Analyse
14 juillet 2022

Guide pratique de l’AFA et du PNF sur l’enquête interne anticorruption

L'enquête interne, en tant que modulateur dans la détection de faits de corruption ou trafic d'influence, représente un outil fondamental pour les acteurs de la vie économique en matière de prévention et gestion du risque. Ainsi, dans un document rédigé de manière conjointe, l'AFA et le PNF évoquent les éléments fondamentaux à prendre en compte lors de la conduite des enquêtes internes anticorruption. Ce projet a été soumis à la consultation du public afin de l’enrichir du retour d’expérience des praticiens avant publication dans sa version définitive.

 

En vertu du protocole de coopération en vigueur depuis le 28 mars 2018 entre l’Agence Française Anticorruption (“AFA”) et le Parquet National Financier (“PNF”),[1] les deux entités participent de manière conjointe, à la construction d’un référentiel anticorruption français. Ainsi, l’élaboration de guides et de lignes directrices destinés aux différents acteurs de la vie économique, permet de communiquer les attentes des autorités en matière de prévention et de détection de la corruption.

Par conséquent, dans cette démarche de renforcement de la culture d’intégrité, indépendamment de la taille de la structure visée, et de manière analogue à la diffusion du guide sur les contrôles comptables en matière anticorruption, les autorités ont soumis à consultation du public et notamment des entreprises, la première version du Projet de Guide pratique sur les enquêtes internes anticorruption. Ce texte est soumis à la consultation des différents acteurs de la vie économique, lesquels pourront envoyer leurs observations à l’adresse mail  afa@afa.gouv.fr jusqu’au 8 avril 2022.

Tout en réaffirmant l’esprit de collaboration de ces deux autorités, ce projet de guide propose quelques moyens aux entreprises aux fins de concevoir et déployer leur propre dispositif d’enquête interne anticorruption. [2] De surcroit, ce guide a pour but de clarifier plusieurs concepts clés ainsi que de présenter les enjeux propres à ce domaine en vue d’accompagner les entreprises lors de la prise de décisions en matière d’enquêtes internes anticorruption.[3]

Conformément à la structure du projet de guide, il convient d’aborder dans un premier temps, les faits générateurs d’une enquête anticorruption (I) pour ensuite évoquer les points de vigilance dans la conduite de l’enquête interne anticorruption (II). Cela permettra de présenter les éléments proposés concernant les suites à donner à l’enquête interne anticorruption (III).

 

I. Les faits générateurs des enquêtes internes anticorruption sont à la fois internes et externes à l’entreprise

Avant d’évoquer les hypothèses dans lesquelles une enquête interne s’avère pertinente, le projet de guide précise de manière liminaire les faits générateurs d’enquêtes internes anticorruption. Le point de départ pour l’AFA est de considérer que l’enquête interne, déjà bien connue en droit social, constitue un réflexe de saine gestion , lorsque celle-ci a connaissance d’une violation du code de conduite anticorruption, ou de situations potentiellement constitutives d’une infraction.[4] Selon la notion proposée dans le projet de guide, l’enquête interne est définie comme l’ensemble des investigations menées au sein d’une organisation, de sa propre initiative, afin d’objectiver des faits susceptibles de constituer des violations du code de conduite anticorruption, des comportements non conformes aux procédures de l’entreprise ou la commission de faits susceptibles d’être qualifiés de corruption.[5]

Le guide évoque en premier lieu les évènements déclencheurs d’une enquête se produisant dans la sphère interne de l’entreprise. Il s’agit, d’une part, des signalements réalisés par le biais du système d’alerte anti-corruption inscrit à l’article 17 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin II,[6] et d’autre part, d’alertes reçues par le biais d’un système de recueil des signalements adopté par l’entreprise en vertu de l’article 8 de la même loi.[7] De même, la connaissance par l’entreprise de faits peut résulter d’une procédure d’audit interne dans le cadre d’un contrôle de troisième niveau.[8]

Le projet de guide mentionne ensuite les faits générateurs extérieurs à l’entreprise tels que les signalements externes recueillis au moyen de l’ouverture du dispositif de recueil des signalements aux fournisseurs, sous-traitants, collaborateurs externes ou autres tiers.[9] Il est également précisé qu’en cas de divulgation d’informations par la presse, l’annonce de la réalisation d’une enquête interne comme conséquence directe peut révéler une prise de conscience par l’entreprise de la gravité des faits reprochés.[10]

De même, l’entreprise peut prendre conscience de l’existence d’une situation anormale par la notification d’une procédure par les autorités de poursuite françaises, ou étrangères. Dans le premier cas, il est possible pour l’entreprise de mener une enquête interne dans un esprit de coopération pour établir la vérité, en coordination avec l’autorité concernée, à condition qu’elle n’interfère pas avec les enquêtes judiciaires.[11]

Toutefois, pour le second cas, il est noté que si l’entreprise décide de mener une enquête, elle doit s’adresser à l’autorité française, qui est le seul interlocuteur en matière de demande d’entraide internationale et doit prendre conseil afin d’éviter de rejoindre les cas relevant de la loi n°68-678 du 26 juillet 1968 relative à la communication de documents et renseignements d’ordre économique, commercial, industriel, financier ou technique à des personnes physiques ou morales étrangères, dite loi de blocage.[12]

Le projet de guide désigne également les audits externes comme éléments déclencheurs d’une enquête interne. Tel serait le cas par exemple des audits d’acquisition ou de certification des comptes[13], des contrôles et enquêtes administratives menées par des autorités de régulation ou une administration[14] et des contrôles effectués à l’initiative de l’AFA.[15]

Enfin, il convient de noter que la décision d’ouverture d’une enquête est un pouvoir appartenant aux instances dirigeantes de l’organisation, qui sont les premières à être contactées en matière de prévention et détection de la corruption au sein de l’entreprise.

 

II. Le guide propose le respect de certaines directives lors de la conduite des enquêtes internes anticorruption

 Après avoir évoqué les différents cas de figure pouvant déclencher une enquête interne anticorruption, le projet de guide propose quelques points d’attention à prendre en compte lors de la conduite de ces dernières. Ainsi, le document recommande-t-il de formaliser la procédure avant de la diligenter. Il est pertinent d’inclure à ce titre une description détaillée des éléments nécessaires à son déclenchement, de la façon dont l’enquête devrait se dérouler et de ses suites potentielles.[16]

Cette formalisation a pour but d’organiser les modalités de recueil des signalements, garantir les droits des salariés, optimiser les délais et garantir un standard de qualité.[17] En outre, le projet suggère comme bonne pratique de formaliser des principes directeurs ou même une charte de l’enquête interne.[18]

En sus de préciser que la décision de mener une enquête interne est attribuée prima facie à l’instance dirigeante de l’entreprise, en tant que principale responsable de l’application du dispositif anticorruption, le guide prévoit la possibilité de créer un comité de personnes qualifiées, dotées de pouvoirs décisionnaires sur ces questions.[19] Quant aux acteurs de l’enquête interne anticorruption, le projet évoque la possibilité pour l’entreprise de choisir de la réaliser elle-même ou de recourir à un tiers. En toute circonstance, le guide rappelle que le responsable de l’enquête doit agir avec indépendance et objectivité tout en visant à préserver la confidentialité de la démarche ainsi que les droits des salariés.[20]

Concernant le déroulement de la procédure d’enquête, le projet de guide stipule qu’en l’absence d’un cadre réglementaire spécifique, certains principes généraux dégagés par le droit pénal et le droit social doivent être appliqués. Ainsi, sont recensés comme principes directeurs de l’enquête interne, la loyauté et la licéité des actions visant l’obtention d’un moyen de preuve, la proportionnalité des mesures au regard du but recherché[21] et la protection de la vie privée des salariés.[22] De la même manière, le texte fait référence aux principes de présomption d’innocence[23] et de discrétion, auxquels s’ajoutent les dispositions et garanties qui découlent de la réglementation afférente à la protection des données personnelles.[24]

De façon analogue, le projet de guide se réfère aux garanties procédurales des personnes visées par une enquête interne anticorruption. En application des principes susmentionnés, les enquêtes internes comportent une obligation préalable d’information en faveur du salarié.[25] Toutefois, par analogie avec les règles propres aux faits de harcèlement, les autorités considèrent que ce principe ne s’applique pas dans le cas où le salarié est directement suspecté d’avoir participé à la commission d’un acte de corruption.[26]

En outre, si cette obligation d’information n’est pas absolue lorsque l’enquête est menée directement par l’entreprise, cette obligation serait plus marquée dans le cadre d’une enquête diligentée en externe.[27] Dans tous les cas, le salarié doit toujours être informé sur le traitement de ses données personnelles.[28]

Quant au déroulement des entretiens dans le cadre de l’enquête interne anticorruption, le projet affirme que le salarié doit se présenter aux entretiens et répondre aux questions, sous peine de voir sa responsabilité disciplinaire compromise.[29] De même, il est précisé que par principe, le salarié n’a pas le droit d’être assisté par un représentant lors des entretiens. Or, dans les cas où l’enquête est diligentée par un avocat missionné par l’entreprise, l’article 8 de l’annexe XXIV Vademecum de l’avocat chargé d’une enquête interne[30] évoqué par le projet, admet que le salarié puisse être assisté par un autre avocat.[31]

En ce qui concerne les enjeux liés aux méthodes d’enquête et le respect de la vie privée des salariés, quelques précisions sont données afin de distinguer les informations personnelles des salariés des données professionnelles. A cet égard, l’employeur peut prendre connaissance des documents détenus par le salarié dans son bureau[32] ou des clés USB branchées à l’ordinateur professionnel[33] et accéder aux fichiers numériques non apposés d’une mention “personnel”.[34] Néanmoins, les informations recueillies relevant de la vie privée du salarié ne peuvent pas être utilisées pour imposer une sanction.[35]

Enfin, le projet évoque la pertinence de rédiger un rapport écrit contenant la méthode suivie, les actes d’investigations réalisés, les faits établis et les éléments recueillis.[36] Il est en outre précisé que si l’enquête interne se déroule en même temps qu’une enquête préliminaire, le rapport doit être communiqué aux autorités judiciaires et pourra déterminer la conclusion d’une CJIP. En effet, la réalisation d’une enquête interne et la transmission du rapport, pourraient servir à démontrer la solidité et l’efficacité du système de conformité face au Parquet et l’AFA. [37]

 

 

III. Le guide propose des éléments à considérer en aval au terme des enquêtes internes anticorruption

 Le projet de guide propose enfin quelques éléments à prendre en compte au terme de l’enquête interne anticorruption. A cet égard, si l’enquête menée ne confirme pas les soupçons de corruption ou trafic d’influence, celle-ci peut être clôturée et archivée après anonymisation et les données collectées devront être détruites dans un délai de deux mois.[38] Cependant, lorsque le fait générateur de l’enquête interne est un signalement, il est nécessaire d’informer la personne visée par l’enquête, ainsi que l’auteur du signalement, de sa clôture.[39] De même, le rapport devra être conservé si des actions ultérieures prenant appui sur les résultats de l’enquête sont menées par l’entreprise.[40]

À l’inverse, lorsque l’enquête confirme les soupçons de corruption ou trafic d’influence et que les faits sont imputables à une personne physique, l’entreprise devra imposer des sanctions disciplinaires.[41] Elle pourra également dénoncer les faits aux autorités, sans que cette décision n’ait aucune incidence sur la possibilité de voir sa responsabilité pénale engagée. [42]

Sur ce dernier point, le projet de guide précise qu’en cas de mise en cause de la responsabilité de la personne morale, une dénonciation opportune et sincère, ainsi que la transmission du rapport, pourront minorer les sanctions à l’issue de la conclusion d’une CJIP.[43] De même, le projet de guide lance l’avertissement d’une possible aggravation des amendes en cas de retard injustifié ou d’informations lacunaires.[44]

Le projet précise également qu’indépendamment des suites judiciaires ou administratives, les résultats d’une enquête interne permettent de mettre à jour le dispositif anticorruption. Ainsi, les mesures et procédures qui composent le programme de conformité anticorruption doivent être en conséquence revues, et des contrôles internes ou des audits doivent être réalisés afin de renforcer les points de vulnérabilité mis en évidence.[45]

Enfin, le projet propose une politique équilibrée de communication interne en ce que les entreprises restent libres en matière de diffusion auprès des salariés ainsi que de confidentialité de l’enquête et des suites qu’elle entend lui donner.[46]

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