Depuis l’intronisation de Donald Trump, son administration a entamé une évolution importante de la politique répressive en matière de lutte contre la corruption, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Cette évolution s’articule autour de deux mouvements : d’un côté, une révision des politiques de poursuite de violations du Foreign Corruption Practices Act (“FCPA”) et une suspension de celles-ci pour 180 jours (I). De l’autre, la réorientation de la politique répressive fédérale vers la lutte contre la criminalité organisée. Pour cela, plusieurs cartels et organisations criminelles ont été désignés comme entités terroristes, tandis que le ministère de la Justice a annoncé concentrer ses actions sur la lutte contre la criminalité organisée (II).
Cet environnement mouvant est source d’inquiétude, voire d’insécurité juridique, pour les entreprises qui restent soumises au FCPA et qui encourent des risques accrus de poursuites dans les pays où sévissent les organisations criminelles visées par l’administration américaine.
I. La réorientation de la politique répressive pour violation du FCPA ne remet pas en cause à ce stade les fondements de la lutte anti-corruption américaine
Par décret présidentiel (executive order) du 10 février 2025, l’administration Trump a annoncé une suspension de 180 jours des poursuites pour violation du FCPA, soit jusqu’en juillet 2025, pour révision des politiques et lignes directrices d’enquête et de poursuite[1]. Cette période pourra être prolongée de 180 jours à la discrétion du ministre de la Justice (S. Attorney General)[2].
Durant cet intervalle, aucune nouvelle enquête ou poursuite pour des violations du FCPA ne seront ouvertes, sauf avis contraire du ministre de la Justice et les enquêtes et poursuites en cours seront examinées conformément aux politiques générales de l’administration[3].
Les nouvelles politiques et lignes directrices établies s’appliqueront immédiatement aux enquêtes et poursuites en cours ainsi qu’à celles introduites postérieurement[4]. Des mesures de remédiation pourront éventuellement être prises pour des enquêtes ou poursuites qui auraient été ouvertes de manière inappropriée[5].
Ces mesures sont justifiées par la volonté de promouvoir les intérêts économiques américains, le FCPA étant jugé comme ayant pu affaiblir la compétitivité des entreprises américaines et la sécurité nationale[6].
Malgré la suspension temporaire de l’exécution des poursuites liées au FCPA, le cadre légal de cette législation anti-corruption demeure pleinement en vigueur. Les commentateurs recommandent ainsi aux entreprises, notamment étrangères ou entretenant des relations avec des entités américaines, de maintenir leurs efforts de conformité. En effet, les obligations imposées par le FCPA n’ont pas été modifiées, et les délais de prescription – fixés à cinq ans, voire étendus à huit ans en cas de demande de coopération internationale – restent applicables. Cela signifie que des infractions commises aujourd’hui pourraient être poursuivies ultérieurement, notamment par une future administration. De plus, la Securities and Exchange Commission conserve la possibilité d’engager des poursuites dans son champ de compétence, en particulier à l’égard des sociétés cotées ou émettrices de titres aux États-Unis, bien qu’elle ait annoncé qu’elle suivrait les préconisations du ministère de la Justice[7]. En somme, la suspension actuelle ne saurait être interprétée comme une exemption durable, et appelle à la prudence et à la continuité dans la mise en œuvre des dispositifs de conformité.
Toutefois, le ministère de la Justice à annoncé le 12 mai 2025 la révision du Criminal Division Corporate Enforcement and Voluntary Self-Disclosure Policy (“CEP”). Cette révision prévoit un assouplissement des sanctions imposées aux entreprises en cas de manquement ou de comportement criminel lorsque celles-ci procèdent à une auto-dénonciation, lorsque :la divulgation est volontaire, l’entreprise a activement et intégralement coopérer avec les autorités, des mesures correctrices appropriées ont été prises, et il n’existe aucune circonstance aggravante significative[8]. De la même façon, les entreprises qui reconnaissent une infraction dans un délai de 120 jours suivant un signalement interne par un lanceur d’alerte, et avant toute prise de contact par le ministère de la Justice, pourront bénéficier d’un abandon des poursuites[9].
Cette réorganisation fait partie d’une réorientation globale de la politique américaine en matière de droit pénal des affaires. Dans un mémorandum du 5 février 2025, la ministre de la Justice annonçait une réorientation des poursuites vers la criminalité organisée internationale et notamment les cartels. Ce document prévoit une concentration des enquêtes et poursuites pour violations du FCPA vers les activités facilitant la criminalité organisée et les cartels et une plus grande liberté donnée aux procureurs fédéraux pour poursuivre des violations du FCPA ou du Foreign Extortion Prevention Act (“FEPA”) liées à la criminalité organisée[10]. Un autre mémorandum du même jour confirme cette priorité donnée à la lutte contre la criminalité organisée ajoutant également comme priorité la lutte contre la traite d’êtres humains[11].
Dans un mémorandum du 12 mai 2025, le chef de la Criminal Division du ministère de la Justice américain a confirmé l’accent mis sur le renforcement et la concentration des actions en matière de droit pénal des affaires concernant des domaines spécifiques à “fort impact”, notamment liés à la criminalité organisée[12].
II. Le durcissement du cadre répressif américain dans la lutte contre la criminalité transnationale
En parallèle des évolutions liées au FCPA, l’administration Trump a, par décret présidentiel du 20 janvier 2025, sollicité du ministre de l’Intérieur (Secretary of State) une recommandation sur la désignation comme organisation terroriste de certains cartels ou organisations criminelles[13]. En application de ce décret, le ministère de l’Intérieur a procédé à la désignation de huit organisations criminelles comme organisation terroriste étrangère (Foreign Terrorist Organizations, “FTO” et Specially Designated Global Terrorists, “SDGT”)[14].
Cet élargissement de la lutte contre la criminalité organisée a pour effet de donner une compétence plus large aux autorités américaines pour poursuivre les personnes fournissant une aide matérielle aux entités terroristes désignées comme FTO – une infraction punie de 20 ans d’emprisonnement –[15], y compris avec une connexion limitée aux États-Unis, par exemple en utilisant des dollars U.S. ou dans le cas où une personne sur laquelle les juridictions américaines ont compétence est impliquée dans la transaction. A ce titre, une entreprise peut être tenue responsable en vertu de la disposition de responsabilité directe pour avoir participé à un acte de terrorisme international en fournissant un soutien matériel à une FTO[16], ou en vertu de la disposition relative à la complicité pour avoir sciemment apporté une aide substantielle aux auteurs d’une attaque commise, planifiée ou autorisée par une FTO[17]. Des poursuites civiles peuvent également être envisagées dans le cas où une entreprise aurait fourni une aide matérielle à une organisation désignée comme terroriste.
Par ailleurs, en vertu du décret présidentiel 13224 du 23 septembre 2001, le régime de sanctions américaines s’applique aux entités désignées comme SDGT, ce qui a pour effet de bloquer les actifs de ces derniers et d’interdire toute transaction relative à ces actifs[18]. Sont également visées par ces mesures, les personnes fournissant assistance ou soutien à ces entités[19].
Depuis cette date, les autorités américaines ont mis en œuvre cette politique. Ainsi, le 1er mai 2025, l’Office of Foreign Assets Control (“OFAC”) a pris des sanctions contre deux entreprises mexicaines, Servicios Logísticos Ambientales et Grupo Jala Logística, ainsi que contre trois individus, pour leur implication dans des opérations de trafic de drogue et de vol de carburant liées au Cartel de Jalisco Nueva Generación (CJNG). Les autorités ont révélé que ces entreprises transportaient du carburant et du pétrole brut entre le Mexique et les États-Unis pour le compte d’individus affiliés au cartel[20]. Des sanctions ont également été prises contre des réseaux criminels et des blanchisseurs d’argent travaillant pour le cartel de Sinaloa[21].
Dans ce contexte, une vigilance accrue doit être accordée aux transactions indirectes pouvant impliquer des organisations criminelles internationales et des cartels, notamment via des tiers ou dans le cas d’opérations de sécurisation ou de protection. A ce titre, il est conseillé d’appliquer plus largement à ces opérations à risque les standards utilisés pour la lutte contre le financement du terrorisme. Cela passe notamment par : une vigilance accrue concernant les parties prenantes (fournisseurs, clients, employés, partenaires commerciaux, etc.), la collecte de renseignements précis sur les risques sécuritaires, la mise en place de politiques et de formation en matière d’extorsion, la mise en place ce contrôles des paiements, etc.
Par ailleurs, comme expliqué ci-dessus, le rôle de la conformité et des lanceurs d’alerte est renforcé dans le cadre des nouvelles politiques de poursuite dans la mesure où l’auto-divulgation rapide peut mener à un abandon des poursuites. En renforçant cette culture de la conformité, les entreprises se donnent les moyens d’identifier plus tôt les comportements à risque et de bénéficier ainsi des mesures d’indulgence prévues par les autorités.
Le Financial Crimes Enforcement Network américain (“FinCEN”) a également identifié une liste de “red flags” afin d’identifier de potentielles relations commerciales et transactions avec des FTO dans le secteur des hydrocarbures[22]. Parmi ces indicateurs, on peut noter qu’une vigilance particulière doit être accordée aux petites entreprises pétrolières et gazières établies aux États-Unis et aux importateurs ayant une faible présence en ligne ou imitant des sites web de sociétés légitimes, à certaines opérations suspectes, par exemple la vente de pétrole brut à des prix nettement inférieurs au marché, des opérations importantes pour du pétrole brut ou des huiles usées, notamment vers ou depuis des sociétés situées au Mexique ou aux États-Unis qui n’ont que peu de liens apparents avec l’industrie ou aucune présence en ligne, à des entreprises traitant de matières dangereuses sans enregistrement préalables auprès des autorités américaines, à des entreprises affichant une activité soudaine et significative avec un petit nombre de partenaires commerciaux, souvent des sociétés écrans liées à des réseaux criminels, à des entreprises domiciliées à des adresses résidentielles ou se révélant être des sociétés écrans affiliées à des entités mexicaines. Enfin, ce rapport évoque certaines entreprises situées à la frontière sud-ouest des États-Unis entretenant des liens avec des individus ou entreprises associés à des cartels, selon des sources publiques, des actes d’inculpation ou des désignations de l’OFAC.