La société Surys (anciennement dénommée Hologram Industries), spécialisée dans les hologrammes de sécurité, dont l’actionnaire Imprimerie Nationale est détenu à 100% par l’État français, a conclu avec le Parquet national financier (ci-après “PNF”) une convention judiciaire d’intérêt public (ci-après “CJIP”) le 8 juillet 2025[1]. Celle-ci a fait l’objet d’une ordonnance de validation rendue le 3 septembre 2025 par le Président du Tribunal judiciaire de Paris.
Cette convention intervient alors que la société Surys était mise en cause dans le cadre d’une enquête menée notamment par le PNF pour des faits de corruption d’agent public étranger, de détournement de fonds publics et de blanchiment de ces infractions.
Les faits sous-jacents sont liés à une relation commerciale tripartite dans le cadre de laquelle l’entreprise publique ukrainienne Polygraph achetait des matières premières pour produire des documents sécurisés à la société estonienne Ou Feature qui s’approvisionnait auprès de la société française Surys.
En 2013, après des échanges directs entre les sociétés Surys et Polygraph et avant la formalisation de leur relation contractuelle, cette dernière société proposait à la société française de recourir à une troisième société, Ou Feature, afin qu’elle perçoive les fonds plus rapidement, soit dès le départ de la marchandise livrée à la société Polygraph. En 2014, un premier contrat a donc été conclu entre les sociétés Surys et Ou Feature pour la production et fourniture d’hologrammes et confiant le droit de propriété intellectuelle des conceptions graphiques à la société Ou Feature. La société Surys devait cependant effectuer les livraisons directement à la société Polygraph alors qu’aucun contrat ne liait ces deux sociétés. Entre 2014 et 2018, des déclarations douanières ont été établies dans lesquelles la société Ou Feature apparaissait comme expéditeur, et la société Polygraph comme destinataire avec la France pour lieu de partance et l’Ukraine pour lieu de destination. Les déclarations contenaient les montants des factures établies par la société Ou Feature à la société Polygraph qui étaient trois fois supérieurs aux montants réels des factures établies par la société Surys à la société Ou Feature.
A partir de 2018, malgré la conclusion de nouveaux contrats directs entre les sociétés Surys et Polygraph, Ou Feature demeurait impliquée au travers d’un contrat de licence prévoyant le versement de royalties et de commissions. Ainsi, entre 2018 et 2021, Polygraph a versé plus de 22 000 000 euros à Surys, tandis que cette dernière reversait plus de 7 000 000 euros à Ou Feature. L’ensemble des investigations a mis en évidence que ces fonds avaient bénéficié au dirigeant de Polygraph et à ses proches.
La relation entre Surys et Ou Feature a pris fin en février 2022 à la suite d’une étude menée par une société spécialisée dans l’évaluation de l’intégrité de tiers, réalisée dans le cadre du dispositif de lutte contre la corruption de l’Imprimerie Nationale, laquelle avait mis en évidence plusieurs éléments d’alerte.
C’est sur ce constat factuel que la Convention a été conclue entre le PNF et la société Surys. En contrepartie de l’extinction de l’action publique, la société s’est engagée à payer une amende d’intérêt public d’un montant total de 18 363 007 euros mais également a accepté de soumettre le groupe Imprimerie Nationale à un programme de mise en conformité sous le contrôle de l’Agence Française Anticorruption (ci-après “AFA”) d’une durée de 3 ans, incluant un audit initial permettant de dresser un état des lieux de la pertinence du dispositif anticorruption actuellement déployé au sein du groupe, des audits ciblés pour s’assurer de son déploiement effectif et de son efficacité au regard des risques identifiés, ainsi qu’un audit final.
De plus, la société Surys a accepté d’indemniser l’État Ukrainien à hauteur de 3 770 000 euros en réparation de son préjudice.
Cette CJIP illustre la double dimension financière qui peut être imposée à une personne morale acceptant la conclusion d’un tel accord, combinant une amende d’intérêt public et une indemnisation au profit de la victime identifiée (I).
Au-delà des sanctions prononcées, il convient de souligner l’importance de l’évaluation de l’intégrité des tiers, illustrée par l’enquête menée sur le tiers Ou Feature, qui apparaît comme un outil essentiel pour prévenir et détecter les risques de corruption (II).
I. Les sanctions financières : une amende d’intérêt public assortie d’une indemnisation de la victime identifiée
Tout d’abord, la convention judiciaire d’intérêt public conclue entre le PNF et la société Surys prévoit le paiement d’une amende d’intérêt public de 18 363 007 euros[2].
L’article 41-1-2 du Code de procédure pénale prévoit que l’amende d’intérêt public est déterminée en fonction de l’avantage tiré de l’infraction et peut atteindre jusqu’à 30% du chiffre d’affaires annuels moyens sur les trois dernières années[3], de sorte qu’en l’espèce, l’amende pouvait être de 159 000 000 euros[4].
Dans le cadre de cette CJIP, l’avantage économique tiré des manquements correspond aux profits indûment réalisés par la société dans le cadre de sa relation commerciale avec les sociétés Polygraph et Ou Feature, viciée par des faits de corruption d’agents publics étrangers et de surfacturation. Cet avantage illicite a été précisément évalué par le PNF à 17 700 000 euros, somme représentant la quasi-totalité du montant de l’amende d’intérêt public[5].
De plus, la part afflictive de l’amende d’intérêt public s’élève à 663 007 euros, soit environ 3,7 % du montant total de l’amende. Ce montant relativement faible s’explique par plusieurs facteurs minorants. D’une part, la société Surys a pris des mesures correctives, notamment en se séparant des personnes qui ont participé aux faits au sein de la société. D’autre part, elle a coopéré pleinement avec le parquet, en menant une enquête interne complète et en lui fournissant tous les documents et conclusions issus de cette enquête. La qualité de cette enquête et la reconnaissance claire des faits par Surys ont également joué en sa faveur tout comme l’indemnisation préalable effectuée au profit de l’État Ukrainien[6].
Par ailleurs, cette CJIP est inédite par l’indemnisation directe prévue au bénéfice d’un État étranger, l’Ukraine, victime des faits. En effet, la société Surys s’est engagée à verser 3 370 000 euros à l’État ukrainien, en réparation du préjudice subi[7].
Cette indemnisation témoigne d’une volonté claire de la justice française de reconnaître les conséquences internationales de la corruption et d’offrir une réponse adaptée à la réalité des victimes, y compris lorsque celles-ci sont des États étrangers.
II. L’évaluation de l’intégrité des tiers : un mécanisme important de prévention et de détection des risques de corruption
Un autre aspect important de la CJIP en date du 8 juillet 2025 conclue avec Surys concerne la vigilance portée à l’évaluation de l’intégrité des tiers.
En effet, c’est grâce à une évaluation menée par une société spécialisée dans le contrôle de l’intégrité des tiers que des éléments d’alerte ont été identifiés concernant la société Ou Feature, un acteur clé dans la chaîne contractuelle impliquée telle que décrite ci-dessus[8].
Cette démarche de vérification de l’intégrité des tiers s’inscrit dans le cadre des obligations légales en matière de lutte contre la corruption, notamment en application de la loi Sapin II mais également dans le cadre de bonnes pratiques à mettre en place y compris au sein de sociétés non soumises à la loi Sapin II[9]. L’AFA souligne le besoin d’évaluer les tiers pour prévenir les risques de corruption. Cette démarche consiste à identifier, analyser et vérifier les partenaires commerciaux en utilisant notamment des bases publiques accessibles, afin de détecter d’éventuels risques liés à leur activité, leur localisation ou leur fonction[10].
Dans une logique d’accompagnement, et compte tenu de l’importance de l’évaluation des tiers dans la prévention de la corruption, l’AFA a lancé une consultation publique, ouverte jusqu’au 30 septembre 2025, sur un projet de fiches pratiques sur ce sujet. Ces fiches viseraient à aider les entreprises à mieux comprendre et appliquer cette obligation, en leur fournissant des repères concrets et adaptés aux réalités du terrain[11].
Cette CJIP illustre la nécessité pour les entreprises de mettre en place des procédures adaptées pour identifier les risques de corruption liés à leurs partenaires commerciaux et rappelle que la mise en place de tels dispositifs d’évaluation et de contrôle des tiers reste un facteur important pour limiter la gravité des sanctions, en attestant d’une volonté réelle des entreprises de prévenir les risques de corruption.