 25 novembre 2020.
Cette jurisprudence, admettant le transfert de responsabilité à la suite d’une fusion-absorption, était toutefois limitée aux sociétés qui entraient dans le champ de la directive 78/855/CEE, soit les SA et les SAS.
Une seule exception était prévue par la Cour de cassation, dans le cas où l’opération, indépendamment de sa date ou de la nature des sociétés concernées, avait eu pour objectif de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale. Dans ce cas, celle-ci constitue une fraude à la loi qui entraine de facto la responsabilité pénale de la société absorbante. Dans ce cas toute peine encourue peut être prononcée[7]. A ce sujet, un arrêt du 13 avril 2022 est venu préciser que les juridictions pénales sont tenues de rechercher si les opérations de fusion-absorption entre les SA et les SAS intervenues avant le 25 novembre 2020 étaient fondées sur un motif légitime ou frauduleux, afin de juger du transfert de la responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante[8].
II. L’arrêt du 22 mai 2024 de la chambre criminelle de la Cour de cassation élargit le champ du transfert de la responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante à toutes les sociétés, quelle que soit leur forme sociale
L’arrêt du 22 mai 2024 de la Chambre criminelle de la Cour de cassation élargit le champ du transfert de la responsabilité pénale en cas d’opération de fusion-absorption.
Dans cette affaire, l’opération de fusion-absorption avait été conclue entre deux SARL, après le 25 novembre 2020 et était étrangère à toute situation de fraude.
Pour engager la responsabilité pénale de la société absorbante, les juges d’appel avaient considéré, suivant les critères posés par l’arrêt du 25 novembre 2020, que la société absorbante rentrait dans le champ de la directive 78/855/CEE.
La société défenderesse critiquait cette analyse et faisait valoir qu’au regard des critères posés par l’arrêt du 25 novembre 2020, il n’existait en cas de fusion-absorption que les deux hypothèses précitées permettant la condamnation pénale de la société absorbante pour des faits commis par la société absorbée avant l’opération, qui ne pouvaient concerner que des sociétés anonymes[9].
La Cour de cassation, bien que censurant la Cour d’appel pour avoir retenu que la SARL entrait dans le champ de la directive 78/855/CEE, n’a pas cassé l’arrêt et a rejeté le pourvoi, écartant le critère lié à la forme sociale de la société. En effet, en se fondant sur la continuité économique et fonctionnelle de la personne morale, la Cour considère désormais que le transfert de responsabilité pénale s’applique quelle que soit la forme sociale de la société objet de l’opération de fusion-absorption[10].
Si la responsabilité pénale se transmet désormais quelle que soit la forme de la société lors d’une opération de fusion absorption, les autres critères posés par l’arrêt du 25 novembre 2020 n’en restent pas moins applicables. Ainsi, hors cas de fraude, le transfert ne s’opère que pour les opérations conclues postérieurement au 25 novembre 2020, les seules peines applicables sont l’amende ou la confiscation et la société absorbante peut se prévaloir de tous les moyens de défense que la société absorbée aurait pu invoquer[11]. De la même façon, en cas d’opération frauduleuse, la responsabilité de la société absorbante peut-être engagée pour les infractions commises par la société absorbée avant l’opération de fusion-absorption, quelle que soit la date où cette dernière a été conclue.