Publication
8 juillet 2025

Modernisation du droit de l’arbitrage : vers un régime unifié et plus autonome via un code de l’arbitrage

Le groupe de travail sur la modernisation du droit de l’arbitrage a remis son rapport au garde des Sceaux le 20 mars 2025. Présenté lors de la Paris Arbitration Week, ce rapport propose une réforme ambitieuse, incluant la fusion des régimes d’arbitrage interne et international et la création d’un code de l’arbitrage.

 

Le 20 mars 2025, le groupe de travail sur la réforme du droit français de l’arbitrage, co-présidé par François Ancel, conseiller à la Cour de cassation, et le professeur Thomas Clay, a remis un rapport sur l’état du droit de l’arbitrage ainsi que des propositions de réforme. Cette démarche s’inscrit dans une réflexion globale quant à la modernisation du droit de l’arbitrage, déjà entamée dans d’autres pays[1]. Comme il est écrit dans son préambule, ce rapport ambitieux n’avait pas vocation à se cantonner à “porter un regard sur le passé” en codifiant la riche jurisprudence s’étant développée entre la  date de la dernière réforme du droit de l’arbitrage en 2011 et aujourd’hui, mais à “envisager le futur ou à tout le moins de chercher un chemin qui puisse y conduire sereinement”[2].

Dans cette optique, le rapport présente tout d’abord des propositions qualifiées de structurantes et dont l’objectif est d’ériger le droit de l’arbitrage en un droit autonome. C’est ainsi que le rapport recommande d’adopter un code de l’arbitrage, pour lequel il soumet un projet. Ce code doit contenir en outre des principes directeurs propres au droit français de l’arbitrage et encadrant ce dernier. Le rapport propose également une unification des règles relatives à l’arbitrage interne et international. Enfin, il prévoit une réforme globale du contentieux de l’arbitrage. Par ailleurs, au-delà de ces propositions structurantes, le rapport évoque des modifications et réformes substantielles avec des objectifs de souplesse, de protection et d’efficacité[3].

 

Cet article n’a pas vocation à présenter en détail la réforme proposée, mais évoque certains points saillants de celle-ci, dont le principe même a pu faire l’objet de critiques[4]. Le garde des Sceaux a toutefois d’ores et déjà annoncé l’adoption prochaine de mesures réglementaires faisant consensus et la mise en place d’un cycle de consultations pour approfondir les sujets à fort enjeu[5].

 

I. La proposition d’adoption d’un code de l’arbitrage autonome

 

Le premier point d’intérêt de cette réforme, est la proposition d’un code de l’arbitrage. Le rapport du groupe de travail fait ainsi le constat que le droit de l’arbitrage est disséminé dans des codes et lois différents, ce qui nuirait à sa lisibilité et à son accessibilité[6]. Il a donc été proposé  de réunir l’ensemble des dispositions relatives à l’arbitrage en un code spécifique, dans un objectif pédagogique, de lisibilité, de rayonnement du droit français de l’arbitrage et pour en renforcer l’autonomie[7].

Pour l’heure, cette proposition est celle qui a fait le plus débat. Il a notamment été évoqué que l’éparpillement des dispositions relatives à l’arbitrage est relativement trompeur dès lors que l’essentiel de celles-ci se logent dans le code de procédure civile[8]. Par ailleurs, la présence de règles relatives à l’arbitrage à d’autres endroits répond à une logique propre, par exemple s’agissant d’hypothèses de recours à l’arbitrage dans des cas précis[9]. Il ressort également que la nécessité d’établir un code de l’arbitrage ne relève pas d’une exigence pratique[10].

 

Le garde des Sceaux a confirmé sa création à l’horizon de l’automne 2026.

 

Pour certains, la question de l’attractivité du droit français de l’arbitrage est également à tempérer, dans la mesure où il est déjà bien connu et apprécié et qu’un bouleversement de ce dernier pourrait être contreproductif[11].

Enfin, outre les arguments allant à l’encontre du principe d’une codification, plusieurs auteurs ont relevé l’absence de concertation préalable à ce sujet pour en mesurer les conséquences, et ce alors qu’il s’agit d’une rupture par rapport à la façon dont le droit processuel français est aujourd’hui organisé avec un code de procédure civile regroupant les règles régissant des procédures très variées[12].

Malgré ces critiques, l’adoption de ce code semble entérinée, le garde des Sceaux ayant confirmé sa création à l’horizon de l’automne 2026[13].

 

II. L’adoption de principes directeurs gouvernant le droit de l’arbitrage

 

Le projet de réforme prévoit également d’adopter des principes directeurs propres à l’arbitrage, une démarche qui participe, là encore, de l’autonomisation du droit de l’arbitrage, et qui doit marquer sa structure profonde[14]. Ces principes sont variés, pour beaucoup repris du droit existant, et ont pour vocation d’instaurer les valeurs fondamentales de l’arbitrage, d’irriguer celui-ci, d’en établir les règles centrales de fonctionnement ou d’instaurer un marqueur du droit français de l’arbitrage[15].

Certains de ces principes codifient des solutions jurisprudentielles : c’est le cas par exemple du projet d’article 2 du code de l’arbitrage. Ce dernier reprend la jurisprudence Dalico en consacrant l’autonomie de la clause compromissoire par rapport au contrat qui la contient, l’appréciation de son existence et de son efficacité au regard de la commune volonté des parties, et en matière d’arbitrage international, sans référence à un droit étatique[16]. Le projet d’article 3 prévoit quant à lui qu’ “en matière d’arbitrage international, nul ne peut invoquer son droit interne pour contester l’arbitrabilité du litige ou sa capacité à être partie à un arbitrage auquel il a consenti”, reprenant et étendant la jurisprudence Galakis[17]. Le projet d’article 19 prévoit enfin que “l’annulation, à l’étranger, de la sentence arbitrale par le juge du siège du tribunal arbitral n’est pas une cause de refus de reconnaissance ni d’exécution de la sentence”, reprenant ainsi la jurisprudence Putrabali[18].

D’autres principes sont érigés en principes directeurs sur le fondement de textes déjà existants au sein du code de procédure civile français, comme c’est le cas par exemple de l’indépendance ou de l’impartialité des arbitres, de l’obligation de célérité et de loyauté, ou encore du respect de la contradiction et de l’égalité entre les parties[19]. Enfin, certains principes sont nouveaux. Ils érigent des règles nouvelles, comme par exemple la mission de prévention du déni de justice attribuée au juge d’appui[20].

Ainsi, la logique d’autonomisation sous-jacente au projet de réforme, et la consécration d’un certain nombre de principes directeurs pourraient donner lieu à une spécialisation jurisprudentielle qu’il est à ce jour difficile d’anticiper[21].

 

Certains de ces principes directeurs codifient des solutions jurisprudentielles, d’autres sont érigés sur le fondement de textes déjà existants au sein du code de procédure civile, d’autres érigent de nouvelles règles.

 

III. L’unification des régimes d’arbitrage interne et international

 

Une autre proposition marquante du rapport concerne l’unification des régimes d’arbitrage interne et international, la définition de l’arbitrage international étant en outre légèrement revue[22]. Là encore, le rapport met en avant une volonté de simplification :  il existe actuellement de nombreuses règles communes aux arbitrages internes et internationaux, ce qui avait contraint le régulateur à procéder par des renvois peu pratiques au sein du code de procédure civile[23]. Une “absorption” des règles de l’arbitrage interne par l’arbitrage international a ainsi été préconisée afin de conserver la souplesse et le libéralisme de ce dernier[24].

Quelques règles spéciales subsistent toutefois logiquement, parmi lesquelles :

  • les règles matérielles propres à l’arbitrage international, par exemple relatives à la convention d’arbitrage internationale et codifiées dans le projet d’article 2 précité,
  • ou encore la distinction entre ordre public interne et international au stade du contrôle de la sentence[25] qui continuera aussi à s’appliquer, ou encore de la compétence du juge de l’annulation[26].

Si cette proposition d’unification n’a pas causé d’objections majeures, certains points de mise en œuvre posent question. Ainsi, en matière interne, la possibilité ouverte aux parties de choisir une loi étrangère ou la suppression de l’appel contre la sentence et l’unification des voies de recours soulèvent quelques interrogations[27]. A l’inverse, en matière internationale, certaines modifications résultant de cette unification des régimes semblent aller à contre-courant du libéralisme de l’arbitrage international. C’est notamment le cas de la faculté de renoncer au recours en annulation ou à certaines dispositions, aujourd’hui supplétives, qui ne pourraient plus à l’avenir être écartées par la volonté commune des parties à l’arbitrage[28].

 

IV. La refonte du contentieux de l’arbitrage

 

Enfin, ce projet de réforme apporte un certain nombre d’innovations dans le contentieux de l’arbitrage.

Il instaure tout d’abord un office renforcé du juge d’appui dont la compétence distincte est affirmée[29], ayant pour mission subsidiaire d’assurer l’effectivité de la volonté des parties de recourir à l’arbitrage[30], notamment dans les cas d’impécuniosité des parties[31], et de prévenir tout déni de justice[32]. Par ailleurs, le juge d’appui est saisi du pouvoir d’exécuter les mesures d’instruction, provisoires ou conservatoires décidées par l’arbitre ou l’arbitre d’urgence[33], ce qui est à saluer dans la mesure où, en l’état, celles-ci ne peuvent faire l’objet d’une exécution forcée[34].

S’agissant des voies de recours, on relève également un certain nombre d’innovations, notamment :

  • l’introduction d’un recours en inopposabilité contre la sentence rendue à l’étranger sur le modèle de la requête en exequatur et d’un éventuel appel contre l’ordonnance l’ayant prononcé[35],
  • l’introduction d’une procédure de reconnaissance de la sentence, distincte de l’exequatur[36],
  • la consécration de la tierce opposition contre la décision accordant l’exequatur[37],
  • la faculté accordée au juge de l’annulation de renvoyer les parties devant le tribunal arbitral[38].

Enfin, participant là encore d’une autonomisation du droit français de l’arbitrage, le projet de réforme propose une refonte complète de la procédure devant la cour d’appel en cas de recours contre les décisions du juge d’appui et les sentences[39].

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