Analyse
15 janvier 2025

Affaire des écoutes : condamnations définitives de l’ancien Président de la République, son avocat et un magistrat français

L’ancien Président de la République, Nicolas Sarkozy, son avocat, Maitre Thierry Herzog, et le magistrat Gilbert Azibert, ont été définitivement condamnés le 18 décembre 2024 dans l’affaire des écoutes.

 

En 2014, le scandale politico-judiciaire des écoutes téléphoniques débutait lorsque l’existence de conversations téléphoniques confidentielles entre Nicolas Sarkozy, alors ancien Président de la République, et son avocat a été révélée au public.

En effet, dans le cadre d’une information judiciaire visant à faire la lumière sur les conditions de financement de la campagne présidentielle de 2007 de Nicolas Sarkozy, dite “affaire Kadhafi”, l’ex-Président de la République a été placé sur écoutes.

Ces écoutes avaient été mises en place, l’ancien Président, sous le nom d’emprunt de “Paul Bismuth”, étant soupçonné d’avoir tenté d’obtenir d’un magistrat de la Cour de cassation, Gilbert Azibert, des informations sur une procédure judiciaire qui le concernait alors pendante devant la Cour de cassation, en échange d’une aide pour l’obtention d’un poste dans la principauté de Monaco.

Elles ont révélé des échanges qui ont conduit à des mises en examen pour corruption passive, trafic d’influence et violation du secret de l’instruction, premiers stades d’une longue saga judiciaire.

Le 1er mars 2021, après sept ans d’instruction, le Tribunal correctionnel de Paris a condamné Nicolas Sarkozy à trois ans de prison, dont un an ferme et Thierry Herzog et Gilbert Azibert à des peines de prison avec sursis. Après confirmation des condamnations par la Cour d’Appel de Paris en mai 2023, les trois prévenus ont formé un pourvoi en cassation.

Dans son arrêt du 18 décembre 2024, la Haute juridiction s’est prononcée sur plusieurs aspects essentiels de la procédure pénale, notamment la régularité des écoutes téléphoniques, le secret professionnel de l’avocat, ainsi que sur la qualification des faits de trafic d’influence et de corruption. En rejetant les arguments de défense, la Cour a confirmé que les éléments de preuve, notamment les écoutes entre avocat et client, pouvaient être utilisés et que les infractions étaient constituées en tous leurs éléments.

 

I.      La Cour de cassation a considéré que les moyens de nullité soulevés étaient infondés

 

La procédure permettait d’établir que les prévenus avaient connaissance des moyens de nullités antérieurement à la clôture de l’instruction

 

Dans une décision en date de 2023, le Conseil constitutionnel saisi d’une question prioritaire de constitutionalité dans le cadre de l’affaire des emplois fictifs impliquant l’ancien Premier ministre, François Fillon, avait déclaré inconstitutionnelle le premier alinéa de l’article 385 du Code de procédure pénale. La juridiction avait estimé que l’impossibilité pour le prévenu de soulever devant le Tribunal correctionnel, à l’issu d’une instruction, un moyen tiré de la nullité de la procédure, alors même qu’aucune exception n’était prévue dans l’hypothèse où le moyen de nullité aurait été connu postérieurement à l’Ordonnance de renvoi devant le Tribunal, portait atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif ainsi qu’aux droits de la défense.

Sur la base de cette déclaration d’inconstitutionnalité dont le Conseil Constitutionnel avait décidé qu’elle pourrait être invoquée dans les instances en cours, les trois prévenus avaient soulevé la nullité des procès-verbaux de l’enquête préliminaire portant sur des faits de violation du secret professionnel qui auraient permis l’information des prévenus du placement sous écoutes par les autorités judiciaires de la ligne téléphonique dite “Paul Bismuth”,  qu’ils utilisaient et conduite en parallèle de l’instruction. Ils indiquaient avoir été informés de l’existence de cette enquête postérieurement à la clôture de l’instruction.

La Cour de cassation a toutefois considéré qu’il ressortait de la procédure, notamment des écritures fournies dans le cadre des précédentes audiences, que les prévenus avaient connaissance de l’enquête préliminaire. En effet, plusieurs éléments ont permis à la Cour de considérer que les prévenus avaient connaissance de cette enquête, notamment en raison de leur contestation, au cours de l’instruction, devant la chambre de l’instruction puis la Cour de cassation le refus du juge d’instruction d’obtenir le versement de l’enquête préliminaire au dossier d’instruction.

Aussi, la Cour a considéré que le fait que l’enquête préliminaire aurait été irrégulièrement menée au motif qu’elle comportait des éléments provenant de l’instruction ou qu’elle a fait l’objet d’un suivi insuffisant ou d’un manque de rigueur ne saurait en soi constituer ni un contournement, ni un détournement de la procédure visant à vicier la recherche de la preuve, ni un manque de rigueur pouvant entrainer la nullité de la procédure.

Pour aller plus loin : Saga Fillon : Confirmation de la condamnation définitive de l’ex premier ministre dans l’affaire des emplois fictifs

 

L’atteinte portée au secret des correspondances entre un avocat et son client doit être discutée devant la juridiction d’instruction

 

L’ancien Président de la République et son avocat ont reproché à la Cour d’appel de ne pas avoir écarté des débats les enregistrements de leurs échanges téléphoniques, sans même en avoir examiné le contenu.

Nicolas Sarkozy a fait valoir que si une conversation avocat-client pouvait être utilisée lorsque l’avocat est soupçonné d’avoir participé à une infraction, cette utilisation ne doit pas porter atteinte aux droits de la défense du client. Qu’en l’espèce, les échanges avaient été fait sur une ligne exclusivement dédiée aux conversations avec son avocat et concernaient la procédure judiciaire dans laquelle il était mis en cause, qu’ainsi les propos échangés ne pouvaient être considérés comme étrangers à l’exercice des droits de la défense. Les deux prévenus ont également contesté le contrôle des retranscriptions. En effet, Nicolas Sarkozy a contesté l’utilisation des retranscriptions, sans examen préalable du contenu des conversations, tandis que Thierry Herzog a critiqué l’absence de vérification de la régularité des écoutes et l’acceptation de preuves potentiellement illégales.

La Chambre criminelle a considéré que les moyens soulevés par les prévenus étaient infondés dès lors que la validité de ces écoutes, pouvait être contestée devant le juge d’instruction, ce qui n’avait pas été soulevée en l’espèce, et que la juridiction de jugement ne pouvait que discuter de la valeur probante de ces éléments. La Cour souligne également que, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme ne pose pas une interdiction absolue d’utiliser les propos échangés entre un avocat et son client dans l’hypothèse où ces propos révèlent des indices suffisants pour présumer la participation de l’avocat à une infraction et que cela ne porte pas atteinte aux droits de la défense du client.

 

II.   La Cour de cassation a considéré que les infractions étaient constituées en tous leurs éléments

 

L’unicité et l’indivisibilité du Parquet général ne donne pas la qualité de partie à l’ensemble des magistrats qui le compose et son avis constitue un jalon dans l’obtention d’une décision favorable

 

Dans le cadre de cette affaire, Thierry Herzog avait transmis un arrêt de la chambre de l’instruction à Gilbert Azibert, alors magistrat du Parquet général de la Cour de cassation.

Poursuivis respectivement pour violation du secret professionnel et son recel, Thierry Herzog et Gilbert Azibert ont fait valoir que les arrêts de la chambre de l’instruction notifiés aux avocats, n’étaient pas couverts par le secret de l’instruction et que le principe d’unicité et d’indivisibilité du Parquet général offrait la possibilité pour tout membre de ce Parquet d’avoir connaissance des décisions de la juridiction.

Toutefois, la Cour de cassation a déclaré coupable de violation du secret professionnel Thierry Herzog en considérant que l’arrêt rendu en chambre du conseil était un acte de la procédure d’instruction qui était en outre, toujours en cours, de sorte que cet arrêt était couvert par le secret.

La chambre criminelle a également retenu la culpabilité de Gilbert Azibert en ce que le principe d’unicité et d’indivisibilité du Parquet Général ne donnait pas à des parquetiers tiers à la procédure qualité à recevoir des actes protégés par le secret, dès lors qu’en l’espèce, Gilbert Azibert était affecté à une chambre civile, totalement étrangère à la procédure et qu’ainsi il avait eu connaissance de cet arrêt pour des raisons étrangères à ses fonctions.

L’ancien Président de la République et Thierry Herzog ont également soutenu que l’infraction de trafic d’influence ne pouvait être caractérisée dès lors qu’ils ne pouvaient obtenir une décision favorable d’un magistrat du Parquet. En effet, Nicolas Sarkozy a argué que l’Avocat général dont le rôle s’arrête aux portes du délibéré, ne participe pas à la décision de sorte que la volonté d’obtenir une décision favorable ne pouvait être établie.

La Cour de cassation a ici considéré qu’il importait peu que l’avis de l’Avocat général constitue ou non une décision dès lors qu’il participait à l’élaboration de cette décision, l’objectif de l’influence étant en l’espèce, d’obtenir via l’avis de l’Avocat général, une décision favorable de la Cour de cassation.

 

La prise en compte de la qualité de magistrat et la reconnaissance du lien de causalité dans le cadre des condamnations pour trafic d’influence et corruption

 

Thierry Herzog a remis en cause le choix de la qualification pénale des faits. En effet, il a argué que la qualification spéciale de trafic d’influence pour obtenir une décision favorable d’un agent de justice, prévue à l’article 434-9-1 du code pénal, devait primer sur la qualification générale de l’article 433-1 2° du code pénal qui prévoit l’infraction de trafic d’influence pour obtenir une décision favorable d’une autorité ou administration publique

Sur ce moyen la Cour de cassation a toutefois considéré que l’article 433-1 2° du code pénal qui n’est pas une infraction générale, permettait au contraire de prendre en compte le statut de magistrat, circonstance aggravante de l’infraction, alors même que l’article 434-9-1 du code pénal ne tient pas compte de la qualité de l’auteur.

Nicolas Sarkozy a également contesté sa condamnation pour défaut d’élément moral s’agissant des infractions de trafic d’influence et de corruption. En effet, il a fait valoir que les deux infractions nécessitaient la caractérisation d’un dol spécial et plus précisément un but permettant de retenir le lien de causalité entre l’avantage proposé et l’action de corruption ou d’influence. Or, la cour d’appel se serait contentée de relever qu’il y avait une attente d’un “coup de pouce” pour un poste à Monaco, sans établir l’existence d’un lien de causalité direct entre cette attente et les actes de Gilbert Azibert.

Thierry Herzog a quant à lui soutenu que les actes reprochés ne constituaient ni un délit de corruption ni un délit de trafic d’influence, dès lors il n’y aurait pas eu de pacte clair entre les parties pour obtenir une décision en échange de contreparties. La cour d’appel se serait limitée à un échange téléphonique vague, sans établir un lien concret entre les actes de Gilbert Azibert et l’attente d’un avantage.

De son côté, Gilbert Azibert, condamné pour trafic d’influence passif et corruption passive relevait l’absence d’acceptation formelle de contrepartie, dès lors qu’il n’avait fait qu’exprimer un commentaire [i.e. “oui, bah, c’est sympa”] lors d’une conversation durant laquelle Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog l’informaient que la démarche visant à obtenir un poste de magistrat à Monaco, avait déjà été accomplie.

La Chambre criminelle a confirmé la décision de la Cour d’appel en considérant que les éléments retenus par cette dernière permettaient de caractériser le lien de causalité dès lors que Gilbert Azibert a cherché à obtenir une contrepartie pour ses actions, à savoir l’obtention d’un poste au Conseil d’État de Monaco grâce à l’aide de Nicolas Sarkozy, peu importe que cette proposition de contrepartie soit intervenue postérieurement aux actions de Gilbert Azibert.

Contenu similaire

Actualité
5 octobre 2023
Saga Fillon : Confirmation de la condamnation définitive de l’ex premier ministre dans l’affaire des...
Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a abrogé partiellement une disposition du code de procédure pénale qui...
Publication
14 juillet 2024
Panorama Droit pénal des affaires 2024
Tour d'horizon sur les décisions et événements relatifs au droit pénal des affaires survenus en France au cours des douze...
Publication
24 septembre 2020
Contribution à la Lettre des Juristes d’Affaires n°28 – le secret professionnel aujourd’hui
Stéphane de Navacelle interviewé par Anne Portmann dans la Lettre des Juristes d’Affaires n°28, dans un article concernant le secret...
Publication
19 juin 2020
« Secret professionnel versus privilège juridique » – par Stéphane de Navacelle, délégué des...
Stéphane de Navacelle auteur d’un article sur « Secret professionnel versus privilège juridique » dans L’avis de l’expert européen (n°7...