Le 10 février 2025, l’Agence française anticorruption a initié son cycle de conférences s’intitulant “Rendez-vous de l’AFA” avec pour thématique le contrôle des dispositifs anticorruption des entreprises. Lors de cette conférence, Isabelle Jégouzo, directrice de l’AFA, a notamment annoncé le lancement d’une nouvelle vague de contrôles pour les acteurs privés du secteur de la santé.
Également, à cette même date, le Tribunal correctionnel de Paris a ouvert le procès de deux anciens dirigeants d’une société d’assistance respiratoire, ASM, accusés d’avoir accordé des avantages indus à des médecins en échange de prescriptions favorisant leur entreprise.
I. Afin d’améliorer l’articulation entre le secteur public et le secteur privé, l’AFA annonce la poursuite de ses contrôles dans le domaine de la santé
En octobre 2024, l’AFA a publié un guide à destination des établissements publics de santé à la suite de constatations tirées des contrôles réalisés. Plus récemment, lors de sa première édition des “Rendez-vous de l’AFA” sur le contrôle des dispositifs anticorruption des entreprises, l’AFA a annoncé la programmation de contrôles des entreprises dans le domaine de la santé.
A. L’AFA publie un guide en matière de prévention de la corruption dans les établissements hospitaliers à la suite de contrôles réalisés dans le secteur de la santé
En octobre 2024, l’AFA a publié un guide à l’attention des établissements publics de santé sur la mise en place ou la mise à jour de dispositifs anticorruption[1]. En effet, le secteur de la santé soulève plusieurs enjeux aussi bien sociaux qu’économiques qui justifient la sensibilisation des professionnels aux risques de corruption[2]. Ce guide intervient à la suite de contrôles réalisés et ayant révélé “un référentiel anticorruption français encore perfectible dans les établissements de santé”. Il a vocation à mieux sensibiliser les acteurs publics de la santé sur le risque de corruption[3].
L’exposition aux risques d’atteinte à la probité dans le secteur de la santé s’explique par les sommes en jeu, l’importance de la commande publique, les situations d’urgence, la structuration spécifique de la concurrence et enfin les liens d’intérêts entre les acteurs publics et économiques[4].
Notamment, l’activité des établissements de santé repose sur des partenariats complexes entre les acteurs publics et privés, et principalement entre les professionnels des établissements de santé et les entreprises de production ou de commercialisation des produits de santé. L’enjeu de cette collaboration est donc de maintenir l’équilibre entre l’intérêt public et les objectifs économiques des acteurs privés, afin de préserver l’intégrité du système de santé et d’éviter les conflits ou prises illégales d’intérêts[5].
A travers ce guide, l’AFA rappelle les fondamentaux relatifs à l’engagement de l’instance dirigeante en matière d’éthique et de conformité ainsi que l’importance de la cartographie des risques et la mise en place d’un dispositif structuré de prévention, de détection et de sanction des atteintes à la probité[6].
Le guide prévoit des études de cas concrets pour les professionnels, illustrant les risques spécifiques auxquels les organisations peuvent être confrontées et notamment les risques liés à la commande publique, aux cadeaux et invitations, aux relations avec les entreprises dont les produits sont pris en charge par la Sécurité sociale, ainsi qu’aux interactions avec les collectivités territoriales et les associations de service[7].
B. L’AFA annonce le lancement d’une vague de contrôle des acteurs économiques dans le secteur de la santé
Le 10 février 2025, l’AFA a organisé la première édition des “Rendez-vous de l’AFA” portant sur le contrôle des dispositifs anticorruption des entreprises. Cette conférence a permis de partager le bilan et les enseignements tirés des 129 contrôles réalisés par l’AFA depuis sa création[8]. Plusieurs points d’amélioration ont pu être relevés, notamment, sur la structuration de la gouvernance anticorruption, l’élaboration de cartographie des risques précise et adaptée ou encore le suivi et l’évaluation des dispositifs[9].
Cette conférence a permis à l’AFA de partager ses nouvelles perspectives pour l’année 2025, à la fois sur la méthodologie des contrôles mais également sur les secteurs visés par les contrôles, parmi lesquels figure le secteur de la santé[10].
La programmation de contrôle sur ce secteur est qualifié d’axe prioritaire mais non exclusif[11]. En effet, conformément au guide publié en octobre 2024, l’AFA estime qu’il s’agit d’un secteur aux enjeux sociaux importants et souhaite, par conséquent, s’assurer que les grandes entreprises de production et de commercialisation du secteur aient en place des programmes de conformité efficaces dans le cadre de la loi Sapin II[12].
II. Le secteur de la santé est particulièrement exposé aux infractions relatives aux atteintes à la probité
Le 10 février 2025, le Tribunal correctionnel de Paris a ouvert le procès à l’encontre d’une société spécialisée dans la commercialisation de prestations d’assistance respiratoire soupçonnée d’avantages occultes. Cette affaire s’inscrit dans un contentieux plus large en la matière.
A. La société AMS est soupçonnée d’avoir offert des cadeaux et des avantages à des médecins
Le 10 février 2025, le procès de la société AMS s’est ouvert au Tribunal correctionnel de Paris. Cette société, qui commercialise des prestations d’assistance respiratoire était soupçonnée d’avoir dépensé près de 6 millions d’euros entre 2010 et 2014 en avantages occultes destinés à des médecins[13], contournant ainsi la loi anti-cadeaux[14]. L’ancien PDG et l’ex-directeur financier d’AMS qui étaient poursuivis pour “complicité de proposition ou de fourniture illicite d’avantages”[15] ont finalement été condamnés le 5 mai 2025, respectivement, aux sommes de 300 000€ et 150 000€ d’amendes assortie d’une interdiction d’exercer une fonction financière pendant 5 ans avec sursis pour l’ancien directeur financier[16]. Une pneumologue qui était aussi poursuivie pour “perception illicite d’avantages par une entreprise dont les produits ou services sont pris en charge par la Sécurité sociale”[17] a été condamnée à 15 000€ d’amende[18]. Ces trois personnes devront verser 12 000€ au Conseil de l’Ordre des Médecins[19] qui s’était constitué partie civile[20].
Douze autres personnes impliquées dans ce dossier, dont six médecins et cinq anciens cadres d’AMS, ont déjà été condamnées en 2024 à des amendes allant de 10 000 à 200 000 euros dans le cadre d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité[21].
La société AMS par l’intermédiaire de fausses factures et fausses notes de frais offraient des cadeaux et avantages à des médecins qui prescrivaient pour le compte d’AMS des appareils d’assistance respiratoire, ce qui engendrait des demandes de prises en charges par la Sécurité sociale. Selon le Parquet de Paris, l’entreprise avait institutionnalisé cette “politique de gratification” en y consacrant jusqu’à 4% de son chiffre d’affaires[22].
B. Le secteur de la santé sur le plan national et international a récemment été confronté aux atteintes à la probité
En octobre 2024, l’ex-ministre de la Santé, Agnès Firmin Le Bodo a été condamnée pour avoir accepté des cadeaux non déclarés d’une valeur totale de 20 000 euros, lorsqu’elle était pharmacienne, de la part des laboratoires Urgo qui ont également été condamnés à une amende de 1,125 million d’euros pour ces faits[23]. Ces cadeaux comprenaient des montres de luxe, des bouteilles de vin et des coffrets pour des week-ends, reçus entre 2015 et 2020[24]. Ces deux condamnations s’inscrivent chacune dans une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, pour lesquelles les peines ont été négociées et homologuées par un juge indépendant[25].
Sur le plan international, en septembre 2018, la Securities and Exchange Commission (SEC) a annoncé que Sanofi – société française – avait accepté de payer plus de 25 millions de dollars pour obtenir l’abandon des poursuites lancées à son encontre en lien avec des paiements de pots-de-vin effectués par ses filiales au Kazakhstan et au Moyen-Orient et qui visaient à obtenir des contrats et à augmenter les prescriptions de ses produits[26]. Dans le cadre de cet accord, le département de la justice aux Etats-Unis (“DOJ”) a, pour sa part, décidé de ne pas engager de poursuites contre Sanofi qui ne reconnait pas ces accusations mais qui a annoncé renforcer les contrôles internes et programmes de lutte contre la corruption[27].
Également, en février 2020, Sanofi a accepté de verser 11,85 millions de dollars dans le cadre d’allégations selon lesquelles elle aurait violé le False Claims Act en versant des pots-de-vin à des patients Medicare par l’intermédiaire d’une fondation caritative prétendument indépendante[28].
Les contrôles annoncés par l’AFA viseront donc à garantir que les entreprises françaises du secteur de la santé disposent de dispositifs efficaces pour réduire les risques d’infractions, tant en France qu’à l’étranger, liées à l’atteinte à la probité.
Pour aller plus loin :
- Replay de la première Édition des « Rendez-vous de l’AFA » sur le contrôle des dispositifs anticorruption des entreprises – stratégie et perspectives
- Guide pratique à l’attention des établissements publics de santé, novembre 2024